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Séparation des parents et responsabilité civile en cas de dommage causé par un mineur (jurisprudence)

Paroles de juge - Parolesdejuges, 9/05/2014

Par Michel Huyette


  Etre juridiquement parent (sont exclus les parents biologiques dont le lien juridique n'est pas établi avec leur enfant) entraîne de plein droit la responsabilité civile en cas de dommage commis par un enfant mineur. Quand l'enfant cause des dégâts, les parents sont tenus de les réparer, la plupart du temps financièrement. D'où l'assurance responsabilité civile souvent couplée à l'assurance habitation.

  Quand les deux parents vivent ensemble avec l'enfant, les choses sont assez simples. Tous deux exercent l'autorité parentale sur l'enfant, et par voie de conséquence tous deux sont civilement responsables.

  Cela est un plus compliqué quand les parents se séparent.

  La règle de départ est énoncée à l'article 1384 alinéa 4 du code civil (texte ici) :

  "Le père et la mère, en tant qu'ils exercent l'autorité parentale, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux."

  Ce texte ne dit rien sur la séparation des parents, ce sont donc les juridictions, et en dernier lieu la cour de cassation, qui ont précisé les règles applicables en cas de dissociation du couple parental.
 

  La cour de cassation, dans un arrêt du 29 avril 2014 (texte intégral ici), a  rappelé le principe juridique applicable (déjà énoncé dans des décisions antérieures) et en a tiré les conséquences sur le cas d'espèce :

  "Vu les articles 1384, alinéa 4, du code civil4, du code civil, 2 et 3 du code de procédure pénale ; Attendu que la responsabilité de plein droit prévue par le premier de ces textes incombe au seul parent chez lequel la résidence habituelle de l'enfant a été fixée, quand bien même l'autre parent, bénéficiaire d'un droit de visite et d'hébergement, exercerait conjointement l'autorité parentale et aurait commis une faute civile personnelle dont l'appréciation ne relève pas du juge pénal ; Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Dylan X..., mineur de 14 ans, a mis le feu à de la paille dans un hangar agricole, causant ainsi la mort de Jonathan A... ; que le tribunal pour enfants l'a définitivement reconnu coupable d'homicide involontaire ; Attendu que, pour confirmer le jugement ayant condamné le mineur, in solidum avec son père et sa mère, cités en qualité de civilement responsables, à des réparations civiles, l'arrêt, après avoir énoncé que le jugement de divorce a fixé la résidence de l'enfant au domicile de sa mère, attribué un droit de visite et d'hébergement au père et conservé à chacun des parents l'exercice conjoint de l'autorité parentale, retient le comportement fautif du père qui s'est désintéressé de son enfant et n'a aucunement exercé son pouvoir de surveillance et de contrôle de l'éducation de celui-ci ; Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, alors que la résidence habituelle de l'enfant mineur était judiciairement fixée au domicile de la mère, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncés."

 

  Le principe est donc le suivant : Après séparation des parents, en cas d'autorité parentale conjointe (situation très majoritaire), est de plein droit (c'est à dire sans autre condition) civilement responsable le parent chez qui le mineur réside habituellement, même si le dommage est causé alors que l'enfant est chez l'autre parent à l'occasion d'un droit d'hébergement. Et la responsabilité de l'autre parent ne peut être engagée, devant la juridiction civile, qu'en cas de faute démontrée (et non de plein droit) à l'occasion de la venue ponctuelle de l'enfant à son domicile.

  Cette jurisprudence s'explique par la rédaction de l'article 1384 du code civil. S'il est d'abord énoncé que la responsabilité civile des parents est commune en cas d'autorité parentale conjointe, la fin de la phrase ajoute, comme condition, que l'enfant "habite" avec eux. La cour de cassation considère implicitement que quand l'enfant a sa résidence principale chez un parent, c'est chez celui-ci qu'il "habite".

 

  Il existe plusieurs façons possibles d'envisager les choses.

  On peut privilégier dans l'article 1384 la notion théorique d'autorité parentale conjointe, considérer que nonobstant la réalité concrète les parents même séparés continuent tous deux à s'occuper de leur enfant, prennent toujours ensemble les décisions importantes à son sujet, quand bien même l'un des deux ne le reçoit qu'à l'occasion de droits de visite et d'hébergement. Et donc qu'il est logique qu'ils soient tous deux redevables en cas de dommage causé par leur enfant mineur, peu important leur séparation.

  On peut tout autant avoir une approche plus concrète, peut être plus proche parfois de la réalité, et considérer que le parent chez qui l'enfant réside principalement est, quand bien même l'autorité parentale est juridiquement conjointe, celui qui a le plus d'influence sur son éducation, son évolution, sa personnalité. Et par voie de conséquence estimer qu'il est logique que ce parent soit le civilement responsable et non celui qui ne le reçoit que de temps en temps.
 

  La difficulté tient au fait que les situations sont très variables, alors que la règle juridique ne peut être que générale même si elle a vocation à s'appliquer à des hypothèses parfois peu semblabes.

  On peut assez aisément accepter que le parent qui élève quotidiennement l'enfant soit civilement responsable, et que ne le soit pas d'emblée l'autre parent si, à cause de l'éloignement géographique, ce dernier ne reçoit son enfant qu'une ou deux fois par an. Le risque serait alors de faire peser sur le second les conséquences des éventuelles carences éducatives du premier.

  Mais cette façon d'appréhender les choses a une moindre valeur si les parents habitent à proximité et que, alors que la résidence principale est fixée chez l'un d'eux, l'autre voit l'enfant très souvent et a, comme le premier, un fort impact sur son éducation et le développement de sa personnalité.
 

  Quoi qu'il en soit, cela montre, comme dans de nombreuses situations qui vont bien au delà du droit de la famille, les difficultés de mise en oeuvre qui apparaissent quand il faut appliquer une même règle juridique à des situations concrètes dissemblables.

 


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