La liberté de scolariser à domicile est surveillée (480)
Droits des enfants - Jean-Pierre Rosenczveig, 18/07/2012
Ce sont les vacances, mais il est grand temps de préparer la rentrée des chères blondes ou frisées.
Tout enfant de 6 à 16 ans, même étranger en situation irrégulière au regard du séjour, et quel que soit son mode d'hébergement (domicile fixe ou population non sédentaire), a le droit à suivre une scolarité. Le principe a été posé par la loi de juillet 1882, mais les parents ont, sur le papier au moins, le choix des armes : un établissement scolaire public, un établissement scolaire privé ou en famille.
Depuis 2007 l'instruction dans la famille recouvre l'enseignement à distance. Tous les enfants qui ne reçoivent pas une formation dans un établissement scolaire relèvent désormais de l'instruction dans la famille. Certains suivront des cours à la maison délivrés par l’un ou les deux parents ou par toute personne de leur choix ; d’autres seront inscrits à un enseignement par correspondance, soit au Centre national d'enseignement à distance (CNED) en inscription libre, soit dans un organisme d'enseignement à distance privé
La scolarisation via le CNED vaudra notemment pour les enfants bénéficiant de soins médicaux en famille, en situation de handicap, en attente de scolarisation dans un établissement médico-social, ayant des activités sportives ou artistiques, dont les parents itinérants ou qui sont éloignés géographique d'un établissement scolaire.
Sans remettre en cause cette liberté reconnue aux parents, la loi a posé en 1998 le principe (art. L. 131-1-1 du code de l'éducation) selon lequel l'instruction devait être assurée en priorité au sein des établissements d'enseignement.
Le mode d'instruction choisi doit permettre à l'enfant d'acquérir, à l'issue de la période de l'instruction obligatoire, l'ensemble des connaissances et des compétences du « socle commun ».
L’immensité des enfants de France fréquentent une structure scolaire, publique ou privée. Une infime minorité - 6 000 - bénéficie d’une scolarisation sur mesure, en famille.
Si les familles font le choix d'instruire leur enfant en famille, il convient de s'assurer de la réalité de cette scolarisation, mais encore que l'instruction dispensée répond à cet objectif.
Les pouvoirs publics y veillent certes avec le souci de ne pas porter atteinte à l’exercice de cette liberté, mais avec la préoccupation que des enfants ne soient pas purement et simplement déscolarisés avec la caution familiale ou pris dans une mouvance sectaire.
Les lois du 5 mars 2007 sur la prévention de la délinquance et sur la protection de l’enfance, le décret du 5 mars 2009 relatif au contenu des connaissances requis des enfants instruits dans la famille et dans les établissements privés hors contrat et une circulaire d’application du 26 décembre 2011 ont fait évoluer le cadre de l'instruction dans la famille en précisant les modalités de mise en œuvre des contrôles que les inspecteurs d'académie et les directeurs des services départementaux de l'éducation nationale doivent effectuer.
L'instruction à domicile ne peut l'être que pour les enfants d'une seule famille (article L.131-10 du code de l'éducation modifié par la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance) afin d’éviter le montage d’écoles sauvages hors tout dispositif Education Nationale.
La décision d’une scolarisation en famille est un choix des parents, mais ils doivent en informer l’administration et, déjà, le maire qui depuis la loi du 28 mars 1882, a mission d'établir chaque année,à la rentrée scolaire, la liste des enfants soumis à l'obligation d'instruction résidant sur le territoire de sa commune. Les personnes responsables doivent faire inscrire auprès de la mairie les enfants dont elles ont la garde » (article L. 131-6 c. éduc.) ou à chaque rentrée scolaire l’informer de leur choix d’une scolarisation à domicile (L. 131-5 c. éduc.).
L'inspecteur d'académie (IA), directeur des services départementaux de l'éducation nationale, doit également être informé.
Cette déclaration se fait par écrit. Elle indique le nom, les prénoms et la date de naissance de l'enfant, les noms et prénoms des personnes responsables et leur adresse, l'adresse à laquelle réside l'enfant et, si elle est différente de l'adresse de résidence, celle à laquelle est dispensée l'instruction.
Si en cours d'année scolaire les parents décident d'instruire leur enfant dans la famille, la déclaration doit être faite dans les mêmes conditions dans les huit jours qui suivent.
L’IA accuse réception de ce courrier et informe les intéressés des conséquences du choix effectué et délivre une attestation d'instruction dans la famille qui pourra être présentée à l'organisme débiteur de prestations familiales (article L. 552-4 c. de la sécurité sociale).
Les inspecteurs d'académie sont invités à se rapprocher des maires afin d'identifier les enfants notamment qui, n'ayant fait l'objet d'aucune déclaration, ne sont pas inscrits dans un établissement scolaire.
Lorsqu'un défaut de déclaration d'instruction dans la famille est constaté, l'inspecteur d'académie doit faire procéder en urgence à un contrôle. L'intervention doit être effectuée dans ce cas précis sans délai.
