Résiliation judiciaire : le manquement n’est grave que s’il empêche la poursuite du contrat de travail
K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Stéphane Bloch, Gratiane Kressmann, 18/06/2014
Dans un arrêt du 12 juin 2014 (n°12-29063) qui s’inscrit dans le sillage des trois arrêts prononcés le 26 mars 2014 en matière de prise d’acte (n°12-23634, 12-21372 et 12-35040) , en matière de prise d’acte, la chambre sociale statuant dans un contentieux de résiliation judiciaire du contrat de travail précise que le manquement suffisamment grave de l’employeur est celui qui empêche la poursuite de la relation contractuelle.
L’arrêt de la chambre sociale du 12 juin 2014 a déjà fait couler beaucoup d’encre.
Parfois, de manière un peu rapide, au risque de conférer à l’arrêt concerné une portée qu’il n’a pas (cf. rectificatif de l’Express.fr emploi).
Non, un salarié ne peut toujours pas se voir imposer par son employeur une modification d’un élément essentiel de son contrat de travail comme par exemple la rémunération.
En revanche, et là réside tout l’intérêt de cette décision, un manquement de l’employeur à ses obligations contractuelles, comme la modification d’un élément dit essentiel du contrat de travail, ne justifie la résiliation judiciaire du contrat que si elle est de nature à empêcher la poursuite de celui-ci.
Pour mémoire, le salarié qui reproche à son employeur des obligations peut demander au Conseil de prud’hommes la résiliation de son contrat.
Si les juges estiment que les manquements de l’employeur le justifient, le contrat de travail est résilié. A défaut, la relation contractuelle se poursuit.
Ce mode de rupture trouve son fondement juridique à l’article 1184 du code civil qui permet à l’une ou l’autre des parties à un contrat synallagmatique d’en solliciter la résiliation si elle considère que son cocontractant n’a pas respecté ses obligations.
Cette pratique ignorée du code du travail mais qui s’est développée en jurisprudence comme une voie de rupture alternative du contrat de travail s’ajoutant aux modes classiques que sont le licenciement et la démission, s’avère d’un réel intérêt lorsqu’un salarié considère que son employeur méconnaît ses droits mais qu’il n’entend pas démissionner ou même prendre le risque d’une prise d’acte.
Une fois saisi, le Conseil de prud’hommes va décider si oui ou non le salarié est fondé à demander la résiliation de son contrat aux torts de l’employeur ; si c’est le cas, la rupture prendra alors effet au jour du prononcé du jugement et l’employeur sera condamné à verser au salarié les sommes qui auraient été mises à sa charge dans l’hypothèse d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse (ou d’un licenciement nul si les faits en cause sont constitutifs d’un harcèlement).
Depuis une dizaine d’années, il est acquis que les manquements de l’employeur de nature à justifier la résiliation judiciaire à ses torts doivent être d’une gravité suffisante (Cassation sociale, 15 mars 2005, n°03-42.070 ou encore 14 janvier 2004, 01-40.489. Les juges du fond apprécient souverainement la gravité du manquement allégué.
L’examen de la jurisprudence permet d’identifier trois grandes catégories de manquements :
• Des modifications contractuelles imposées aux salariés ;
• Le non-respect des obligations inhérentes au contrat de travail ;
• L’atteinte à l’obligation de sécurité et de résultat.
Jusqu’à présent, la caractérisation d’un manquement grave était nécessaire mais suffisante en elle-même pour justifier une résiliation aux torts de l’employeur.
Il en était ainsi, par exemple, du non-respect du principe "à travail égal, salaire égal", ou encore d’une modification du contrat de travail du salarié qui passait d’un horaire de jour à un horaire de nuit.
Nous avons eu à connaître pour notre part un arrêt de la Cour d’appel de Versailles (actuellement objet d’un pourvoi) faisant droit à la demande d'un salarié qui invoquait (il s’agissait ici d’une prise d’acte) le non-paiement d’une prime discrétionnairenon réglée depuis 3 ans.
