CESDH - 31501/03
- wikisource:fr, 19/08/2007
9 janvier 2007
Sommaire |
Visas
3. A l’origine de l’affaire se trouvent neuf requêtes (nos 31501/03, 31870/03, 13045/04, 13076/04, 14838/04, 17558/04, 30488/04, 45576/04 et 20389/05) dirigées contre la République française et dont soixante-huit ressortissants de cet Etat (« les requérants » ; voir annexe), ont saisi la Cour respectivement les 26 et 15 septembre 2003, 18 et 23 mars, 9 avril, 4 mai, 12 août, 7 décembre 2004 et 24 mai 2005, en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les requérants sont représentés par la SCP L. Parmentier et H. Didier, avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation (requêtes nos 31501/03, 13045/04, 13076/04, 14838/04, 17558/04, 45576/04 et 20389/05), Me A. Marx (requête n° 31870/03) et Me A. Guyon (requête n° 30488/04). Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme E. Belliard, Directrice des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.
3. Les 26 août et 5 septembre 2005, la deuxième section a décidé de communiquer les requêtes au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l’article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.
Motifs
LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4. Les requérants (voir Annexe) sont des ressortissants français, à l’exception de M. Mustapha Benhamou, qui est de nationalité marocaine (requête n° 30488/04). Ils sont employés ou anciens employés en qualité d’éducateurs, de conseillers, de moniteurs, d’aides médico-psychologiques ou de surveillants de nuit (requête n° 30488/04), au sein d’établissements spécialisés, gérés par des associations et placés sous tutelle de l’Etat.
5. Dans le cadre de leurs fonctions, ils durent assurer des permanences de nuit, dans une chambre dite « de veille », afin de répondre à tout incident ou demande de la part des pensionnaires.
6. Par application de l’article 11 de l’annexe III de la convention collective des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966, la rémunération de ces heures de présence était réglementée comme suit :
« Dans le cas où le personnel éducatif en internat [ou d’animation] est appelé à assumer en chambre de veille la responsabilité de surveillance nocturne, ce service s’étend du coucher au lever des pensionnaires, sans que sa durée puisse excéder 12 heures.
Ce service fait l’objet d’une compensation dans les conditions suivantes :
- les 9 premières heures sont assimilées à 3 heures de travail éducatif ;
- entre 9 et 12 heures, chaque heure est assimilée à une demi-heure de travail éducatif (…) »
7. Considérant toutefois qu’il s’agissait de travail effectif et que ces périodes devaient être intégralement rémunérées, les requérants (nos 31501/03, 31870/03, 13045/04, 14838/04, 17558/04, 30488/04, 45576/04 et 20389/05) saisirent le conseil de prud’hommes.
8. La loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 disposa, en son article 29 :
’’« Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, sont validés les versements effectués au titre de la rémunération des périodes de permanence nocturne comportant des temps d’inaction, effectuées sur le lieu de travail en chambre de veille par le personnel en application des clauses des conventions collectives nationales et accords collectifs nationaux de travail, agréés en vertu de l’article 16 de la loi n° 75-535 du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales, en tant que leur montant serait contesté par le moyen tiré de l’absence de validité desdites clauses »’’.
9. Elle sera suivie par un décret n° 2001-1384 du 31 décembre 2001 pris pour l’application de l’article L. 212-4 du code du travail et instituant une durée d’équivalence de la durée légale du travail dans les établissements sociaux et médico-sociaux gérés par des personnes privées à but non lucratif.
10. Certains requérants (requête n° 13076/04) saisirent le conseil de prud’hommes après l’adoption de cette loi, pour ne réclamer que le paiement de rappels de salaires entre le 1er février 2000, date d’entrée en vigueur de la loi, et le 3 janvier 2002, date de prise d’effet du décret du 31 décembre 2001.
A. Les jugements des conseils de prud’homme
1. Requête n° 31501/03
11. Par jugement du 14 avril 1999, le conseil de prud’hommes de Melun, après avoir décidé de la jonction des instances introduites par les cinq requérants, fit droit à leur demande de versement des rappels de salaires à valoir sur les nuits effectuées à compter du 20 avril 1993 (date au-delà de laquelle les droits à rappel de salaire étaient prescrits), écartant l’application de la convention collective du 15 mars 1966.
12. Le 7 mai 1999, leur employeur, l’APRIM, fut placé en redressement judiciaire par le tribunal de grande instance de Melun. Un administrateur et un représentant des créanciers furent désignés, l’assurance de garantie étant par ailleurs mise en cause.
13. Le 14 mai 1999, l’APRIM interjeta appel. S’agissant d’octroi de rappels de salaires, le jugement était cependant exécutoire.
2. Requête n° 31870/03
a) Les procédures relatives à MM. Buys et Gérometta
14. Par deux jugements du 25 juin 1998, le conseil de prud’hommes de Mulhouse jugea fondées les prétentions de MM. Buys et Gérometta quant aux heures de permanence de nuit et ordonna la réouverture des débats en vue d’obtenir un décompte rectifié des sommes réclamées. Leur employeur interjeta appel de ces jugements.
b) Les procédures relatives à Mme Compain, MM. Beleme et Claudel
15. Par trois jugements du 18 mars 1999, le conseil de prud’hommes de Mulhouse débouta les requérants. Ces derniers interjetèrent appel.
3. Requête n° 13045/04
16. Par jugement du 25 juin 1999, le conseil de prud’hommes de Libourne débouta les requérants, estimant que le régime d’équivalence était régulier. Les requérants interjetèrent appel de ce jugement.
4. Requête n° 13076/04
17. Par jugement du 18 septembre 2001, le conseil de prud’hommes d’Albi fit droit à la demande de certains requérants et ordonna la réouverture des débats en invitant les parties à conclure sur le nombre d’heures supplémentaires réclamées et le calcul y afférent. L’employeur interjeta appel du jugement.
18. Par jugement du 24 septembre 2001, le conseil de prud’hommes de Castres fit droit aux demandes des autres requérants et condamna l’employeur à verser des rappels de salaires. Ce dernier interjeta également appel de ce jugement.
5. Requête n° 14838/04
19. Par un jugement du 26 juin 2000, le conseil de prud’hommes de Guéret débouta les requérants. Ces derniers interjetèrent appel.
6. Requête n° 17558/04
20. Par jugement du 13 mars 2000, le conseil de prud’hommes de Guéret fit droit à la demande du requérant et condamna son employeur à lui verser des rappels de salaires. Ce dernier interjeta appel de ce jugement.
7. Requête n° 30488/04
21. Par trois jugements du 3 octobre 1997, le conseil de prud’hommes d’Angers fit droit à leur demande et condamna l’association à leur verser des rappels de salaires. Cette dernière interjeta appel.
8. Requête n° 45576/04
22. Par neuf jugements du 15 novembre 2001, le conseil de prud’hommes de Toulouse fit droit à la demande des requérants. Leur employeur interjeta appel du jugement.
9. Requête n° 20389/05
23. Par jugement du 1er octobre 1999, le conseil de prud’hommes de Bordeaux fit droit aux demandes des requérants et condamna les deux employeurs concernés à leur verser des rappels de salaires. Les employeurs interjetèrent appel de ce jugement.
B. Les arrêts des cours d’appel
1. Requête n° 31501/03
24. Le 20 avril 2000, au cours de la première audience devant la cour d’appel de Paris, celle-ci introduisit dans les débats la question de l’éventuelle applicabilité de l’article 29 de la loi du 19 janvier 2000 à la procédure en cours, invitant les parties à s’exprimer dans le cadre de notes en délibéré.
25. Par arrêt du 16 novembre 2000, après une seconde audience du 20 septembre, la cour d’appel de Paris confirma le jugement du conseil de prud’hommes de Melun du 14 avril 1999, ordonnant le paiement des rappels de salaires réactualisés. S’agissant de l’article 29 de la loi du 19 janvier 2000, après en avoir rappelé la teneur, elle statua notamment comme suit :
« Il convient cependant d’observer que cette disposition constitue une loi rétroactive et non un simple texte interprétatif d’application immédiate dès lors qu’elle valide des versements déjà effectués, mettant ainsi fin à des litiges introduits, avant son entrée en vigueur, pour contester ces versements en se fondant sur l’absence de validité des clauses conventionnelles d’équivalence au regard des dispositions légales alors applicables.
Or la Cour européenne des Droits de l’Homme a dit pour droit que si le pouvoir législatif n’est pas empêché de réglementer en matière civile, par de nouvelles dispositions à portée rétroactive, des droits découlant des lois en vigueur, le principe de la prééminence du droit et la notion de procès équitable consacrés par l’article 6 § 1 de la Convention européenne des Droits de l’Homme s’opposent, sauf pour d’impérieux motifs d’intérêt général, à l’ingérence du pouvoir législatif dans l’administration de la justice dans le but d’influer sur le dénouement judiciaire du litige.
En l’espèce, le texte litigieux qui valide des heures d’équivalence prolongeant la durée de présence des salariés sur leur lieu de travail a été inséré par amendement dans une loi relative à la réduction du temps de travail. L’introduction de cet amendement est intervenue après que les institutions sociales financées comme l’association APRIM par des collectivités publiques ou des régimes sociaux se sont inquiétées auprès des pouvoirs publics des conséquences pécuniaires des décisions judiciaires reconnaissant l’illicéité de certains régimes d’équivalence.
Le risque financier, évalué sans justification à quatre milliards de francs, que constituerait la nécessité de régulariser les salaires versés pour les permanences nocturnes du personnel d’internat des institutions sociales ne saurait permettre en soi que le législateur se substitue aux juges pour régler les litiges individuels.
