Bienvenue aux sans-papiers : Vous n’irez plus en garde-à-vue !
Actualités du droit - Gilles Devers, 7/06/2012
Chère amies policières, chers amis policiers, il va falloir remettre les compteurs à zéro parce qu’il y avait gourance, et chères amies magistrates, chers amis magistrats, il va falloir rectifier le tir, car vous validiez la gourance : les dossiers de sans-papiers instruits pendant la garde-à-vie, ce n’est plus possible. (Cour de cassation, chambre criminelle, avis du 5 juin 2012). Et notre Législateur à venir va trouver à traiter un joli dossier maltraité sous l’Ancien Régime.
En bref : la Cour de cassation a de facto ratiboisé l’article L. 621-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA).
Que dit le texte, désormais placé en soins palliatifs ? « L’étranger qui a pénétré ou séjourné en France sans se conformer aux dispositions des articles L. 211-1 et L. 311-1 ou qui s'est maintenu en France au-delà de la durée autorisée par son visa sera puni d’un emprisonnement d'un an et d'une amende de 3 750 Euros ».
C’est la problématique : le sans-papiers qui vu sa situation personnelle ne peut obtenir les précieux papiers doit être reconduit à la frontière. Mais sa présence illégale doit-elle être sanctionnée comme une infraction, et encore du genre des infractions qui conduisent en prison ? That is the question.
Les sans-papiers en prison, il y en a peu. Trop, car en réalité c’est illégal, mais il y en a peu. En revanche, cet article L. 621-1 est un lupanar pour la chasse chiffrée aux immigrés, car il permet de justifier d’un contrôle d’identité, procédure prévue par le Code pénal, et d’un placement en garde-à-vue. Et çà, c’était un pilier de la politique chiffrée : sur 100 000 dossiers traités, 60 000 passaient par la garde-à-vue.
Un fois de plus, ce sont les sans-papiers qui se trouvent obligés, par leurs recours, d’expliquer à la police et à la justice comment il faut appliquer la loi. Pour être sans-papiers, il faut être polyvalent.
Alors, regardons le film.
Avant que les grincheux ne fassent une poussée de bile en cette belle journée de juin, je veux de suite préciser que cette affaire n’est pas le fruit de vilaines jurisprudences européennes voulant détruire la société. Non, les juges n’ont fait que de rappeler ce que disent les textes, en l’occurrence la directive du 16 décembre 2008 « relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en situation irrégulière », encore appelée la directive retour.
Cette directive ne vient pas du ciel, mais du travail des élus du Parlement européen et des représentants des gouvernements, réunis au sein du Conseil européen. Nos élus ont étudiés le monde, la vie, la société et le bonheur, et ils ont adopté cette directive, qui devait ensuite être transposée avant le 24 décembre 2010 (Art. 20).
Nos amis italiens, comme nous, avaient laissé traîner dans leur législation une disposition maintenant une sanction pénale d’emprisonnement, comme la loi française, mais les valeureux juges italiens – Ah, l’Italie quelle belle civilisation… – ont eu la bonne idée de saisir la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) d’une question préjudicielle, procédure permettant d’obtenir une interprétation des textes européens. La réponse a été l’arrêt El Dridi du 28 avril 2011 (C-61/11 PPU).
La CJUE est partie d’un principe simple : « Les États ne sauraient appliquer une réglementation, fût-elle en matière pénale, susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs poursuivis par une directive et, partant, de priver celle-ci de son effet utile » (§ 55).
Que dit la directive ? Les mesures prises contre les sans-papiers doivent être efficaces et les contraintes doivent être proportionnées. C’est logique : on n’imagine pas des Etats choisissant des mesures inefficaces et disproportionnées. Or, c’est qu’on fait plus d’un, dont la France et l’Italie.
Restons cartésiens avec nos amis juges européens : incarcérer des migrants en situation irrégulière n’est pas efficace car la sanction retarde voire empêche d’exécution d’une décision de retour (§ 59), et pas proportionnée car elle ne répond pas à l’exigence de l’utilisation des mesures les moins coercitives possible (§ 39).
La cour conclut que les États membres ne sauraient prévoir une peine privative de liberté pour le seul motif qu’un ressortissant d’un pays tiers continue, après qu’un ordre de quitter le territoire national lui a été notifié : « Les États doivent poursuivre leurs efforts en vue de l’exécution de la décision de retour qui continue à produire ses effets. En effet, une telle peine privative de liberté risque de compromettre la réalisation de l’objectif poursuivi par la directive, à savoir l’instauration d’une politique efficace d’éloignement et de rapatriement ».
Logique, et imparable, mais la jurisprudence a pataugé, et l’affaire est venue à la Cour de cassation, sur pourvoi formé contre une décision du président de la cour d’appel de Lyon. Nous étions en matière civile, car il s’agissait du renouvellement du maintien en centre de rétention. Mais à l’occasion de cette audience, l’avocat de la défense avait soulevé la nullité de la procédure car son client – sans papiers mais pas sans droits – avait été arrêté dans le cadre d’un contrôle d’identité de type pénal, puis placé en garde-à-vue.
L’affaire est donc venue devant la première chambre civile, mais comme la question posée reposait sur l’interprétation d’une infraction pénale, la chambre civile a sollicité un avis de la chambre criminelle.
L’avis rendu par la Cour de cassation est clair :
- le seul fait de se trouver en situation irrégulière ne constitue pas un délit pouvant justifier une peine de prison, et ne peuvent être placées en garde à vue que les personnes encourant une peine d'emprisonnement
- dès lors, les étrangers en situation irrégulière ne peuvent pas être placés en garde à vue, à moins qu’ils ne soient pas soupçonnés d'un autre délit.
Ici, il faut revenir au droit commun, soit le Code de procédure pénale. Pour être collé en garde-à-vue, le sésame est l’article 62-2 : une mesure de garde à vue ne peut être décidée par un officier de police judiciaire que s’il existe des raisons plausibles de soupçonner que la personne concernée a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’emprisonnement. De plus, la mesure doit être nécessaire à la conduite de la procédure pénale.
Or, la sanction pénale de prison, prévue par l’article L. 621-1 du CESEDA est contraire au droit européen car elle est inefficace et disproportionnée. Donc, comme il ne peut y avoir de peine de prison, il ne peut y avoir de garde-à-vue. Il reste la vérification d’identité, soit quatre heures pour gérer.
On connaîtra la solution quand la première chambre civile, désormais éclairée par l’avis de la chambre criminelle, se sera prononcée sur une série d’affaire dont elle est saisie, et la diversité des situations de fait permettra sans doute de traiter la question sous ses différentes facettes. Une bonne jurisprudence vaut mieux qu’une mauvaise loi, alors que la Cour ne se gêne pas…
En attendant, cet avis fait du bien. C’est le retour à la légalité, qui est mariée d’amour avec la liberté. J’ai demandé aux services des investigations spéciales du blog de renseigner, et voici leur compte rendu : légalité et liberté, c’est le seul couple dont le divorce est impossible, tellement l’amour est fort.