L'omission déclarative auprès du maire constituant une infraction pénale susceptible de faire encourir à toute personne exerçant l'autorité parentale ou une autorité de fait de façon continue à l'égard de l'enfant une peine d'amende de 1 500euros maximum, elle doit être signalée au procureur de la République par toute autorité municipale ou académique informée.
Le maire, avec les moyens du bord, d’où des inégalités, a ensuite l’obligation (L. 131-10 c. educ.), de faire le soin de mener une enquête sur les enfants qui reçoivent l'instruction dans la famille. Cette enquête est menée « uniquement aux fins d'établir quelles sont les raisons alléguées par les personnes responsables, et s'il leur est donné une instruction dans la mesure compatible avec leur état de santé et les conditions de vie de la famille ». Elle ne porte pas sur la qualité de l'instruction, dont la validation est de la compétence du ministère chargé de l'éducation nationale.
Si l'enquête n'a pas pu être effectuée, elle est alors diligentée par le préfet du département.
Elle doit intervenir dès la première année de la période d'instruction dans la famille et être renouvelée tous les deux ans, jusqu'à l'âge de seize ans.
Les résultats en sont communiqués à l'IA qui pourra en tirer les conséquences pour le choix et la mise en œuvre des contrôles qui lui incombent.
L’IA doit ainsi vérifier que l'enseignement assuré dans la famille est conforme au droit de l'enfant à l'instruction défini à l'article L. 131-1-1 du code de l’éducation qui veut que « le droit de l'enfant à l'instruction a pour objet de lui garantir (...) l'acquisition des instruments fondamentaux du savoir, des connaissances de base» (L. 131-10 c. éducation). Il s’agira donc de contrôler le contenu de l'enseignement dispensé et les compétences et connaissances acquises par l'enfant.
L’IA s'assure également que la progression retenue « a pour objet d'amener l'enfant, à l'issue de la période de l'instruction obligatoire, à la maîtrise de l'ensemble des exigences du socle commun », comme les enfants scolarisés dans les établissements publics ou privés sous contrat.et sur les acquisitions de l'enfant et sa progression. Cette progression doit s’évaluer en tenant compte de l'âge de l'enfant et son état de santé mais aussi des aménagements justifiés par les choix éducatifs des parents (D. 131-12 c. educ.).
Un décret définit le contenu des connaissances et des compétences requis des enfants instruits dans la famille à l'issue de la période d'instruction obligatoire.
Dans chacun des sept domaines de compétence déclinés dans le socle commun (lecture, écriture, calcul, citoyenneté, etc.), l'évolution des acquisitions de l'enfant s'apprécie donc en fonction de la progression globale définie et mise en œuvre par les personnes responsables en fonction de leurs choix éducatifs tels qu'elles ont pu les présenter à l’IA chargé du contrôle et, après le premier contrôle, par rapport aux contrôles antérieurs, sans référence au niveau scolaire d'une classe d'un établissement d'enseignement public ou privé sous contrat. L'inspecteur peut conseiller à la famille de produire préalablement au contrôle un document explicitant ces choix. Le contrôle n'a pas, en effet, pour objet de valider le niveau scolaire. Un contrôle favorable ne dispense en aucun cas l'enfant de passer l'examen d'admission dans l'enseignement secondaire public prévu par l'arrêté du 12 juin 1953 en cas d'inscription dans un établissement public.
Lorsqu'un enfant instruit à domicile est inscrit au CNED en inscription libre ou dans un organisme privé d'enseignement à distance, la progression globale retenue est celle fixée par l'organisme et validée par le contrôle pédagogique du ministre chargé de l'éducation nationale auquel il est soumis.
L’inspecteur chargé du contrôle s’attachera aux différents travaux présentés par l'enfant lors d'un entretien. Les parents, dont la présence peut faciliter l'instauration d'un climat serein, de dialogue et de confiance, peuvent apporter, en tant qu'instructeurs, des explications utiles au bon déroulement du contrôle.
La famille est informée par écrit de la date du contrôle fixée par l’IA, du ou des lieux où il se déroulera et des fonctions de la ou des personnes qui en seront chargées. Cette information lui est adressée au minimum un mois avant. Toute demande de déplacement de rendez-vous par la famille doit être motivée par une incapacité à se rendre disponible à la date prévue par l'inspection académique.
Le contrôle a lieu notamment au domicile des parents. Il peut être opportun de ne pas le circonscrire au seul domicile des personnes responsables de l'enfant. Ces modalités appartiennent à l'administration. Un refus de déplacement équivaudrait à une opposition de la famille au déroulement du contrôle.
Le contrôle pédagogique diligenté par l'IA a lieu au moins une fois par an, à partir du troisième mois suivant la déclaration d'instruction dans la famille en veillant à ce qu'il ne soit pas trop tardif dans l'année scolaire afin d’en permettre, le cas échéant un deuxième d'effectuer un deuxième contrôle avant la fin de l'année scolaire.
