Arrêt Besseau c. France
- wikisource:fr, 6/01/2007
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Besseau c. France,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :
- Sir Nicolas Bratza, président,
- MM. J. Casadevall,
- J.-P. Costa,
- M. Pellonpää,
- R. Maruste,
- S. Pavlovschi,
- J. Borrego Borrego, juges,
et de M. M. O’Boyle, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 14 février 2006,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 73893/01) dirigée contre la République française et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Annie Besseau (« la requérante »), a saisi la Cour le 5 mars 2001 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. R. Abraham, auquel a succédé dans ses fonctions, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.
3. Le 10 juin 2004, la quatrième section a décidé de communiquer le grief tiré de l’absence d’accès au tribunal (article 6 § 1 de la Convention) au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l’article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.
4. Le 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la quatrième section ainsi remaniée (article 52 § 1).
5. Tant la requérante que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur la recevabilité et le fond de l’affaire (article 54 A § 1 du règlement).
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
6. La requérante est née en 1946 et réside à Mozé Sur Louet.
7. Le 22 janvier 2000, la requérante fit l’objet d’une contravention de quatrième classe au code de la route d’un montant de 600 francs (FRF), soit 91,47 euros (EUR), correspondant à une amende forfaitaire minorée, pour s’être engagée dans une intersection où son véhicule risquait d’être immobilisé et d’empêcher le passage des autres véhicules circulant sur les voies transversales.
8. Sur l’avis de contravention, il était indiqué que le paiement de l’amende devait intervenir dans les trois jours suivant la constatation de l’infraction, par le collage d’un timbre-amende sur l’emplacement de l’avis réservé à cet effet et sa réexpédition à l’hôtel de police d’Angers, et, qu’à défaut du respect de ce délai, le contrevenant serait redevable du montant de l’amende forfaitaire, d’un montant de 900 FRF, soit 137,2 EUR. En cas de contestation de l’infraction, l’avis indiquait :
« Si vous contestez la réalité de l’infraction vous ne payez pas, mais vous devez dans le délai de 30 jours transmettre à l’adresse indiquée au recto :
- une lettre simple précisant les motifs de votre réclamation (...)
Cette réclamation sera transmise au Parquet près le tribunal de police.
En cas de condamnation par le tribunal, le montant de l’amende sera au moins égal à l’amende forfaitaire. »
9. Le 20 février 2000, la requérante adressa une lettre de réclamation à l’hôtel de police d’Angers en décrivant les faits, les raisons pour lesquelles elle estimait ne pas avoir commis l’infraction reprochée et demandant l’annulation de la contravention.
10. Le 23 février 2000, la requérante reçut un courrier provenant de l’hôtel de police, signé par l’officier du ministère public près le tribunal de police d’Angers et portant le cachet de la police nationale, lui indiquant qu’après étude des circonstances de l’infraction, le procès-verbal relevé à son encontre ne pouvait être annulé, et l’invitant à acquitter auprès du service de la police le montant de l’amende par timbre-amende dans un délai de trente jours.
11. La requérante ne paya pas l’amende. Par un envoi du 8 août 2000, le trésor public lui adressa un avis, lui enjoignant de payer l’amende forfaitaire majorée, d’un montant de 2 500 FRF, soit 381,12 EUR, au titre de la contravention émise le 22 janvier 2000, et en application d’une décision prise le 17 juillet 2000 par l’officier du ministère public près le tribunal de police d’Angers. Au verso de l’avis était mentionné :
« Amende forfaitaire majorée :
- Conformément à l’article 530 du code de procédure pénale, vous avez la possibilité d’adresser, dans les trente jours de l’envoi du présent avis, une réclamation justifiée à l’officier du ministère public du tribunal mentionné au recto. Dans ce cas, vous voudrez bien ne pas effectuer le paiement de l’amende mais envoyer, à l’officier du ministère public, une lettre où vous exposerez les motifs de votre réclamation (...) et à laquelle vous joindrez obligatoirement le présent avis.
- L’officier du ministère public peut soit renoncer à l’exercice des poursuites, soit porter l’affaire devant le juge compétent, soit vous aviser de l’irrecevabilité de la réclamation non motivée ou non accompagnée de l’avis (...) »
12. Par une lettre du 8 septembre 2000, la requérante réitéra sa réclamation dans des termes identiques à celle du 20 février 2000.
13. Le 19 septembre 2000, le trésor public lui notifia un dernier avis avant poursuite pour le recouvrement de l’amende forfaitaire majorée de 2 500 FRF, puis, le 12 décembre 2000, un commandement à payer cette amende sous huit jours.
14. Le 14 décembre 2000, l’officier du ministère public près le tribunal de police d’Angers répondit à la seconde lettre de réclamation de la requérante en ces termes :
« (...) J’ai bien reçu votre correspondance concernant une contravention relevée à votre encontre (...).