Il ne peut non plus être valablement soutenu que l’article 29 tendait à mettre fin à l’incertitude résultant de décisions judiciaires divergentes dès lors que la jurisprudence de la Cour de cassation avait été très nettement fixée par un arrêt du 29 juin 1999.
L’article 29 de la loi du 19 janvier 2000 ne doit donc pas être appliqué au présent litige, et la décision entreprise sera confirmée sur le principe du droit des salariés aux rappels de salaires. »
26. L’employeur se pourvut en cassation le 18 janvier 2001.
27. Par arrêt rectificatif du 3 mai 2001, la cour d’appel de Paris compléta son arrêt du 16 novembre 2000 par l’ajout d’une formule dans le dispositif rendant sa décision opposable à l’assurance de garantie des salaires pour les créances nées avant le 7 mai 1999, date du jugement ayant placé l’association en redressement judiciaire.
2. Requête n° 31870/03
a) Les procédures relatives à MM. Buys et Gérometta
28. Par deux arrêts du 30 octobre 2000, la cour d’appel de Colmar confirma le jugement en ce qu’il avait considéré comme travail effectif les heures de veille et, l’infirmant pour le surplus, ordonna la réouverture des débats. S’agissant de l’argument tiré de l’article 29 de la loi du 19 janvier 2000, intervenue pendant la procédure, la cour estima ce qui suit :
« Ce texte, qui a pour finalité de mettre fin aux instances en cours, y compris la présente, n’est pas sans rappeler l’article 85 de la loi n° 94-43 du 18 janvier 1994 votée par le Parlement pour mettre fin aux nombreuses instances opposant devant les juridictions d’Alsace-Moselle les salariés des organismes de Sécurité sociale des trois départements (…) à leurs employeurs respectifs (…). Ce texte a été considéré comme violant l’article 6 § 1 de la Convention européenne des Droits de l’Homme concernant le droit à un procès équitable par l’arrêt de la Cour de Strasbourg le 28 octobre 1999. (…)
D’une part, s’il est exact que l’article 29 de la loi du 19 janvier 2000 exclut expressément de son champ d’application les décisions de justice devenues définitives, il fixe définitivement les termes du débat soumis aux juridictions de l’ordre judiciaire, et ce de manière rétroactive (…)
D’autre part ce texte a été voté, ainsi que cela résulte des débats parlementaires, pour contrecarrer le revirement de jurisprudence opéré par la Cour de cassation dans son arrêt du 29 juin 1999 (…) alors que celui-ci mettait fin aux décisions divergentes des juridictions inférieures. Inclus au surplus dans une loi traitant de « la réduction négociée du temps de travail », ce qui démontre une certaine précipitation pour le faire adopter, ce texte n’avait donc rien de prévisible.
Enfin, s’il est constant que l’A.R.S.E.A. est une association gérant des établissements ou services à caractère social ou sanitaire à but non lucratif dont les dépenses de fonctionnement sont, en vertu de dispositions législatives ou réglementaires, supportées en tout ou partie, directement ou indirectement, soit par des personnes morales de droit public soit par des organismes de Sécurité Sociale, en cas de condamnation de celle-ci c’est, compte tenu du mode de financement du fonctionnement (…) l’autorité publique qui en assurerait la charge, sauf pour l’Etat ou le Département à prendre le risque dans le cas contraire d’entraîner le dépôt de bilan de l’association gestionnaire et la fermeture de l’établissement (…).
L’objectif du législateur a donc été de protéger les intérêts financiers de l’autorité publique, mais il convient de constater que celle-ci, alors qu’elle en avait légalement la possibilité, ne s’est jamais déterminée à créer dans la branche professionnelle considérée un horaire d’équivalence par décret dans le cadre de l’article L. 212-4 du code du travail, et qu’en toute hypothèse réaliser des économies sur la rémunération des salariés ne saurait constituer un impérieux motif d’intérêt général au sens de la Cour européenne des Droits de l’Homme.
Par ailleurs, le Conseil Constitutionnel n’appréciant pas la conformité d’une loi à la Convention européenne des Droits de l’Homme, rien ne peut être déduit de sa décision validant la loi du 19 janvier 2000.
En conséquence, les motifs impérieux d’intérêt général faisant défaut en l’espèce, il y a lieu de considérer qu’en adoptant l’article 29 de la loi du 19 janvier 2000 le législateur n’a pas agi dans le cadre de sa fonction normative et s’est ingéré dans l’administration de la justice pour protéger les intérêts financiers d’autorités publiques (…) »
29. Par arrêts du 18 juin 2001, la cour d’appel de Colmar rejeta une demande de sursis à statuer présentée par l’ARSEA.
30. Par deux arrêts du 9 septembre 2002, la cour d’appel de Colmar condamna l’ARSEA à payer aux requérants des rappels de salaires.
b) Les procédures relatives à Mme Compain, MM. Beleme et Claudel
31. Par trois arrêts du 17 mai 2001, la cour d’appel de Colmar, après avoir écarté l’application de l’article 29 de la loi du 19 janvier 2000, infirma partiellement les jugements et condamna l’association Fondation Saint-Jacques à payer des rappels de salaires aux requérants. L’association se pourvut en cassation.
3. Requête n° 13045/04
32. Par deux arrêts du 3 juillet 2001, la cour d’appel de Bordeaux réforma le jugement du 25 juin 1999 et condamna l’APAJH à verser des rappels de salaires aux requérants dans la limite de cinq années. Elle indiqua notamment :
« (…) En outre, l’APAJH ne peut pas davantage demander le bénéfice de l’application de la loi Aubry II, article 29, en ce que si les instances des appelants étaient en cours lors de l’entrée en vigueur de la loi, aucun motif d’impérieux intérêt général ne pouvait être invoqué pour autoriser l’ingérence du pouvoir législatif dans l’administration de la justice afin d’influer sur le dénouement judiciaire d’un litige, conformément aux principes découlant de l’article 6 § 1 de la Convention européenne des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (…) »
4. Requête n° 13076/04
33. Par trois arrêts du 4 juillet 2002, la cour d’appel de Toulouse confirma le jugement en ce qu’il avait jugé que les heures de surveillance nocturne devaient être rémunérées en temps de travail effectif et condamna l’AGOP à payer des rappels de salaire plus élevés que ceux fixés en première instance. S’agissant de l’article 29 de la loi du 19 janvier 2000, la cour d’appel estima notamment ce qui suit :
« Attendu que cette disposition a été jugée contraire à l’article 6 § 1 de la convention européenne des droits de l’homme en ce qu’elle conduisait à une ingérence du législateur dans le règlement des litiges en cours pour des considérations liées à la protection des seuls intérêts financiers de l’autorité publique ;
Attendu que ce moyen est sans incidence sur le présent litige puisque les salariés concernés ont saisi le conseil de prud’hommes postérieurement à la loi du 19 janvier 2000 et ne réclament de rappels de rémunération qu’à partir du 1er février 2000 date d’entrée en vigueur de la loi ;
Attendu qu’il reste à savoir si ce texte et notamment les dispositions de l’article 29 sont applicables aux litiges introduits après cette date ;
Attendu que force est de constater que la loi est muette sur cette question ; qu’elle ajoute toutefois à l’article L. 212.4 du code du travail un 4ème alinéa aux termes duquel « un horaire d’équivalence peut être institué dans les professions et pour les emplois comportant des périodes d’inaction soit par décret pris après conclusion d’une convention ou d’un accord de branche soit par décret en Conseil d’Etat » ;
Attendu que ce décret n’est intervenu que le 31 décembre 2001 et a pris effet à compter du 3 janvier 2002 ;
Attendu que pour la période intermédiaire entre la date d’entrée en vigueur de la loi du 19 janvier 2000 et le 3 janvier 2002 le problème de la rémunération des heures de surveillance nocturne dans les établissements du secteur sanitaire et social reste entier ;
(…) la loi du 19 janvier 2000 qui réglemente pour l’avenir les conditions dans lesquelles peut être institué un régime dérogatoire d’équivalence n’a pu valider dans son article 29 que les versements effectués avant sa date d’entrée en vigueur (…) »
34. L’AGOP se pourvut en cassation contre ces trois arrêts.
5. Requête n° 14838/04
35. Par arrêt du 29 avril 2002, la cour d’appel de Limoges confirma le jugement, compte tenu des termes de l’article 29 de la loi du 19 janvier 2000.
6. Requête n° 17558/04
36. Par arrêt du 8 janvier 2001, la cour d’appel de Limoges infirma le jugement, aux motifs notamment que le législateur s’étant borné à limiter la portée de l’interprétation jurisprudentielle de la législation existante et que l’article 29 de la loi du 19 janvier 2000 devait dès lors s’appliquer en l’espèce.
7. Requête n° 30488/04
37. Par trois arrêts du 30 juin 1998, la cour d’appel d’Angers infirma les jugements et débouta les requérants. Ces derniers se pourvurent en cassation.
38. Le 24 avril 2001, la Cour de cassation, estimant que le travail en cause constituait un travail effectif et qu’aucun texte ne prévoyait la possibilité d’appliquer un horaire d’équivalence pour des salariés employés à temps partiel, cassa les arrêts du 30 juin 1998 et renvoya les causes devant la cour d’appel de Rennes.
39. Par trois arrêts du 17 mai 2002, la cour d’appel de Rennes fit droit à la demande des requérants, après avoir écarté l’application de l’article 29 de la loi du 19 janvier 2000 en l’absence d’impérieux motif d’intérêt général. L’employeur forma un pourvoi en cassation contre ces arrêts.
