La nouvelle définition juridique du harcèlement sexuel
Le blog Dalloz - anthony astaix, 12/09/2012
Le Conseil constitutionnel le voulait, l’Assemblée Nationale l’a fait… Dans sa décision du 4 mai 2012, rendue au sujet d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), le Conseil constitutionnel a déclaré l’article 222-33 du code pénal contraire à la Constitution. En effet, parce que ce texte permettait que le délit de harcèlement sexuel soit punissable sans que les éléments constitutifs de l’infraction soient suffisamment définis, il a estimé qu’il était porté atteinte au principe de la légalité des délits et des peines qui résulte de l’article 8 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen. Appliquant cette censure immédiatement à toutes les affaires en cours (et donc non jugées définitivement), le Conseil constitutionnel a contraint le législateur à créer un nouveau texte, tout comme il l’avait fait,il y a quelques mois, pour la garde à vue (Cons. Const, 30 juill. 2010, n° 14/22, QPC). Cette décision marque, de nouveau, la force et l’ampleur dont bénéficie la question prioritaire de constitutionnalité.
Le législateur a entendu cet appel et le parlement a définitivement adopté, le 31 juillet 2012, la loi sur le harcèlement sexuel, mettant ainsi fin au vide juridique créé trois mois plus tôt.
Ce nouveau texte vise non seulement à sanctionner le délit de harcèlement sexuel mais aussi à encourager les victimes à porter plainte. Il prend en compte, en outre, un ensemble de situations le plus large possible. La loi du 6 aout 2012 propose ainsi une double définition du harcèlement sexuel :
« Le harcèlement sexuel est le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou agissements à connotation sexuelle qui, soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son égard une situation intimidante, hostile ou offensante ». Par ailleurs, « est assimilé au harcèlement sexuel le fait, même non répété, d’user de toute forme de pression grave, dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers ». Le nouveau texte se veut donc plus clair et précis. En effet, là ou l’ancien article 222-33 du code pénal ne distinguait pas, le nouveau distingue. Désormais, chacun saura ce qui constitue, ou non, une pratique de harcèlement sexuel.
L’ancien texte prévoyait que le fait de harceler autrui « en donnant des ordres, proférant des menaces, imposant des contraintes ou exerçant des pressions graves dans le but d’obtenir des faveurs sexuelles » suffisait à caractériser les éléments constitutifs du harcèlement. Or, cette définition ne pouvait suffire, car trop large et imprécise. Le texte nouveau définit clairement le délit de harcèlement sexuel et distingue deux situations « types » dans lesquelles le harcèlement peut être reconnu : dans l’unicité de faits ou dans la répétition. Le texte ne fait également plus référence à l’obligation d’une autorité détenue par l’auteur, telle que l’imposait l’article 222-33 ancien (qui prévoyait que le harcèlement sexuel devait être réalisé par « une personne abusant de l’autorité que lui confère ses fonctions). Cette suppression permet au législateur d’élargir le champ d’application du harcèlement sexuel qui ne nécessite aujourd’hui plus un lien de subordination entre les protagonistes : tous les types de harcèlement sexuel sont ainsi pris en compte, qu’ils aient lieu en privé ou dans le cadre professionnel.
Dans un souci de renforcement des droits des victimes et d’efficacité de la réponse pénale, la loi prévoit des peines alourdies à l’encontre de l’auteur d’un harcèlement sexuel : lorsque l’ancien texte prévoyait une peine d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende, le nouveau porte l’emprisonnement à deux ans et la sanction pécuniaire à 30 000 euros. Cette peine est portée à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros lorsque le délit est aggravé : en cas d’abus d’autorité, de minorité ou de particulière vulnérabilité de la victime – celle-ci pouvant résulter de la précarité de sa situation économique ou sociale – ou encore de commission de l’infraction par plusieurs personnes (c. pén., art. 222-33, III nouv.).
Il faut noter, en outre, que le texte sanctionne les discriminations qui peuvent résulter des faits de harcèlement sexuel par une peine de trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende (c. pén., art. 225-1-1 nouv.) s’ils sont commis par un particulier et de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende (c. pén., art. 432-7) s’ils sont commis par un agent public : « Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes parce qu’elles ont subi ou refusé de subir des faits de harcèlement sexuel tels que définis à l’article 222-33 ou témoigné sur de tels faits, y compris [...] si les propos ou comportements n’ont pas été répétés ».
Deux conséquences méritent d’être soulignées sur le plan procédural. D’une part, le législateur se devait de régler la situation des affaires en cours au 5 mai 2012, date de la publication au Journal officiel de la décision ayant abrogé, de manière immédiate, l’article 222-33 du code pénal. L’article 12 de la loi du 6 aout 2012 prévoit ainsi « Lorsque, en raison de l’abrogation de l’article 222-33 du code pénal [...] le tribunal correctionnel ou la chambre des appels correctionnels constate l’extinction de l’action publique, la juridiction demeure compétente, sur la demande de la partie civile formulée avant la clôture des débats, pour accorder, en application des règles du droit civil, réparation de tous les dommages résultant des faits qui ont fondé la poursuite ainsi que le paiement d’une somme qu’elle détermine au titre des frais exposés par la partie civile et non payés par l’État ». D’autre part, la loi nouvelle est dotée d’un impact sur l’action civile des associations. L’article 6 étend ainsi l’application de l’article 2-62-6 du code de procédure pénale à toute « association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, se proposant par ses statuts de combattre les discriminations fondées sur le sexe, sur les mœurs ou sur l’orientation ou l’identité sexuelle, peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les discriminations réprimées par les articles 225-2 et 432-7 du code pénal, et les articles L. 1146-1L. 1146-1 et L. 1155-2 du code du travail ».
La loi nouvelle, plus claire et précise, répond désormais, semble-t-il, strictement à l’exigence du principe de la légalité des délits et des peines ainsi qu’aux principes directeurs imposés par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme et se révèle, en ce sens, plus protectrice des droits de la défense.
De plus, en prenant en compte le champ le plus large possible de situations dans lesquelles le harcèlement peut avoir lieu, en accroissant la possibilité pour les associations de se constituer partie civile, le législateur impose sa volonté de faire de la victime une véritable partie au procès pénal. Cette idée est d’autant plus renforcée que la modification de la loi est également due à un mouvement de contestations de l’ancien texte par les associations pour la défense des victimes.
Laurie Schenique
ATER à l’Université de Nice Sophia-Antipolis