Cette contravention n’ayant pas été réglée dans le délai imparti, à l’aide du timbre-amende correspondant, le recouvrement en a été confié au comptable du Trésor.
En ce qui me concerne, les faits me paraissent établis et ne relèvent pas d’un cas de force majeure.
Je vous invite donc à payer l’amende qui vous est réclamée dans les plus brefs délais directement au Trésor public (...) »
15. La requérante paya l’amende réclamée. Par lettre du 11 janvier 2001, elle se plaignit auprès du trésorier payeur général d’Angers d’avoir dû procéder à ce paiement malgré ses deux lettres de réclamation et estima avoir été désignée de ce fait coupable sans avoir eu la possibilité de se défendre, en violation de l’article 6 de la Convention. Elle ne reçut pas de réponse à ce courrier.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
16. Les articles pertinents du code de procédure pénale, relatifs à la procédure de l’amende forfaitaire, sont les suivants, dans leur version applicable au moment des faits :
« Pour les contraventions des quatre premières classes (...), l’action publique est éteinte par le paiement d’une amende forfaitaire (...) »
« Le montant de l’amende forfaitaire peut être acquitté soit entre les mains de l’agent verbalisateur au moment de la constatation de l’infraction, soit auprès du service indiqué dans l’avis de contravention dans les trente jours qui suivent la constatation de l’infraction ou, si cet avis est ultérieurement envoyé à l’intéressé, dans les trente jours qui suivent cet envoi. »
« Dans le délai prévu par l’article précédent, le contrevenant doit s’acquitter du montant de l’amende forfaitaire, à moins qu’il ne formule dans le même délai une requête tendant à son exonération auprès du service indiqué dans l’avis de contravention. Cette requête est transmise au ministère public.
A défaut de paiement ou d’une requête présentée dans le délai de trente jours, l’amende forfaitaire est majorée de plein droit et recouvrée au profit du Trésor public en vertu d’un titre rendu exécutoire par le ministère public. »
« Le titre mentionné au second alinéa de l’article 529-2 (...) est exécuté suivant les règles prévues par le présent code pour l’exécution des jugements de police. (...)
Dans les trente jours de l’envoi de l’avis invitant le contrevenant à payer l’amende forfaitaire majorée, l’intéressé peut former auprès du ministère public une réclamation motivée qui a pour effet d’annuler le titre exécutoire en ce qui concerne l’amende contestée. (...)
La réclamation doit être accompagnée de l’avis correspondant à l’amende considérée. »
« Au vu de la requête faite en application du premier alinéa de l’article 529-2, (...) ou de la réclamation faite en application du deuxième alinéa de l’article 530, le ministère public peut, soit renoncer à l’exercice des poursuites, soit procéder conformément aux articles 524 à 528-2 [procédure simplifiée de l’ordonnance pénale devant le tribunal de police] ou aux articles 531 et suivants [procédure normale devant le tribunal de police], soit aviser l’intéressé de l’irrecevabilité de la réclamation non motivée ou non accompagnée de l’avis (...) »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
17. La requérante allègue la violation de son droit à un procès équitable, du principe de la présomption d’innocence et de son droit à un recours effectif devant une instance nationale, en ce que l’officier du ministère public l’a désignée coupable sans qu’elle soit entendue par un tribunal et qu’elle ait eu la possibilité de se défendre devant lui. Elle invoque les articles 6 et 13 de la Convention, dont les dispositions pertinentes se lisent ainsi :
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...)
2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie (...) »
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
18. La Cour rappelle, tout d’abord, que lorsque l’article 6 § 1 de la Convention trouve comme en l’espèce à s’appliquer, les exigences de cet article, qui impliquent toute la panoplie des garanties propres aux procédures judiciaires, sont en principe plus strictes que celles de l’article 13, qui se trouvent absorbées par elles (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 146, CEDH 2000-XI).
19. La Cour rappelle ensuite que « la présomption d’innocence consacrée par le paragraphe 2 de l’article 6 figure parmi les éléments du procès pénal équitable exigé par le paragraphe 1 » (voir notamment les arrêts Deweer c. Belgique du 27 février 1980, série A no 35, p. 30, § 56, Minelli c. Suisse du 25 mars 1983, série A no 62, p. 15, § 27, et Allenet de Ribemont c. France du 10 février 1995, série A no 308, p. 16, § 35).
En l’espèce, la Cour estime que le grief tiré de l’atteinte au principe de la présomption d’innocence se confond avec celui relatif à l’impossibilité pour la requérante d’être entendue par le tribunal de police et d’y exposer sa défense, qui peut s’analyser comme une atteinte alléguée à son droit d’accès à un tribunal (voir en ce sens, Peltier c. France, no 32872/96, § 43, 21 mai 2002). Par conséquent, la Cour examinera le grief de la requérante sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention.