8. Requête n° 45576/04
40. Par neuf arrêts du 21 février 2003, la cour d’appel de Toulouse, se fondant sur l’article 29 de la loi du 19 janvier 2000, infirma les jugements du conseil de prud’hommes et débouta les requérants. Ces derniers formèrent un pourvoi en cassation.
9. Requête n° 20389/05
41. Par arrêt du 10 juin 2002, la cour d’appel de Bordeaux confirma le jugement en son principe et alloua d’autres sommes à titre de rappels de salaires aux requérants. A l’argument tiré de l’article 29 de la loi du 19 janvier 2000, intervenue en cours de procédure, la cour d’appel répondit notamment comme suit :
« Si aucune décision passée en force de chose jugée n’est intervenue dans l’instance opposant l’ADAPEI aux salariés concernés, le principe de prééminence du droit et la notion de procès équitable résultant de l’article 6 § 1 de la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales s’opposent néanmoins, sauf pour d’impérieux motifs d’intérêt général, à l’ingérence du pouvoir législatif dans l’administration de la justice afin d’influer sur le dénouement judiciaire d’un litige.
Or, nonobstant l’incontestable intérêt financier des associations en cause et, indirectement, des collectivités publiques qui en assurent le financement par le paiement d’un prix de journée, le but poursuivi par l’autorité législative, qui est de palier à l’absence dans la branche professionnelle considérée d’horaire d’équivalence, ne saurait être considéré comme un motif impérieux d’intérêt général. (…) »
42. Les deux associations formèrent un pourvoi en cassation.
C. La Cour de cassation
1. Requêtes nos 31501/03, 31870/03, 13045/04, 30488/04 et 20389/05
43. Par arrêts des 2 avril 2003 (no 31501/03), 18 mars 2003 (no 31870/03, pour MM. Buys et Gérometta), 11 juin 2003 (no 31870/03, pour Mme Compain, MM. Beleme et Claudel), 30 septembre 2003 (no 13045/04), 4 février 2004 (no 30488/04) et 1er décembre 2004 (no 20389/05), la Cour de cassation cassa sans renvoi les arrêts des cours d’appel, estimant ce qui suit :
« Qu’en statuant ainsi, alors qu’obéit à d’impérieux motifs d’intérêt général l’intervention du législateur destinée à aménager les effets d’une jurisprudence nouvelle de nature à compromettre la pérennité du service public de la santé et de la protection sociale auquel participent les établissements pour personnes inadaptées et handicapées, la cour d’appel, en écartant l’application de l’article 29 de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 au présent litige, a violé les textes susvisés ;
(…) la [Cour de cassation] est en mesure, conformément à l’article 627, alinéa 2, du nouveau code de procédure civile, de mettre fin au litige en appliquant la règle de droit appropriée (…) »
2. Requête n° 13076/04
44. Par arrêt du 30 septembre 2003, la chambre sociale de la Cour de cassation, joignant les trois pourvois, cassa sans renvoi les arrêts de la cour d’appel de Toulouse, estimant ce qui suit :
« Qu’en statuant ainsi, en s’abstenant de faire application au litige dont elle était saisie des dispositions de l’article 29 de la loi du 19 janvier 2000, entrée en vigueur avant qu’elle ne se prononce, pour la période comprise entre le 1er février 2000 et la date d’entrée en vigueur du décret n° 2001-1384 du 31 décembre 2001 instituant une durée d’équivalence de la durée légale du travail dans les établissements sociaux et médicaux-sociaux gérés par des personnes privées à but non lucratif, la cour d’appel a violé, par refus d’application, le texte susvisé ;
(…) la cour est en mesure, conformément à l’article 627, alinéa 2, du nouveau code de procédure civile, de mettre fin au litige en appliquant la règle de droit appropriée (…) »
3. Requête n° 14838/04
45. Par arrêt du 15 octobre 2003, la Cour de cassation déclara les pourvois des requérants non admis.
4. Requête n° 17558/04
46. Par arrêt du 17 décembre 2003, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant aux motifs suivants :
« (…) si le législateur peut adopter, en matière civile, des dispositions rétroactives, le principe de prééminence du droit et la notion de procès équitable consacrés par l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales s’opposent, sauf pour d’impérieux motifs d’intérêt général, à l’ingérence du pouvoir législatif dans l’administration de la justice afin d’influer sur le dénouement judiciaire des litiges ;
Et attendu qu’obéit à d’impérieux motifs d’intérêt général l’intervention du législateur destinée à aménager les effets d’une jurisprudence nouvelle de nature à compromettre la pérennité du service public de la santé et de la protection sociale auquel participent les établissements pour personnes inadaptées et handicapées ; que dès lors, la cour d’appel, en faisant application de l’article 29 de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 au présent litige, a légalement justifié sa décision ».
5. Requête n° 45576/04
47. Par arrêt du 30 septembre 2003, la chambre sociale de la Cour de cassation, après avoir joint les pourvois, les rejeta.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. La jurisprudence interne
1. La jurisprudence favorable aux salariés
a) Les juges du fond
48. Les cours d’appel de Bordeaux (3 juillet 2001 et 10 juin 2002), de Caen (22 octobre 2001), de Colmar (28 février 2001), de Nîmes (23 octobre 2001), de Nancy (24 avril et 5 juin 2002), d’Orléans (7 et 14 décembre 2000, 31 janvier et 1er février 2002), de Paris (27 juin et 16 novembre 2000), de Rennes (17 mai 2002), de Toulouse (25 février 2000 et 4 juillet 2002) et de Versailles (11 mai 2000) ont écarté l’application de l’article 29 de la loi du 19 janvier 2000 aux instances en cours. Elles ont motivé leur position par référence à l’article 6 § 1 de la CEDH, à la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme et à l’absence d’impérieux motif d’intérêt général.
b) La Cour de cassation
49. Par arrêt du 13 novembre 1990, la chambre sociale de la Cour de cassation a limité la possibilité de dérogation conventionnelle instituée par la législation alors en vigueur relative à l’aménagement du temps de travail (Bull. civ. V, n° 549). Elle réaffirma ce principe par un arrêt du 16 juillet 1997 (Bull. civ. V, n° 279).
50. Par quatre arrêts des 9 mars (Bull. civ. V, n° 111), 6 avril et 4 mai 1999, elle a semblé admettre la validité du régime d’équivalence institué par la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées. L’avocat général S. Kherig en a conclu, dans le cadre de l’affaire qui donnera lieu à un arrêt du 29 juin 1999, que ces décisions entretenaient, sinon accroissaient, l’incertitude au sujet des régimes d’équivalence.
51. Le 29 juin 1999, la Cour de cassation a renoué avec la solution dégagée en 1990 (Bull. civ. V, n° 307). Elle a ainsi jugé : d’une part, que la convention collective de 1966 ne pouvait valablement édicter un horaire d’équivalence opposable aux salariés ; d’autre part, que les salariés étaient, durant les surveillances de nuit, à la disposition de l’employeur et que, dès lors, il s’agissait d’un travail effectif devant être rémunéré comme des heures de travail normal avec les conséquences qui en découlent en terme de rémunération (y compris en tenant éventuellement compte de majorations pour heures supplémentaires).
52. Le 16 mai 2000, la Cour de cassation a confirmé sa position du 29 juin 1999, en visant tant la directive 93/104/CE que les dispositions pertinentes du code du travail (article L. 212-4).
53. Par arrêt du 24 avril 2001 (Bull. civ. V, n° 130), la Cour de cassation a par ailleurs écarté l’applicabilité de l’article 29 de la loi du 19 janvier 2000 sur le fondement de l’article 6 § 1 de la CEDH et en raison de l’absence d’impérieux motif d’intérêt général, jugeant notamment ce qui suit :
« Et attendu que la cour d’appel a relevé que l’association était chargée d’une mission de service public et placée sous le contrôle d’une autorité publique qui en assure le financement par le paiement d’un prix de journée, que le procès était en cours lors de l’entrée en vigueur de l’article 29 de la loi du 19 janvier 2000 et que ce texte, dont il n’est pas établi qu’un motif impérieux d’intérêt général le justifiait, remettait en cause, au profit de l’association, une jurisprudence favorable au salarié en matière d’heures d’équivalence ; qu’au vu de ces constatations, elle a décidé, à bon droit, par application de l’article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, d’écarter l’article 29 de la loi du 19 janvier 2000 pour juger le litige dont elle était saisie »
2. La jurisprudence défavorable aux salariés
54. Les cours d’appel de Limoges (8 janvier 2001 et 29 avril 2002) et de Montpellier (12 septembre 2003) ont rejeté les demandes des salariés, ainsi que la cour de Toulouse le 25 février 2000, mais cette dernière est revenue sur sa position avec l’arrêt précité du 4 juillet 2002.
55. Par arrêt du 24 janvier 2003, l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation a jugé que les dispositions de l’article 29 de la loi du 19 janvier 2000 devaient s’appliquer aux procédures en cours au 1er février 2000. Compte tenu de la portée d’un arrêt rendu par l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation, les cours d’appels ont adopté une solution identique (cours d’appel de Toulouse le 21 février 2003, de Chambéry le 25 mars 2003 et d’Aix-en-Provence le 12 janvier 2004). Elle a maintenu sa position par la suite.
