Procès Heaulme, le naufrage
Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 4/05/2017
Le procès de Francis Heaulme a sombré mercredi 4 mai peu après 19 heures À la barre des témoins, l’ex inspecteur de police Bernard Varlet qui a dirigé l’enquête initiale sur le double meurtre de Montigny-Les-Metz s’exclame : « Eh bien, vous savez où il était Patrick Dils à ce moment-là ? Il était sur le talus et il avait tué les gosses ! » Vous avez bien lu. « Il avait tué ». Plus que parfait de l’indicatif. Une affirmation.
Et que fait le président Gabriel Steffanus ? Rien. L’avocat général Jean-Marie Beney ? Rien. Débordés, emportés, noyés, dans un procès qui leur a échappé. Un homme que la justice a définitivement acquitté vient d’être déclaré coupable devant les jurés qui en jugent un autre, Francis Heaulme. La défense de l’accusé triomphe.
La déposition de Bernard Varlet était attendue. L’ancien inspecteur, qui a recueilli les aveux de Patrick Dils en avril 1987, avait toutes les raisons de penser qu’il allait passer un sale moment à la barre. On guettait les questions de l’accusation sur les défaillances de son enquête, ses méthodes d’interrogatoire qui, en quelques mois, ont conduit trois personnes différentes à s’accuser de la mort des deux enfants, ses certitudes tôt acquises qui l’ont conduit à privilégier entre toutes la piste de la culpabilité d’un adolescent de 16 ans et demi. Juste avant qu’il n’entre dans la salle d’audience, l’avocat général avait lancé un avertissement qu’il voulait solennel. « Je vous rappelle l’article 368 du code de procédure pénale : Aucune personne acquittée légalement ne peut plus être reprise ou accusée à raison des mêmes faits, même sous une qualification différente. Je souhaite que l’on respecte ce principe essentiel qu’est l’autorité de la chose jugée. »
Il faut imaginer les jurés. Leur perplexité, leur incompréhension en écoutant ces mots alors que depuis près de deux semaines, ils assistent non pas au procès de Francis Heaulme mais bel et bien à celui de Patrick Dils.
code pénal. Livré au feu croisé des questions de certains avocats des parties civiles qui, portant la voix de leurs clients, n’acceptent pas la décision d’acquittement rendue par la cour d’assises du Rhône en 2002 et à celles des avocats de la défense, pour lesquels tout ce qui peut semer le doute sur la culpabilité de Francis Heaulme est bon à prendre, Patrick Dils s’était retrouvé acculé. « Mais qu’est-ce que vous voulez que je vous explique ? Vous refaites mon procès, là ? » s’était-il exclamé alors que l’on sommait de se justifier une fois de plus sur ses aveux. Le président s’était montré incapable de contenir les débats et de les tenir dans la limite de ce que la décision d’acquittement impose à tous. Quant aux deux représentants du parquet qui, faut-il le rappeler, sont là pour soutenir l’accusation contre Francis Heaulme, ils avaient été inexistants.
Jeudi, tout a recommencé avec l’ex inspecteur Varlet. L’homme, presque octogénaire, est vif et bien décidé à défendre son enquête. Elle figure aujourd’hui au dossier d’instruction dont elle remplit les trois premiers tomes. Il faut donc l’évoquer. Mais comment ? Et jusqu’où ? C’est lui qui pose la question, dès le début de sa déposition. « Je ne sais pas comment je peux parler de l’affaire Dils parce qu’aujourd’hui, c’est le procès d’un autre. » Le président Steffanus commence à bafouiller. « Alors euh, vous pouvez parler de votre enquête, mais euh, Patrick Dils a été acquitté. »
Bernard Varlet s’échauffe, défend son travail – « J’étais considéré comme le meilleur procédurier de la ville » – raconte la garde à vue de Patrick Dils – « On l’a pas pris comme si c’était Mémé Guerini, hein ? Le matin, au petit-déjeuner, je lui ai apporté des croissants. Il m’a dit qu’il ne mangeait que des croissants fourrés. Je suis reparti lui chercher des croissants fourrés », revient en détail sur ses aveux, le président perd pied, s’agace, le coupe, puis le relance, Bernard Varlet s’explique encore, les jurés constatent avec effarement le renversement de pouvoir entre un témoin convaincu et un président perdu.
Gabriel Steffanus lâche l’éponge et donne la parole aux avocats des parties civiles. Me Thierry Moser, qui représente le père d’Alexandre Bekrich, tente de ramener les débats dans la limite que la justice lui impose. Peine perdue, le président intervient à nouveau, la maladresse de ses questions et l’agressivité impuissante et malvenue dont elles témoignent à l’égard du témoin ont pour effet immédiat de l’inciter à défendre encore plus vigoureusement ses convictions et la certitude inébranlable qu’il a de la culpabilité de Patrick Dils. « Eh bien, on va reprendre tous les éléments !», lance-t-il. Jusqu’à sa terrible affirmation: « Il était sur le talus et il avait tué les gosses.»
Gabriel Steffanus se tourne vers les deux représentants de l’accusation qui renoncent à interroger l’ancien commissaire mais ne prennent pas la peine d’expliquer aux jurés leur silence.
Vient le tour de la défense. Me Liliane Glock présente un plan des lieux du crime, dessiné en garde à vue par Patrick Dils et demande de le soumettre aux jurés. « Rangez ce plan ! ordonne le président Steffanus. Vous ne pouvez pas montrer un plan qui appartient au dossier d’un homme qui a été acquitté !
– Mais il est au dossier !
– Je refuse que vous le montriez !
– Donnez acte de votre refus !
– Je refuse de donner acte !
– Vous ne pouvez pas refuser !
Le président suffoque de colère, Me Glock ironise, l’audience tourne au cirque. L’avocate de Francis Heaulme se tourne vers le témoin :
– Alors, Varlet, venez voir ce dessin. Mais attention, hein, c’est secret, il faut pas que les jurés le voient… Vous le reconnaissez ?
– Oui, c’est le plan dessiné par Patrick Dils. »
Les jurés ne savent plus ce qu’ils ont le droit de regarder, d’entendre et de noter. Six citoyens médusés assistent en silence au vertigineux spectacle de professionnels de la justice qui brouillent et souillent la justice qu’ils devraient servir et éclairer.
Dans le box, Francis Heaulme s’ennuie.