Les résultats du contrôle sont notifiés systématiquement aux personnes responsables de l'enfant.
Si tel est le cas, il doit leur être précisé en quoi l'instruction donnée ne permet pas la progression de l'enfant vers l'acquisition, en fin de période d'instruction obligatoire, des connaissances dans chacun des sept domaines de compétence déclinés dans le socle commun. Elles sont informées du délai au terme duquel un deuxième contrôle est prévu. Ce délai doit leur permettre d'améliorer la situation ou de fournir des explications. Les personnes responsables sont également avisées des sanctions auxquelles elles pourraient s'exposer en l'absence de prise en compte des observations émises lors du premier contrôle.
À l'issue de ce deuxième contrôle, les résultats sont aussi notifiés. En cas d’approche critique, il doit leur être précisé en quoi l'instruction est défaillante. Les parents peuvent alors être mis en demeure par l’IA d'inscrire l'enfant, dans les quinze jours qui suivent, dans un établissement d'enseignement public selon les règles habituelles d'inscription et d'affectation, ou dans un établissement d'enseignement privé de leur choix déclinés dans le socle commun.
Les parents doivent communiquer au maire de la commune de résidence le nom de l'établissement dans lequel est inscrit l'enfant. Le maire en avise alors l’IA.
Qu’elle se traduise par un refus du contrôle ou par des entraves manifestes à son déroulement, l'opposition de la famille aux contrôles pédagogiques prévus par la loi constitue une infraction. Une telle situation justifie que l'inspecteur d'académie la signale au procureur de la République.
Lorsque des parents, enjoints de scolariser leur enfant eu égard à l'insuffisance de l'instruction dispensée dans la famille, refusent délibérément de l'inscrire dans un établissement d'enseignement, ils s'exposent à une peine de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende (art. 227-17-1 code pénal).
L’IA signalera les faits au procureur de la République en vertu de l'article 40 du code de procédure pénale qui « fait obligation à tout fonctionnaire d'aviser sans délai le procureur de la République de tout crime ou délit dont il acquiert la connaissance dans l'exercice de ses fonctions ».
Les résultats des contrôles, précisément motivés seront joints au signalement, les parents pouvant arguer de la conformité de l'instruction dans la famille avec le droit de l'enfant à l'instruction pour contester devant le tribunal correctionnel le bien-fondé de la mise en demeure de rescolarisation. Les juridictions pénales sont compétentes en effet pour apprécier la légalité des actes administratifs lorsque de cet examen dépend la solution du procès pénal (article 111-5 du code pénal).
Lorsque des parents enjoints de rescolariser leur enfant au cours d'une année scolaire font une nouvelle déclaration d'instruction dans la famille à la rentrée scolaire suivante, il convient de diligenter un contrôle dès que possible afin de permettre, le cas échéant, une rescolarisation rapide :
- si la déclaration est intervenue dès la rentrée scolaire, le premier contrôle devra intervenir dès les premiers jours du mois de novembre ;
- dans le cas contraire, si la déclaration n'intervient pas dès la rentrée scolaire, il convient de constater le défaut de déclaration afin de diligenter sans délai un contrôle.
Au cours de leur contrôle, les services de l'éducation nationale peuvent être confrontés à la situation d'un enfant qui n'a jamais reçu une quelconque instruction, malgré une déclaration d'instruction dans la famille adressée à l’IA.
Dans ce cas, l'inspecteur d'académie effectuera en urgence, avant même toute mise en demeure, un signalement au procureur de la République au titre de l'enfance en danger et de l'infraction à l'article 227-17 du code pénal.
La vérification de l'acquisition de l'ensemble des connaissances et des compétences du socle commun peut permettre d'apprécier si l'enfant est soumis à une emprise contraire à son intérêt, notamment l'emprise sectaire.
Enfin, si l'instruction dans la famille n'est pas déficiente, mais la famille est confrontée à « des difficultés risquant de mettre en danger la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur ou de compromettre les conditions de son éducation », l’IA peut adresser une information préoccupante au président du conseil général en vertu de l'article L. 226 2-1 du code de l'action sociale et des familles afin « d'évaluer la situation du mineur et de déterminer les actions de protection et d'aide dont ce mineur et sa famille peuvent bénéficier ». Préalablement il se doit d’informer de son intention le père, la mère ou toute autre personne exerçant l'autorité parentale, sauf intérêt contraire de l'enfant.
En cas de danger grave ou imminent pour l'enfant, les personnes chargées du contrôle peuvent aviser directement et sans délai le procureur de la République pour que des mesures d'assistance éducative soient ordonnées (art 375 et s. c. civ.). Elles adressent alors une copie de cette transmission au président du conseil général (art. L. 226-4 code de l'action sociale et des familles).
Les parents jouissent bien de la liberté – juridique - d’éduquer son enfant comme bon il semble, mais liberté très surveillée car par-delà les enjeux privés –l’ordre familial – se profilent des enjeux d’ordre public – l’éducation nationale, la protection des enfants en danger.