B. La loi litigieuse
56. L’article 29 de la loi du 19 janvier 2000 fut ajouté dans une loi qui concernait un autre sujet, à savoir « la réduction négociée du temps de travail » (devenue la loi dite Aubry II ou loi « sur les 35 heures »), comme l’ont notamment relevé les cours d’appel de Paris et de Colmar dans les termes suivants :
« (…) ce texte inclus dans une loi « relative à la réduction négociée du temps de travail », est issu d’un amendement présenté après que la Cour de cassation a, dans un arrêt du 29 juin 1999, déclaré illicite le régime d’équivalence institué par l’article II de l’annexe 3 de la convention collective nationale des établissements et services pour personnes handicapées et inadaptées du 15 mars 1966.
Aucun élément ne permet de considérer que l’intervention du législateur était prévisible, pas plus que ne peut être étayée la thèse d’une intention initiale pervertie, s’agissant d’un litige sur l’application d’une convention adoptée par les partenaires sociaux ; il résulte des travaux préparatoires que l’article en cause visait à contrecarrer le revirement de la jurisprudence de la Cour de cassation, intervenu le 29 juin 1999. (…) » (cour d’appel de Paris, 27 juin 2000)
« (…) ce texte a été voté, ainsi que cela résulte des débats parlementaires, pour contrecarrer le revirement de jurisprudence opéré par la Cour de cassation dans son arrêt du 29 juin 1999 (…) alors que celui-ci mettait fin aux décisions divergentes des juridictions inférieures. Inclus au surplus dans une loi traitant de « la réduction négociée du temps de travail », ce qui démontre une certaine précipitation pour le faire adopter, ce texte n’avait donc rien de prévisible. (…) » (cour d’appel de Colmar, 30 octobre 2000)
C. Le Conseil d’Etat et la Cour de Justice des Communautés européennes
57. A la suite du recours pour excès de pouvoir introduit par M. Dellas, éducateur spécialisé, ainsi que par trois organisations syndicales, tendant à l’annulation du décret n° 2001-1384 du 31 décembre 2001 pris pour l’application de l’article L. 212-4 du code du travail et instituant une durée d’équivalence de la durée légale du travail dans les établissements sociaux et médico-sociaux gérés par des personnes privées à but non lucratif, le Conseil d’Etat a saisi la Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE) d’une demande de décision préjudicielle portant sur l’interprétation de la directive 93/104/CE du 23 novembre 1993.
58. Par arrêt du 1er décembre 2005, la CJCE a estimé que la directive 93/104/CE s’oppose au système d’équivalence litigieux, s’exprimant dans les termes suivants :
« (…)
37 Tant dans la décision de renvoi que dans la plupart des observations qui ont été soumises à la Cour a été évoquée l’incidence qu’un tel régime d’équivalence est susceptible d’avoir non seulement sur l’horaire de travail des salariés concernés, mais également sur le niveau des rémunérations perçues par ceux-ci.
38 Toutefois, s’agissant de ce dernier aspect, il y a lieu de préciser d’emblée que, ainsi qu’il ressort tant de la finalité que du libellé même de ses dispositions, la directive 93/104 ne trouve pas à s’appliquer à la rémunération des travailleurs.
39 Au demeurant, cette interprétation résulte désormais sans ambiguïté de l’article 1377, paragraphe 6, CE, selon lequel ne sauraient s’appliquer aux rémunérations les prescriptions minimales que le Conseil de l’Union européenne peut adopter par voie de directives et qui sont destinées notamment, comme au principal, à assurer la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs.
(…)
50 S’agissant de l’espèce au principal, il convient de relever qu’il résulte des points 40 à 49 du présent arrêt que le respect de tous les seuils ou plafonds prévus par la directive 93/104 dans le but de protéger de manière efficace la sécurité et la santé des travailleurs doit être assuré par les États membres et que, à cette fin, les services de garde accomplis par un travailleur tel que M. Dellas sur le lieu même de son emploi doivent être pris en compte dans leur totalité lors de la détermination de la durée maximale quotidienne et hebdomadaire de travail autorisée par le droit communautaire − laquelle inclut les heures supplémentaires −, indépendamment de la circonstance que, durant ces gardes, l’intéressé n’exerce pas effectivement une activité professionnelle continue (voir arrêt Pfeiffer e.a., précité, points 93 et 95).
51 Certes, l’article 15 de la directive 93/104 permet expressément l’application ou l’introduction de dispositions nationales plus favorables à la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs.
(…)
54 Or, force est de constater dans ce contexte, ainsi que le gouvernement français l’a lui-même reconnu lors de l’audience en réponse à une question posée par la Cour, que le mode de computation des services de garde dans le cadre du régime d’équivalence en cause au principal est de nature à imposer au travailleur concerné un temps de travail global pouvant atteindre, voire même dépasser, 60 heures par semaine.
55 En conséquence, un tel régime national excède manifestement la durée maximale hebdomadaire de travail qui est fixée à 48 heures en vertu de l’article 66, point 2, de ladite directive.
56 Cette appréciation n’est remise en cause ni par l’allégation du gouvernement français selon laquelle le régime d’équivalence en vigueur dans cet État membre, qui consiste certes dans l’application d’un mécanisme de pondération destiné à tenir compte de l’existence de périodes d’inaction pendant les services de garde, n’en comptabilise pas moins l’intégralité des heures de présence des travailleurs pour la détermination de leurs droits au repos quotidien et hebdomadaire, ni par la constatation de la juridiction de renvoi selon laquelle la réglementation nationale qui fait l’objet des recours pendants devant elle se distingue de celles en cause dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts précités Simap et Jaeger, en ce qu’elle n’assimile pas à du temps de repos les périodes durant lesquelles le salarié, présent sur le lieu de son travail en vue d’accomplir un service de garde, n’est pas effectivement sollicité.
57 En effet, il est constant que, en application d’une réglementation nationale telle que celle en cause au principal, les heures de présence du travailleur dans l’établissement de son employeur pendant les services de garde, qui comprennent des périodes d’inactivité, ne sont prises en compte que partiellement, conformément à des coefficients de nature forfaitaire, pour le calcul des heures supplémentaires et, partant, pour la détermination des durées maximales de travail, alors que le droit communautaire exige que ces heures de présence soient comptabilisées intégralement en tant qu’heures de travail.
(…)
63 Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées que la directive 93/104 doit être interprétée en ce sens que :
– elle s’oppose à la réglementation d’un État membre qui, s’agissant des services de garde que les travailleurs de certains établissements sociaux et médico-sociaux accomplissent selon le régime de la présence physique sur le lieu même de travail, prévoit, pour les besoins du décompte du temps de travail effectif, un système d’équivalence tel que celui en cause au principal, lorsque le respect de l’intégralité des prescriptions minimales édictées par cette directive en vue de protéger de manière efficace la sécurité et la santé des travailleurs n’est pas assuré ;
– dans l’hypothèse où le droit national fixe, notamment pour la durée maximale hebdomadaire de travail, un plafond plus favorable aux travailleurs, les seuils ou plafonds pertinents pour vérifier l’observation des règles protectrices prévues par ladite directive sont exclusivement ceux énoncés par cette dernière. (…) »
59. Avant de rendre cette décision, la CJCE avait déjà eu l’occasion de se prononcer sur les régimes d’équivalence (3 octobre 2000, Simap, C-303/98, Recueil p. I-7963 ; 9 septembre 2003, Jaeger, C-151/02, Recueil p. I-8389 ; 5 octobre 2004, Pfeiffer e.a., C-397/01 à C-403/01).
60. Par arrêt du 28 avril 2006, le Conseil d’Etat, compte tenu de la décision de la CJCE du 1er décembre 2005, jugea que le décret n° 2001-1384 du 31 décembre 2001 était partiellement entaché d’illégalité, en tant qu’il ne fixait pas les limites dans lesquelles devait être mis en œuvre le régime d’équivalence ainsi créé pour garantir le respect des seuils et plafonds communautaires prévus par la directive 93/104/CE du 23 novembre 1993.
61. Par ailleurs, dans un avis du 27 mai 2005, relatif à une loi rétroactive visant à limiter les conséquences financières de l’application du principe communautaire d’égalité entre les sexes en matière de sécurité sociale, le Conseil d’Etat a estimé que la remise en cause rétroactive de la situation de fonctionnaires, remplissant les conditions antérieurement applicables et ayant présenté avant la publication de la loi une demande qui avait donné lieu à une décision de refus, portait atteinte à leurs créances et méconnaissait les dispositions de l’article 1er du Protocole n° 1 et ce, que les intéressés aient ou non engagé une action en justice en vue de faire reconnaître leurs droits avant la promulgation de la loi rétroactive (avis n° 277975, Recueil p. 212).
EN DROIT
62. La Cour juge d’emblée qu’il y a lieu de joindre les requêtes en vertu de l’article 42 § 1 de son règlement.
I. SUR LA RECEVABILITÉ
A. La requête n° 13076/04
63. Les requérants invoquent une violation des articles 6 § 1 de la Convention et 1er du Protocole n° 1, pris seuls et combinés avec l’article 14 de la Convention, dont les dispositions pertinentes se lisent ainsi :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (…) par un tribunal (…), qui décidera (…) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (…) »
Article 14
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (…) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
64. La Cour constate tout d’abord que, dans cette affaire, les requérants ont saisi le conseil de prud’hommes après l’adoption de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 et ce, pour ne réclamer que le paiement de rappels de salaires entre le 1er février 2000, date d’entrée en vigueur de la loi, et le 3 janvier 2002, date de prise d’effet du décret d’application du 31 décembre 2001.