A. Sur la recevabilité
20. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève, par ailleurs, que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
21. Le Gouvernement relève que dans l’arrêt Peltier précité, la Cour a constaté, dans une situation similaire à l’espèce, que le requérant avait subi une entrave excessive à son droit d’accès à un tribunal. La Cour avait constaté que, nonobstant les termes clairs de l’article 530-1 du code de procédure pénale, le ministère public avait indûment entravé l’accès du requérant au tribunal de police pour y être jugé sur une contravention au code de la route. En conséquence, le Gouvernement déclare que « en l’espèce, s’agissant de Mme Besseau, [il] ne conteste pas que la procédure prévue par l’article 530-1 [précité] n’a pas été strictement respectée » et que « à deux reprises, en effet, sa réclamation a été directement rejetée par l’officier du ministère public en dehors des cas autorisés par ce texte et l’intéressée mise en demeure (...) de s’acquitter de l’amende ».
Dans ces conditions, bien que contrairement au requérant dans l’affaire Peltier précitée, la requérante n’ait pas, en l’espèce, expressément demandé à être convoquée devant le tribunal de police, le Gouvernement estime que « les deux décisions de l’officier du ministère public sont susceptibles d’être analysées en des entraves au droit d’accès à un tribunal au sens de l’article 6 § 1 de la Convention et s’en remet à la sagesse de la Cour pour apprécier le bien-fondé du grief ».
22. Compte tenu des observations du Gouvernement, la requérante invite la Cour à constater la violation de la Convention.
23. La Cour rappelle que le droit à un tribunal, dont le droit d’accès constitue un aspect (arrêt Golder c. Royaume-Uni du 21 février 1975, série A no 18, p. 18, § 36), n’est pas absolu et qu’il se prête à des limitations implicites, notamment en ce qui concerne les conditions de recevabilité d’un recours (arrêt Ashingdane c. Royaume-Uni du 28 mai 1985, série A no 93, pp. 24–25, § 57). Celles-ci ne peuvent toutefois pas en restreindre l’exercice d’une manière ou à un point tels qu’il se trouve atteint dans sa substance même. Elles doivent tendre à un but légitime et il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (voir notamment, parmi de nombreux autres arrêts, Fayed c. Royaume-Uni du 21 septembre 1994, série A no 294-B, pp. 49–50, § 65 et Levages Prestations Services c. France du 23 octobre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-V, p. 1543, § 40).
24. La Cour relève qu’elle a déjà eu à connaître de circonstances de fait similaires à l’espèce dans l’affaire Peltier précitée, dans laquelle le requérant se plaignait du rejet, par l’officier du ministère public, de sa réclamation à l’encontre de l’avis de recouvrement de l’amende pour infraction au code de la route et de sa demande de convocation devant le tribunal de police, au motif que ces demandes étaient « irrecevable[s] car juridiquement non fondée[s] ».
Dans cette affaire, relevant que le Gouvernement lui-même estimait que ce motif de rejet, non prévu par les textes, constituait « une erreur de droit » de la part de l’officier du ministère public, la Cour a jugé qu’elle « ne [pouvait] que constater que le droit d’accès du requérant à un tribunal [avait] été atteint dans sa substance même, sans but légitime et de façon disproportionnée », le requérant ayant été « privé, pour des raisons illicites, du contrôle de pleine juridiction sur la réalité de l’infraction à l’origine de l’amende forfaitaire » (cf., a contrario, Malige c. France, arrêt du 23 septembre 1998, Recueil 1998-VII).
25. En l’espèce, la Cour constate que la requérante a également contesté, par deux fois, devant l’autorité compétente, à savoir l’officier du ministère public et, conformément au droit interne applicable (articles 529-22, premier alinéa et 530, deuxième alinéa, du code de procédure pénale), l’amende qui lui avait été infligée pour infraction au code de la route. Par deux fois, l’officier du ministère public demanda à la requérante de payer l’amende, relevant la seconde fois que « les faits étaient établis ». Il ne saisit pas le tribunal de police de ces réclamations nonobstant les termes de l’article 530-1 du code de procédure pénale, qui ne laisse à l’officier du ministère public que cette faculté de saisine, à moins qu’il ne renonce aux poursuites ou constate l’irrecevabilité de la réclamation, ce qui ne fut pas le cas en l’espèce.
26. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que rien ne distingue la présente espèce de l’affaire Peltier et que la requérante a subi une entrave excessive à son droit d’accès à un tribunal. La Cour relève d’ailleurs que le Gouvernement en convient.
27. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION
28. La requérante se plaint d’être victime d’une discrimination en ce qu’elle n’a pas bénéficié, au même titre que de nombreux autres contrevenants, de la suppression de sa contravention routière du fait de l’indulgence d’un agent verbalisateur. Elle invoque l’article 14 de la Convention, ainsi rédigé :
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
Sur la recevabilité
29. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence constante, l’article 14 complète les autres clauses normatives de la Convention et des Protocoles et qu’il n’a pas d’existence indépendante, puisqu’il vaut uniquement pour « la jouissance des droits et libertés » qu’elles garantissent. Certes, il peut entrer en jeu même sans un manquement à leurs exigences et, dans cette mesure, il possède une portée autonome, mais il ne saurait trouver à s’appliquer si les faits du litige ne tombent pas sous l’empire de l’une au moins desdites clauses (voir, parmi beaucoup d’autres, l’arrêt Van Raalte c. Pays-Bas du 21 février 1997, Recueil 1997-I, § 33). Or, le droit de bénéficier de la suppression d’une amende contraventionnelle du fait de l’indulgence d’un agent verbalisateur ne fait pas partie des droits et libertés garantis par la Convention.
30. Il s’ensuit que ce grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 et qu’il doit être rejeté en application de l’article 35 § 4 de la Convention.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
31. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
32. La requérante réclame 381,12 euros (EUR) au titre du préjudice matériel, correspondant à la somme versée au titre de l’amende forfaitaire majorée, et demande à ce que cette somme soit augmentée des « intérêts au taux légal » à compter du mois de décembre 2000, date à laquelle elle a payé l’amende. Elle réclame également la somme de 381,12 EUR au titre du préjudice moral qu’elle aurait subi.
33. S’en référant à l’affaire Peltier précitée (§§ 39-45), le Gouvernement estime que l’indemnisation pouvant être accordée à la requérante au titre du préjudice matériel ne saurait être supérieure au montant de l’amende, soit 381,12 EUR et s’en remet, dans cette limite, à la sagesse de la Cour. Il estime, en outre, que le préjudice moral se trouverait suffisamment réparé par un constat de violation.
34. La Cour estime qu’il y a lieu d’octroyer à la requérante la somme demandée au titre du préjudice matériel et correspondant au montant de l’amende qu’elle a payé, à savoir 381,12 EUR, et rejette la demande pour le surplus. Elle considère par ailleurs qu’il n’y a pas lieu d’octroyer une somme supplémentaire au titre du préjudice moral, le constat de violation étant suffisant.
B. Frais et dépens
35. La requérante demande également 455,82 EUR pour les frais et dépens encourus devant les juridictions internes et fournit une note d’honoraires pour cette somme de Me P., avocat à Angers, datée du 16 janvier 2001, concernant une « consultation du 11 décembre 2000, examen du dossier, recherches » et portant la mention manuscrite « payé le 6/2/2001 ». Elle demande également à ce que cette somme soit majorée des « intérêts au taux légal » à compter du 16 janvier 2001. Par ailleurs, elle réclame 381,12 EUR pour les frais et dépens encourus devant la Cour, correspondant à ses frais de correspondance, de documentation, de photocopie et de déplacements.
36. Le Gouvernement relève que la requérante fournit une note d’honoraires qui ne comporte aucun élément permettant de la relier avec la procédure interne en l’espèce, au cours de laquelle elle ne fut d’ailleurs pas représentée par un avocat. Il relève qu’elle ne fournit pas de justificatifs de ses frais devant la Cour et invite cette dernière à rejeter l’ensemble des demandes de la requérante.
37. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (voir, par exemple, Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000 XI).
En l’espèce, concernant les frais engagés dans la procédure interne, la Cour relève qu’il n’est pas invraisemblable que la requérante ait eu recours, au cours du mois de décembre 2000, aux conseils de Me P. pour l’éclairer sur ses droits alors qu’elle était confrontée au refus de l’officier du ministère public de saisir le tribunal de police. Cependant, la Cour observe que la requérante n’a pas répliqué aux observations du Gouvernement sur ce point. Par ailleurs, bien que la requérante se soit défendue seule et ne fournisse pas de pièces justificatives au titre des frais et dépens exposés dans la présente procédure, la Cour estime qu’elle a nécessairement engagé des frais.
Compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme totale de 300 EUR, tous frais confondus, pour la procédure interne et la procédure devant la Cour. Elle rejette la demande pour le surplus.
C. Intérêts moratoires
38. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention relatif au droit d’accès à un tribunal et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit que le constat de violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le préjudice moral subi par la requérante ;
4. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
i. 381,12 EUR (trois cent quatre-vingt-un euros et douze centimes) pour dommage matériel ;
ii. 300 EUR (trois cents euros) pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 7 mars 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Michael O’Boyle Greffier
- Nicolas Bratza
- Président