Or, c’est précisément à ce type de dérive que la Cour de cassation a entendu mettre un terme dans son arrêt du 12 juin 2014 précédé des trois arrêts du 26 mars 2014 rendus en matière de prise d’acte.
Les faits tiennent en quelques lignes : un salarié engagé en tant que VRP et titulaire d’un contrat de travail écrit se voit notifier unilatéralement par son employeur une baisse de son taux de commissions.
Quatre ans plus tard, il dénonce une modification de son contrat de travail et saisit la juridiction prud’homale d’une action en résiliation judiciaire de son contrat.
Par un arrêt du 3 octobre 2012, la Cour d’appel de Rennes le déboute de ses demandes.
Elle considère certes que i[« constitue […] une modification du contrat de travail la baisse substantielle du taux de commissions » et relève « qu’il n’est justifié d’aucun accord du salarié sur ce point ». ]i
Elle confirme aussi le rappel de salaire au titre de la différence entre le taux appliqué et le taux contractuel initial.
En revanche, au motif que ce manquement représente une faible partie de la rémunération du salarié et que ce dernier a tardé à exprimer sa réclamation, elle considère que ce manquement ne rendait pas impossible la poursuite de la relation contractuelle.
La Cour de cassation saisie d’un pourvoi approuve pleinement ce raisonnement qui peut se résumer concrètement ainsi : oui, l’employeur a commis un manquement mais pour être qualifié de grave, il faut qu’il empêche la poursuite de la relation contractuelle.
Or, le préjudice est faible, il peut être réparé par le paiement d’un rappel de commissions et le contrat peut se poursuivre d’autant que le salarié a agi plusieurs années après la baisse du taux.
Invité à commenter les arrêts du 26 mars 2014 et du 12 juin 2014 qui affinent la grille d’analyse de la Cour de cassation sur la prise d’acte et la résiliation judiciaire (Semaine sociale Lamy, 16 juin 2014, n° 1635), Pierre Bailly, doyen de la chambre sociale de la Cour de cassation, souligne que l’objectif recherché était de donner aux juges un critère plus objectif et de rapprocher la notion de manquement grave empêchant la poursuite du contrat avec celle de faute grave du salarié qui empêche aussi la poursuite de la relation contractuelle.
En pratique et c’est un bien, ces arrêts sonnent le glas des prises d’acte ou résiliations judiciaires nourries artificiellement de griefs tardifs qui n’ont pas nui jusqu’à alors au déroulement de la relation contractuelle ou qui peuvent être réparés par des contreparties financières.
Parfois, de manière un peu rapide, au risque de conférer à l’arrêt concerné une portée qu’il n’a pas (cf. rectificatif de l’Express.fr emploi).
Non, un salarié ne peut toujours pas se voir imposer par son employeur une modification d’un élément essentiel de son contrat de travail comme par exemple la rémunération.
En revanche, et là réside tout l’intérêt de cette décision, un manquement de l’employeur à ses obligations contractuelles, comme la modification d’un élément dit essentiel du contrat de travail, ne justifie la résiliation judiciaire du contrat que si elle est de nature à empêcher la poursuite de celui-ci.
Pour mémoire, le salarié qui reproche à son employeur des obligations peut demander au Conseil de prud’hommes la résiliation de son contrat.
Si les juges estiment que les manquements de l’employeur le justifient, le contrat de travail est résilié. A défaut, la relation contractuelle se poursuit.
Ce mode de rupture trouve son fondement juridique à l’article 1184 du code civil qui permet à l’une ou l’autre des parties à un contrat synallagmatique d’en solliciter la résiliation si elle considère que son cocontractant n’a pas respecté ses obligations.
Cette pratique ignorée du code du travail mais qui s’est développée en jurisprudence comme une voie de rupture alternative du contrat de travail s’ajoutant aux modes classiques que sont le licenciement et la démission, s’avère d’un réel intérêt lorsqu’un salarié considère que son employeur méconnaît ses droits mais qu’il n’entend pas démissionner ou même prendre le risque d’une prise d’acte.