En conséquence, force est de constater que leur situation et le fondement de leur recours devant les juridictions internes diffèrent substantiellement des autres requérants, qui se plaignaient de l’adoption de la loi du 19 janvier 2000 et de son application rétroactive par les juridictions internes à des procédures judiciaires en cours, comme cela a été expressément relevé par la cour d’appel de Toulouse (paragraphe 33 ci-dessus).
Or si la loi du 19 janvier 2000 était muette sur la question des rappels de rémunération entre son entrée en vigueur et la prise d’effet du décret du 31 décembre 2001, la Cour de cassation a pris soin de rappeler que les dispositions de la loi, notamment son article 29, devaient recevoir application dès son entrée en vigueur (paragraphe 44 ci-dessus).
Partant, la Cour constate que leurs griefs concernent en réalité une simple situation d’applications successives de la loi civile dans le temps et que, par ailleurs, ils n’établissent pas, dans les circonstances de l’espèce, avoir été titulaires d’un « bien », au sens de l’article 1er du Protocole n° 1, pour la période litigieuse.
Il s’ensuit que les griefs tirés des articles 6 et 14 de la Convention, manifestement mal fondés, et que le grief tiré de l’article 1er du Protocole n° 1, incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention, doivent être rejetés en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
B. Les autres requêtes
65. La Cour constate que les autres requêtes ne sont pas manifestement mal fondées au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celles-ci ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de les déclarer recevables.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1er DU PROTOCOLE No 1 PRIS SEUL ET COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION
66. Les requérants, qui se plaignent de l’adoption de la loi du 19 janvier 2000 et de son application rétroactive par les juridictions internes, se considèrent victimes d’une atteinte à leur droit au respect de leurs biens et invoquent une violation de l’article 1er du Protocole n° 11.
67. Certains requérants (requêtes nos 31501/03, 31870/03, 13045/04, 14838/04, 17558/04, 45576/04 et 20389/05) invoquent également l’article 14 de la Convention.
A. Arguments des parties
1. Le Gouvernement
68. Le Gouvernement note que les requérants invoquent un droit de créance salariale mais qu’ils n’ont pas tous obtenu satisfaction en première instance, certains ayant été déboutés (requêtes nos 31870/03 et 13045/04), tandis que d’autres étaient en attente de décision au moment où la loi est intervenue (requêtes nos 14838/04 et 45576/04). En tout état de cause, les jugements intervenus dans certaines requêtes n’étaient pas définitifs et n’avaient donc pas l’autorité de la chose jugée. Il considère également que les requérants ne peuvent se placer sur le terrain de l’espérance légitime de voir se concrétiser une créance par une décision de justice, une telle « espérance légitime » devant reposer non sur le simple espoir d’être indemnisé mais sur une certitude d’obtenir gain de cause. Or la plupart des requérants ont introduit leur recours à un moment où la jurisprudence de la Cour de cassation leur était défavorable et les juridictions du fond partagées. Ainsi, il n’existait pas de jurisprudence bien établie en la matière et les requérants ne pouvaient légitimement croire à l’existence d’un droit acquis. En conséquence, le Gouvernement estime qu’il n’a pas été porté atteinte à un « bien » et que, par suite, le grief des requérants est incompatible ratione materiae avec les dispositions de l’article 1er du Protocole n° 11.
69. A titre subsidiaire, le Gouvernement considère que l’ingérence qu’ils auraient subie satisfaisait aux conditions de l’article 1er du Protocole n° 1. Il renvoie à ses observations relatives au grief tiré de l’article 6 de la Convention concernant les motifs d’intérêt général et le juste équilibre entre les moyens employés et les objectifs visés, insistant sur le fait qu’il lui apparaît difficile de contester que le but poursuivi constituait une cause d’utilité publique légitime et caractérisée. Enfin, il estime que l’avis du Conseil du 27 mai 2005, invoqué par des requérants, ne saurait s’appliquer à toute loi de validation et en dehors des circonstances propres à chaque affaire.
2. Les requérants
70. Des requérants indiquent tout d’abord que dans son avis du 27 mai 2005, le Conseil d’Etat a estimé que les conséquences financières de l’application d’une nouvelle jurisprudence ne sauraient justifier à elles seules la mise en œuvre d’une loi de validation faisant disparaître rétroactivement la créance des justiciables remplissant les conditions antérieurement applicables et ce, que des actions juridictionnelles aient été ou non introduites avant la promulgation de la loi litigieuse. Dès lors, il n’est pas nécessaire que la créance soit définitivement acquise pour qu’une partie puisse se prévaloir d’une violation de l’article 1er du Protocole n° 1. Or, en l’espèce, les requérants estiment que la loi du 19 janvier 2000 a exonéré l’Etat, en raison de ses engagements financiers, et les employeurs, d’obligations contractuelles pesant sur eux, en supprimant, avec effet rétroactif, les créances salariales qui leur étaient dues en vertu de la jurisprudence de la Cour de cassation du 29 juin 1999. Ils considèrent qu’il ne saurait être contesté qu’ils disposaient d’une « espérance légitime », au vu de la jurisprudence applicable avant la loi litigieuse, d’obtenir gain de cause et que, partant, ils étaient titulaires d’un « bien » au sens de l’article 1er du Protocole n° 11.
71. Ils ajoutent qu’il n’est pas démontré que la pérennité des services en cause aurait été menacée pendant la période couverte par cette loi et que l’ingérence a rompu l’équilibre entre les exigences de l’intérêt général et la sauvegarde de leurs droits, comme ils l’ont démontré dans leurs observations sur le grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention.
B. Appréciation de la Cour
1. Sur l’existence d’un bien au sens de l’article 1er du Protocole n° 1
72. La Cour note que les parties ont des vues divergentes quant à la question de savoir si les requérants étaient ou non titulaires d’un « bien » susceptible d’être protégé par l’article 1er du Protocole n° 1. Par conséquent, elle est appelée à déterminer si la situation juridique dans laquelle se sont trouvés les requérants est de nature à relever du champ d’application de l’article 1er.
73. La Cour relève, outre une majorité de juridictions du fond en faveur des salariés des établissements concernés, que la Cour de cassation avait adopté une position favorable à la thèse des requérants dès le 13 novembre 1990, position confirmée dans un arrêt du 16 juillet 1997. Certes, quatre arrêts en date des 9 mars, 6 avril et 4 mai 1999 avaient suscité des interrogations et entretenu l’incertitude quant aux régimes d’équivalence. Force est cependant de constater que très rapidement, à savoir dès le 29 juin 1999, la Cour de cassation a clairement réaffirmé sa position de principe sur la question, qui avait été la sienne depuis 1990. La cour suprême a d’ailleurs confirmé une nouvelle fois ce principe après l’entrée en vigueur de la loi litigieuse, par un arrêt du 24 avril 2001 publié au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, allant même à en conclure que l’application de ladite loi devait être écartée (paragraphe 53 ci-dessus).
A titre surabondant, la Cour note que, par une décision du 1er décembre 2005, la Cour de Justice des Communautés européennes a, quant à elle, estimé que la directive 93/104/CE s’opposait au système français d’équivalence relatif aux services de garde dans certains établissements sociaux et médico-sociaux et ce, indépendamment de la question, sur laquelle les parties ne s’accordent pas, de la portée directe ou indirecte de cette décision sur la rémunération subséquente à ce régime. Cette décision a entraîné une annulation partielle du décret du 31 décembre 2001 par un arrêt du Conseil d’Etat en date du 28 avril 2006 (paragraphe 60 ci-dessus).
74. Compte tenu de ce qui précède, la Cour considère que les requérants bénéficiaient d’un intérêt patrimonial en l’espèce qui constituait, sinon une créance à l’égard de leurs adversaires, du moins une « espérance légitime », de pouvoir obtenir le paiement des rappels de salaire pour les heures litigieuses, qui avait le caractère d’un « bien » au sens de la première phrase de l’article 1er du Protocole n° 1 (Pine Valley Developments Ltd et autres c. Irlande, arrêt du 29 novembre 1991, série A n° 222, p. 23, § 51 ; Dangeville c. France, arrêt du 16 avril 2002, Recueil des arrêts et décisions 2002-III, § 48 ; Lecarpentier c. France, n° 67847/01, §§ 37-38, 14 février 2006). L’intervention d’une loi destinée à contrer la jurisprudence de la Cour de cassation, favorable aux requérant, vient assurément conforter ce constat. L’article 1er du Protocole n° 1 est donc applicable au cas d’espèce.
2. Sur l’existence d’une ingérence et la règle applicable
75. La loi litigieuse a entraîné une ingérence dans l’exercice des droits que les requérants pouvaient faire valoir en vertu de la jurisprudence en vigueur et, partant, de leur droit au respect de leurs biens.
76. La Cour relève que, dans les circonstances de l’espèce, cette ingérence s’analyse en une privation de propriété au sens de la seconde phrase du premier alinéa de l’article 1er du Protocole n° 1 à la Convention (voir notamment, mutatis mutandis, les arrêts Maurice et Draon c. France [GC], nos 28719/95 et 1513/03, CEDH 2005-IX, respectivement §§ 80 et 72 ; Lecarpentier, précité, §§ 39-40). Il lui faut donc rechercher si l’ingérence dénoncée se justifie sous l’angle de cette disposition.
3. Sur la justification de l’ingérence
a) « Prévue par la loi »
77. Il n’est pas contesté que l’ingérence litigieuse ait été « prévue par la loi », comme le veut l’article 1er du Protocole n° 11.
78. En revanche, les avis des parties divergent quant à la légitimité d’une telle ingérence. Dès lors, la Cour doit rechercher si celle-ci poursuivait un but légitime, à savoir s’il existait une « cause d’utilité publique », au sens de la seconde phrase du premier alinéa de l’article 1er du Protocole n° 1 à la Convention.
b) « Pour cause d’utilité publique »
79. La Cour estime que, grâce à une connaissance directe de leur société et de ses besoins, les autorités nationales se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour déterminer ce qui est « d’utilité publique ». Dans le mécanisme de protection créé par la Convention, il leur appartient par conséquent de se prononcer les premières sur l’existence d’un problème d’intérêt général justifiant des privations de propriété. Dès lors, elles jouissent ici d’une certaine marge d’appréciation, comme en d’autres domaines auxquels s’étendent les garanties de la Convention.
80. De plus, la notion d’« utilité publique » est ample par nature. En particulier, la décision d’adopter des lois portant privation de propriété implique d’ordinaire l’examen de questions politiques, économiques et sociales. Estimant normal que le législateur dispose d’une grande latitude pour mener une politique économique et sociale, la Cour respecte la manière dont il conçoit les impératifs de l’« utilité publique », sauf si son jugement se révèle manifestement dépourvu de base raisonnable (Pressos Compania Naviera S.A. et autres c. Belgique, arrêt du 20 novembre 1995, série A n° 332, § 37 ; Broniowski c. Pologne [GC], n° 31443/96, § 149, CEDH 2004-V ; Lecarpentier, précité, § 44).
81. En l’espèce, le Gouvernement affirme que l’article 29 de la loi du 19 janvier 2000 procédait d’un double motif d’intérêt général : d’une part, assurer la sécurisation juridique en limitant la portée du revirement jurisprudentiel opéré par l’arrêt du 29 juin 1999 ; d’autre part, préserver la pérennité et la continuité du service public de la santé et de la protection sociale.
82. S’agissant de la nécessité de mettre un terme à une incertitude juridique, la Cour rappelle qu’elle a constaté que la Cour de cassation avait adopté une position favorable aux salariés, dans le cadre d’une jurisprudence de nature à permettre aux requérants d’invoquer l’existence d’un « bien » au sens de l’article 1er du Protocole n° 1 (paragraphes 31-32 ci-dessus).
83. Quant à la nécessité de préserver la pérennité et la continuité d’un service public, la Cour rappelle qu’en principe un motif financier ne permet pas à lui seul de justifier une telle intervention législative (voir, notamment, Zielinski et Pradal et Gonzalez et autres c. France, arrêt du 28 octobre 1999, CEDH 1999-VII, § 59). En tout état de cause, dans les faits de l’espèce, aucun élément ne vient étayer l’argument selon lequel l’impact aurait été d’une telle importance que l’équilibre du secteur de la santé et de la protection sociale aurait été mis en péril. Le Parlement lui-même n’a pas reçu d’informations précises à ce sujet, puisqu’il ne disposait que d’une estimation, au demeurant fournie par le syndicat des associations employeurs, adversaires des requérants dans les procès en cours, fixée à quatre milliards de francs, soit pratiquement six cent dix millions d’euros. Or dans ses écritures, le Gouvernement, sans pour autant proposer des critères objectifs susceptibles de convaincre la Cour, avance quant à lui un montant de cent quatre-vingts millions d’euros. Outre l’absence d’évaluation crédible du coût virtuel des procédures en cours et futures, lesquelles n’ont pas davantage été recensées, force est de constater que la question ne concernait que certains établissements, à savoir ceux qui pratiquaient des heures de permanence de nuit en chambre de veille. Par ailleurs, les salariés relevaient de statuts différents et, partant, percevaient des rémunérations substantiellement différentes, ce qui était assurément de nature à influencer le résultat d’une estimation précise. De fait, si les budgets des établissements concernés auraient pu souffrir de l’absence de la loi, il n’est pas établi que leur survie et, a fortiori, l’équilibre général du service public de la santé et de la protection sociale, auraient été menacés.
84. Compte tenu de ce qui précède, l’intervention législative litigieuse, qui réglait définitivement, de manière rétroactive, le fond des litiges pendants devant les juridictions internes, n’était pas justifiée par d’impérieux motifs d’intérêt général, ainsi que l’exige, notamment, le principe de la prééminence du droit (Zielinski et Pradal et Gonzalez et autres, précité, § 57).
85. Dans ces conditions, la Cour a des doutes sur le point de savoir si l’ingérence dans les biens des requérants servait une « cause d’utilité publique ».
86. En tout état de cause, la Cour rappelle qu’une mesure d’ingérence dans le droit au respect des biens doit ménager un juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu (voir, parmi d’autres, Sporrong et Lönnroth c. Suède, arrêt du 23 septembre 1982, série A n° 52, p. 26, § 69). Un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé par toute mesure privant une personne de sa propriété doit exister (Pressos Compania Naviera S.A. et autres, précité, § 38).
87. Or, dans les circonstances de l’espèce, l’article 29 de la loi du 19 janvier 2000 a définitivement réglé le fond du litige en donnant raison à l’une des parties, privant les requérants d’une « valeur patrimoniale » préexistante et faisant partie de leurs « biens », dont ils pouvaient légitimement espérer obtenir le paiement.
88. De l’avis de la Cour, la mesure litigieuse a fait peser une « charge anormale et exorbitante » sur les requérants (voir, Lecarpentier, précité, § 52) et l’atteinte portée à leurs biens a revêtu un caractère disproportionné, rompant le juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux des individus.
89. Partant, il y a eu violation de l’article 1er du Protocole n° 1. La Cour n’estime pas nécessaire d’examiner séparément le grief des requérants sous l’angle de l’article 1er du Protocole n° 1 combiné avec l’article 1414 de la Convention.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION PRIS SEUL ET COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 14
90. Les requérants invoquent également l’article 6 § 1 de la Convention.
91. Certains requérants (requêtes nos 31501/03, 13045/04, 14838/04, 17558/04, 45576/04 et 20389/05) invoquent également une violation de l’article 6 § 1 combiné avec l’article 1414 de la Convention.
A. Arguments des parties
1. Le Gouvernement
92. Le Gouvernement, après avoir rappelé le droit applicable, souligne à titre liminaire que le système des horaires d’équivalence n’est pas contraire à la directive 93/104/CE du Conseil et à l’arrêt rendu par la Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE) le 1er décembre 2005 (paragraphe 95 ci-dessous). Il souligne que la CJCE a clairement délimité les effets de cette jurisprudence en précisant qu’ils ne concernent que la détermination du temps de travail effectif des salariés des établissements sociaux, et non les difficultés susceptibles de se poser quant à l’indemnisation de ces heures de travail. Il ajoute que la CJCE ne dispose d’aucune compétence pour statuer en matière de rémunération, ce domaine relevant de la compétence des autorités nationales des Etats membres de l’Union européenne. En conséquence, la CJCE n’a pas jugé le décret du 31 décembre 2001 contraire à la directive 93/104/CE, ce qu’a confirmé le Conseil d’Etat dans son arrêt du 28 avril 2006 en ne prononçant qu’une annulation partielle dudit décret.
93. Par ailleurs, le Gouvernement considère, au vu de la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme en matière de « validations législatives », que le grief des requérants est manifestement mal fondé, l’ingérence du législateur dans l’administration de la justice ayant été justifiée par « d’impérieux motifs d’intérêt général ». En premier lieu, l’intervention du législateur répondait à un impératif de sécurisation juridique, puisqu’il voulait limiter, de façon générale, la portée du revirement jurisprudentiel opéré par l’arrêt du 29 juin 1999. Il devait remédier, par une intervention purement normative, à un flottement jurisprudentiel, incontestable source d’insécurité juridique, puisque la jurisprudence admettait jusque là, implicitement, la validité du régime d’horaire d’équivalence institué par la convention collective du 15 mars 1966. De plus, l’intervention était nécessaire alors que la CJCE ne s’était pas prononcée sur la compatibilité du régime des équivalences français avec la directive 93/104/CE. En second lieu, l’intervention n’avait pas pour seule finalité la réalisation d’économies financières pour les associations concernées et l’Etat : elle était motivée par le souci de préserver la pérennité et la continuité du service public de la santé et de la protection sociale. Il relève notamment que si le législateur n’avait pas mis fin à la prolifération du contentieux, la plupart de ces associations et établissements auraient réellement risqué de disparaître, compte tenu du coût des arriérés, l’impact financier potentiel pour le rappel de salaire de 5 500 éducateurs spécialisés et chefs de service du secteur pouvant être évalué à 180 millions d’euros.
94. Enfin, le Gouvernement relève notamment que l’article 29 de la loi du 19 janvier 2000 respectait le principe de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé, dès lors que son champ d’application était doublement restreint : d’une part, les décisions de justice passées en force de chose jugée en étaient expressément exclues ; d’autre part, les versements contestés ne sont réputés litigieux qu’en tant que leur montant serait contesté sur le fondement de l’absence de validité des clauses de ces conventions collectives.