Une fois saisi, le Conseil de prud’hommes va décider si oui ou non le salarié est fondé à demander la résiliation de son contrat aux torts de l’employeur ; si c’est le cas, la rupture prendra alors effet au jour du prononcé du jugement et l’employeur sera condamné à verser au salarié les sommes qui auraient été mises à sa charge dans l’hypothèse d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse (ou d’un licenciement nul si les faits en cause sont constitutifs d’un harcèlement).
Depuis une dizaine d’années, il est acquis que les manquements de l’employeur de nature à justifier la résiliation judiciaire à ses torts doivent être d’une gravité suffisante (Cassation sociale, 15 mars 2005, n°03-42.070 ou encore 14 janvier 2004, 01-40.489. Les juges du fond apprécient souverainement la gravité du manquement allégué.
L’examen de la jurisprudence permet d’identifier trois grandes catégories de manquements :
• Des modifications contractuelles imposées aux salariés ;
• Le non-respect des obligations inhérentes au contrat de travail ;
• L’atteinte à l’obligation de sécurité et de résultat.
Jusqu’à présent, la caractérisation d’un manquement grave était nécessaire mais suffisante en elle-même pour justifier une résiliation aux torts de l’employeur.
Il en était ainsi, par exemple, du non-respect du principe "à travail égal, salaire égal", ou encore d’une modification du contrat de travail du salarié qui passait d’un horaire de jour à un horaire de nuit.
Nous avons eu à connaître pour notre part un arrêt de la Cour d’appel de Versailles (actuellement objet d’un pourvoi) faisant droit à la demande d'un salarié qui invoquait (il s’agissait ici d’une prise d’acte) le non-paiement d’une prime discrétionnairenon réglée depuis 3 ans.
Or, c’est précisément à ce type de dérive que la Cour de cassation a entendu mettre un terme dans son arrêt du 12 juin 2014 précédé des trois arrêts du 26 mars 2014 rendus en matière de prise d’acte.
Les faits tiennent en quelques lignes : un salarié engagé en tant que VRP et titulaire d’un contrat de travail écrit se voit notifier unilatéralement par son employeur une baisse de son taux de commissions.
Quatre ans plus tard, il dénonce une modification de son contrat de travail et saisit la juridiction prud’homale d’une action en résiliation judiciaire de son contrat.
Par un arrêt du 3 octobre 2012, la Cour d’appel de Rennes le déboute de ses demandes.
Elle considère certes que i[« constitue […] une modification du contrat de travail la baisse substantielle du taux de commissions » et relève « qu’il n’est justifié d’aucun accord du salarié sur ce point ». ]i
Elle confirme aussi le rappel de salaire au titre de la différence entre le taux appliqué et le taux contractuel initial.
En revanche, au motif que ce manquement représente une faible partie de la rémunération du salarié et que ce dernier a tardé à exprimer sa réclamation, elle considère que ce manquement ne rendait pas impossible la poursuite de la relation contractuelle.
La Cour de cassation saisie d’un pourvoi approuve pleinement ce raisonnement qui peut se résumer concrètement ainsi : oui, l’employeur a commis un manquement mais pour être qualifié de grave, il faut qu’il empêche la poursuite de la relation contractuelle.
Or, le préjudice est faible, il peut être réparé par le paiement d’un rappel de commissions et le contrat peut se poursuivre d’autant que le salarié a agi plusieurs années après la baisse du taux.
Invité à commenter les arrêts du 26 mars 2014 et du 12 juin 2014 qui affinent la grille d’analyse de la Cour de cassation sur la prise d’acte et la résiliation judiciaire (Semaine sociale Lamy, 16 juin 2014, n° 1635), Pierre Bailly, doyen de la chambre sociale de la Cour de cassation, souligne que l’objectif recherché était de donner aux juges un critère plus objectif et de rapprocher la notion de manquement grave empêchant la poursuite du contrat avec celle de faute grave du salarié qui empêche aussi la poursuite de la relation contractuelle.
En pratique et c’est un bien, ces arrêts sonnent le glas des prises d’acte ou résiliations judiciaires nourries artificiellement de griefs tardifs qui n’ont pas nui jusqu’à alors au déroulement de la relation contractuelle ou qui peuvent être réparés par des contreparties financières.