2. Les requérants
95. Les requérants, qui critiquent l’intervention du législateur et la promulgation de dispositions rétroactives défavorables en cours de procédures judiciaires, considèrent en premier lieu que l’arrêt de la CJCE du 1er décembre 2005 a condamné le régime des équivalences tel que consacré par la loi du 19 janvier 2000, de sorte que celle-ci ne peut être maintenue dans les termes actuels. Suite à cette condamnation de principe, les heures d’équivalence doivent être traitées comme du temps de travail effectif et faire l’objet d’une complète rémunération. La non-conformité du système des heures d’équivalence avec le droit communautaire interdit de soutenir que l’article 29 de la loi du 19 janvier 2000 répondrait à d’impérieux motifs d’intérêt général. MM. Sauton, Mellet et Benhamou indiquent également qu’en leur qualité de surveillants de nuit, ils se sont vus appliquer par leur employeur une rémunération sur la base d’un horaire d’équivalence applicable à une autre catégorie professionnelle : le mode de calcul en dehors d’une base conventionnelle ne peut donc a fortiori se justifier sur la base d’une législation interne elle-même jugée non conforme au droit communautaire.
96. S’agissant de l’impératif de « sécurisation juridique », ils rappellent que le système français confie à la Cour de cassation un rôle d’unification de la jurisprudence. Or si une incertitude a pu résulter de ses arrêts des 9 mars, 6 avril et 4 mai 1999 cités par l’avocat général, cette incertitude a été levée par les arrêts rendus le 29 juin 1999, précisément pour mettre fin à toute hésitation. Compte tenu de ce qu’il n’y avait plus de doute sur la pérennité et la stabilité de la jurisprudence, dans un sens favorable aux salariés, les organisations d’employeurs auraient alors tenté d’obtenir une intervention législative. Ils ajoutent que l’examen des travaux parlementaires permet de constater que cet impératif de sécurité juridique n’a jamais été mentionné, ce qui peut s’expliquer par le fait que l’article 29 n’avait aucun rapport avec le reste de la loi du 19 janvier 2000. En réalité, l’Etat a délibérément censuré un revirement de jurisprudence qui lui était défavorable.
97. Concernant le coût financier du contentieux et le péril pour les associations concernées, les requérants, qui rappellent que l’intérêt financier ne saurait justifier à lui seul l’ingérence législative, relèvent que les chiffres avancés par le Gouvernement ne reposent que sur une affirmation et non sur des données objectives. En particulier, ils relèvent que tous les éducateurs n’étaient pas susceptibles d’effectuer des permanences en chambre de veille, tous les établissements n’ayant pas ce type d’organisation, et que l’évaluation financière proposée ignore la classification des postes effectivement concernés au sein de chaque établissement et les substantielles différences de rémunérations. Ils déplorent que le Gouvernement ne soumette aucun justificatif, notamment quant au chiffrage des demandes présentées devant les juridictions internes au moment de l’entrée en vigueur de la loi litigieuse. Ils considèrent que les estimations non documentées du sénateur ayant présenté la proposition de loi étaient quant à elles si excessives que le Gouvernement lui-même ne les reprend pas. En tout état de cause, le syndicat des associations-employeurs avait délibérément fourni un chiffrage inexact, en évaluant les sommes en cause à quatre milliards de francs, somme finalement réduite à 180 millions d’euros par le Gouvernement défendeur, sans qu’il y ait davantage de justificatifs. En tout état de cause, ce seul motif financier, indéterminé, ne pouvait les priver de leur droit à engager des actions judiciaires et à bénéficier d’un procès équitable. Quant au service public, il n’était pas durablement menacé, les effets de la jurisprudence de la Cour de cassation du 29 juin 1999 étant quantifiables et limités du fait de la prescription de cinq ans.
98. Les requérants entendent d’ailleurs insister sur le fait que le financement des établissements concernés est public, les frais de personnel incombant aux régimes de sécurité sociale ou à l’administration, raison pour laquelle toutes les conventions collectives du secteur doivent être agréées par l’autorité administrative. Aussi la loi visait-elle non pas à protéger les établissements mais le budget de l’Etat, lequel avait donc un intérêt financier personnel dans l’adoption de cette loi de validation rétroactive et celui des collectivités territoriales.
99. Les requérants considèrent en outre que la loi n’avait pas une portée limitée, dès lors que les affaires définitivement jugées étaient rares. D’ailleurs, la loi est intervenue alors que leurs procédures étaient en cours. Pour un certain nombre de requérants, les jugements qui leur étaient favorables ont été réformés sur la seule base de la promulgation de l’article 29 de la loi du 19 janvier 2000 qui validait rétroactivement le mode de rémunération souhaité par les établissements défendeurs aux instances. Ils relèvent en outre une contradiction du Gouvernement à avancer l’argument tiré du coût exorbitant des contentieux pour assurer ensuite que la portée de la loi était limitée.
B. Appréciation de la Cour
100. La Cour constate que ces griefs se confondent largement avec le précédent. Eu égard aux circonstances particulières de la présente affaire, ainsi qu’au raisonnement qui l’a conduite à constater une violation de l’article 1er du Protocole n° 1 (paragraphe 89 ci-dessus), la Cour n’estime pas nécessaire d’examiner séparément le grief des requérants sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, pris seul ou combiné avec l’article 14.
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
101. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
102. Les requérants réclament, au titre des préjudices matériel et moral qu’ils auraient subi :
- dans la requête n° 31501/03, 26 550 euros (EUR) pour Mme Aubert, 13 654 pour Mme Michaux, 28 734 pour M. Boyard, 22 162 pour M. Casielles, et 25 292 pour M. Wasterlain, outre 15 000 EUR chacun au titre du préjudice moral ;
- dans la requête n° 13045/04, respectivement au titre des heures de travail effectif indûment rémunérées et des indemnités de congés payés subséquentes, 13 068,23 et 1 306,82 EUR pour M. Texier, 9 884,64 et 988,46 pour M. Tardieu-Dussol, 7 140,35 et 714,03 pour M. Merignac, 16 503,22 et 1 650,32 pour M. Vieceli, 16 887,45 et 1 688,74 pour M. Pagnon, 24 016,03 et 2 401,60 pour M. Pene, 11 429,10 et 1 142,91 pour Mme Garcia, 25 274,90 et 2 527,49 pour Mme Crouzille, 4 280 et 428,08 pour Mme Cadet, 9 463,33 et 946,33 pour Mme Jouclard, 9 127,97 et 912,79 pour Mme Chouquet, 8 329,48 et 832,94 pour Mme Pauillac, outre une somme au titre du préjudice moral de 35 483 EUR pour M. Merignac, 43 972,55 EUR pour M. Vieceli, 104 165 EUR pour Mme Crouzille, 41 906 EUR pour Mme Cadet et 15 000 EUR pour les autres ;
- dans la requête n° 14838/04, 6 623,88 EUR pour Mme Esnée, 3 648,37 pour Mme Tete-Marcon, 23 601,96 pour Mme Jaumot, 25 249,71 pour Mme Chaussade, 20 841,26 pour Mme Gouraud, 14 993 pour Mme Rosier, 24 856,38 pour M. Zen, 27 013,17 pour M. Guillon, 14 410,68 pour M. Fayemendy, 28 865,81 pour M. Jammet, outre 15 000 EUR chacun au titre du préjudice moral ;
- dans la requête n° 17558/04, 2 444,68 EUR au titre des heures de travail effectif indûment rémunérées, 806,74 et 248,76 EUR au titre d’heures supplémentaires et de primes, outre 15 000 EUR au titre du préjudice moral ;
- dans la requête n° 30488/04, respectivement au titre des heures de travail effectif indûment rémunérées, d’indemnités de congés payés subséquentes et d’intérêts, 27 190,33, 2 719,03 et 7 679,42 EUR pour M. Sauton, 44 001,93, 4 400,19 et 12 427,56 pour M. Mellet, 24 324,46, 2 432,44 et 6 870 pour M. Benhamou ;
- dans la requête n° 45576/04, 41 877,70 EUR pour Mme Marie José Marty, 45 404,35 pour Mme Michelle Marty, 45 890,31 pour Mme Lasserre, 46 545,53 pour Mme Héricourt, 27 550,72 pour Mme Dumas Vega, 26 819,06 pour Mme Carradonna, 45 752,64 pour Mme Boudreault, 39 540,99 pour M. Escax, 45 256,01 pour M. Cathala, outre 15 000 EUR chacun au titre du préjudice moral ;
- dans la requête n° 20389/05 respectivement au titre des heures de travail effectif indûment rémunérées, d’indemnités, d’indemnités complémentaires et de dommages-intérêts, 83 769,68, 8 532,07, 9 230,17 et 2 510 EUR pour M. Lenoir, 85 770,53, 7 272,31, 9 304,28 et 2 570 pour Mme Gautier, 100 082,67, 9 147,51, 10 923,02 et 3 000 pour Mme Prat, 56 539,13, 6 480,40, 6 301,95 et 1 690 pour Mme Wagner, outre 15 000 EUR chacun au titre du préjudice moral.
103. Le Gouvernement rappelle que seule pourrait donner lieu à réparation une éventuelle violation de l’article 6 § 1 de la Convention. Concernant le préjudice matériel allégué, il considère qu’il n’existe pas de lien de causalité entre le grief invoqué par les requérants et le préjudice qu’ils auraient subi. En tout état de cause, il estime que le seul constat éventuel de la violation de la Convention constituerait une satisfaction équitable.
104. La Cour relève que la seule base à retenir pour l’octroi d’une satisfaction équitable réside en l’espèce dans le fait que les requérants n’ont pu jouir des garanties de l’article 1er du Protocole n° 1. La Cour ne saurait certes spéculer sur ce qu’eût été l’issue du procès dans le cas contraire, mais elle considère que les intéressés ont subi une atteinte à leur droit au respect de leurs biens. Afin d’évaluer le dommage matériel subi à la lumière du constat auquel elle est parvenue, la Cour estime qu’il convient de se fonder sur le débat soumis devant les juridictions internes, relatif au paiement des heures de permanence nocturne en chambre de veille et, partant, sur les sommes accordées par les juridictions à ce seul titre ou, à défaut, sur les montants y relatifs sollicités devant elles. A quoi s’ajoute un préjudice moral, auquel le constat de violation figurant dans le présent arrêt ne suffit pas à remédier et pour lequel l’octroi d’une somme de 2 000 EUR par requérant peut être raisonnablement envisagé, étant entendu que la somme totale accordée par la Cour au titre de la satisfaction équitable ne saurait excéder, pour chacun des requérants, le montant de la demande présentée devant elle.
Compte tenu de ce qui précède, de sa jurisprudence en la matière et statuant en équité, comme le veut l’article 41, la Cour alloue les sommes suivantes aux requérants, tous préjudices confondus :
- dans la requête n° 31501/03, 28 500 EUR pour Mme Aubert, 15 500 pour Mme Michaux, 30 500 pour M. Boyard, 24 000 pour M. Casielles et 27 500 pour M. Wasterlain ;
- dans la requête n° 13045/04, 15 000 EUR pour M. Texier, 12 000 pour M. Tardieu-Dussol, 9 000 pour M. Merignac, 18 500 pour M. Vieceli, 11 500 pour M. Pagnon, 26 000 pour M. Pene, 13 500 pour Mme Garcia, 27 500 pour Mme Crouzille, 6 500 pour Mme Cadet, 11 500 pour Mme Jouclard, 11 000 pour Mme Chouquet et 10 500 pour Mme Pauillac ;
- dans la requête n° 14838/04, 5 000 EUR pour Mme Esnée, 5 500 pour Mme Tete-Marcon, 5 000 pour Mme Jaumot, 6 500 pour Mme Chaussade, 5 000 pour Mme Gouraud, 3 500 pour Mme Rosier, 4 000 pour M. Zen, 5 500 pour M. Guillon, 6 500 pour M. Fayemendy et 6 500 pour M. Jammet ;
- dans la requête n° 17558/04, 4 500 EUR pour M. Bruneau ;
- dans la requête n° 30488/04, 29 000 EUR pour M. Sauton, 46 000 pour M. Mellet et 26 500 pour M. Benhamou ;
- dans la requête n° 45576/04, 19 000 EUR pour Mme Marie José Marty, 21 500 pour Mme Michelle Marty, 21 500 pour Mme Lasserre, 20 500 pour Mme Héricourt, 12 500 pour Mme Dumas Vega, 15 500 pour Mme Carradonna, 20 000 pour Mme Boudreault, 20 000 pour M. Escax et 18 500 pour M. Cathala ;
- dans la requête n° 20389/05, 86 000 EUR pour M. Lenoir, 88 000 pour Mme Gautier, 102 000 pour Mme Prat et 58 500 pour Mme Wagner.
Dans la requête n° 31870/03, les requérants n’ayant pas présenté de demande de satisfaction équitable, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de leur octroyer de somme à ce titre.
B. Frais et dépens
105. Les requérants demandent également, au titre des frais et dépens, 334 EUR chacun pour la procédure interne et 335 EUR chacun pour la procédure devant la Cour dans la requête n° 31501/03, 382 EUR chacun pour la procédure interne et 140 EUR chacun pour la procédure devant la Cour dans la requête n° 13045/04, 300 EUR chacun pour la procédure interne et 168 EUR chacun pour la procédure devant la Cour dans la requête n° 14838/04, 1 000 EUR pour la procédure interne et 500 EUR pour la procédure devant la Cour dans la requête n° 17558/04, 1 470,93 EUR chacun, à l’exception de Mme Boudreault qui demande 1 237,87 EUR, pour la procédure interne et 189 EUR chacun pour la procédure devant la Cour dans la requête n° 45576/04, 600 EUR chacun pour la procédure interne et 837,20 EUR chacun pour la procédure devant la Cour dans la requête n° 20389/05 et, enfin, 2 441,22 EUR, 4 170,32 EUR et 6 370,10 EUR, sommes forfaitairement évaluées, respectivement pour MM. Sauton, Mellet et Benhamou dans la requête n° 30488/04.
106. Le Gouvernement estime que les montants éventuellement accordés devraient correspondre à des montants dûment justifiés et raisonnables eu égard à la jurisprudence de la Cour en la matière.
107. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En outre, lorsque la Cour constate une violation de la Convention, elle n’accorde au requérant le paiement des frais et dépens qu’il a exposés devant les juridictions nationales que dans la mesure où ils ont été engagés pour prévenir ou faire corriger par celles-ci ladite violation : tel a bien été, partiellement, le cas en l’espèce pour les requérants qui en font la demande. En conséquence, statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, la Cour juge raisonnable d’allouer aux intéressés, au titre des frais et dépens, les sommes de 440 EUR chacun dans les requêtes nos 31501/03, 13045/04, 14838/04, 17558/04, 45576/04 et 20389/05, ainsi que 500 EUR chacun dans la requête n° 30488/04.
Dans la requête n° 31870/03, les requérants n’ayant pas présenté de demande de satisfaction équitable, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de leur octroyer de somme à ce titre.
C. Intérêts moratoires
108. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS
- Décide de joindre les requêtes ;
- Déclare la requête n° 13076/04 irrecevable et les autres requêtes recevables ;
- Dit qu’il y a eu violation de l’article 1er du Protocole n° 1 ;
- Dit qu’il n’est pas nécessaire d’examiner aussi l’affaire sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention ;
- Dit
- a) que l’Etat défendeur doit verser, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention :
- (i) au titre des préjudices matériel et moral,
- 28 500 EUR (vingt-huit mille cinq cents euros) à Mme Aubert,
- 15 500 EUR (quinze mille cinq cents euros) à Mme Michaux,
- 30 500 EUR (trente mille cinq cents euros) à M. Boyard,
- 24 000 EUR (vingt-quatre mille euros) à M. Casielles,
- 27 500 EUR (vingt-sept mille cinq cents euros) à M. Wasterlain,
- 15 000 EUR (quinze mille euros) à M. Texier,
- 12 000 EUR (douze mille euros) à M. Tardieu-Dussol,
- 9 000 EUR (neuf mille euros) à M. Merignac,
- 18 500 EUR (dix-huit mille cinq cents euros) à M. Vieceli,
- 11 500 EUR (onze mille cinq cents euros) à M. Pagnon,
- 26 000 EUR (vingt-six mille euros) à M. Pene,
- 13 500 EUR (treize mille cinq cents euros) à Mme Garcia,
- 27 500 EUR (vingt-sept mille cinq cents euros) à Mme Crouzille,
- 6 500 EUR (six mille cinq cents euros) à Mme Cadet,
- 11 500 EUR (onze mille cinq cents euros) à Mme Jouclard,
- 11 000 EUR (onze mille euros) à Mme Chouquet,
- 10 500 EUR (dix mille cinq cents euros) à Mme Pauillac,
- 5 000 EUR (cinq mille euros) à Mme Esnée,
- 5 500 EUR (cinq mille cinq cents euros) à Mme Tete-Marcon,
- 5 000 EUR (cinq mille euros) à Mme Jaumot,
- 6 500 EUR (six mille cinq cents euros) à Mme Chaussade,
- 5 000 EUR (cinq mille euros) à Mme Gouraud,
- 3 500 EUR (trois mille cinq cents euros) à Mme Rosier,
- 4 000 EUR (quatre mille euros) à M. Zen,
- 5 500 EUR (cinq mille cinq cents euros) à M. Guillon,
- 6 500 EUR (six mille cinq cents euros) à M. Fayemendy,
- 6 500 EUR (six mille cinq cents euros) à M. Jammet,
- 4 500 EUR (quatre mille cinq cents euros) à M. Bruneau,
- 29 000 EUR (vingt-neuf mille euros) à M. Sauton,
- 46 000 EUR (quarante-six mille euros) à M. Mellet,
- 26 500 EUR (vingt-six mille cinq cents euros) à M. Benhamou,
- 19 000 EUR (dix-neuf mille euros) à Mme Marie-José Marty,
- 21 500 EUR (vingt et un mille cinq cents euros) à Mme Michèle Marty,
- 21 500 EUR (vingt et un mille cinq cents euros) à MmeLasserre,
- 20 500 EUR (vingt mille cinq cents euros) à Mme Héricourt,
- 12 500 EUR (douze mille cinq cents euros) à Mme Dumas Vega,
- 15 500 EUR (quinze mille cinq cents euros) à Mme Carradonna,
- 20 000 EUR (vingt mille euros) à Mme Boudreault,
- 20 000 EUR (vingt mille euros) à M. Escax,
- 18 500 EUR (dix-huit mille cinq cents euros) à M. Cathala,
- 86 000 EUR (quatre-vingt-six mille euros) à M. Lenoir,
- 88 000 EUR (quatre-vingt-huit mille euros) à Mme Gautier,
- 102 000 EUR (cent deux mille euros) à Mme Prat, et
- 58 500 EUR (cinquante-huit mille cinq cents euros) à Mme Wagner ;
- (ii) au titre des frais et dépens :
- 440 EUR (quatre cent quarante euros) pour chaque requérant dans les requêtes nos 31501/03, 13045/04, 14838/04, 17558/04, 45576/04 et 20389/05, et
- 500 EUR (cinq cents euros) pour chaque requérant dans la requête n° 30488/04 ;
- (iii) plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur les sommes ci-dessus ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6. Rejette les demandes de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 janvier 2007 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.