Le droit à indemnité en cas de « recours abusif » introduit par la réforme de juillet 2013 s’applique aux procédures contentieuses en cours
K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Eve Derouesné, Anna Stefanini-Coste, 1/07/2014
Tel en a été décidé par le Conseil d’Etat dans un avis contentieux du 18 juin 2014 (CE, 18 juin 2014, req. n°376113 publié au recueil Lebon).
L’article L. 600-7, alinéa 1er, du code de l’urbanisme, introduit par l’ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme dispose que : « lorsque le droit de former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager est mis en œuvre dans des conditions qui excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant et qui causent un préjudice excessif au bénéficiaire du permis, celui-ci peut demander, par un mémoire distinct, au juge administratif saisi du recours de condamner l’auteur de celui-ci à lui allouer des dommages et intérêts. La demande peut être présentée pour la première fois en appel ».
Depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance, s’est très vite posée la question de l’application dans le temps de cette disposition.
Plus précisément, il s’agissait de savoir si pour les recours introduits antérieurement à l’entrée en vigueur de cette ordonnance mais sur lesquels les juges n’avaient pas encore statué, les défendeurs avaient la possibilité de formuler une demande indemnitaire sur le fondement de l’article L. 600-7 précité.
Cette question a divisé les tribunaux administratifs.
Deux thèses se sont opposées.
1. La première, minoritaire, consistait à regarder la règle ainsi instaurée comme une loi de procédure, notamment de compétence et, à ce titre d’application immédiate.
2. Ainsi, ces dispositions, entrées en vigueur le 20 août 2013, étaient regardées comme se bornant à aménager l’exercice d’une voie de droit, déjà ouverte aux justiciables dont le permis de construire est attaqué mais devant le juge judiciaire (Civ. 3ème, 9 mai 2012, req. n° 11-13.597 ; Bull.civ. III,n°71 « la cour d'appel a retenu, à bon droit, que les juridictions de l'ordre judiciaire étaient en principe compétentes pour connaître des actions en responsabilité civile exercées par une personne privée à l'encontre d'une autre personne privée et qu'il n'était pas justifié en la cause d'une exception à ces principes qui ne saurait résulter de la seule nature particulière du recours pour excès de pouvoir ni de la simple application de la règle selon laquelle le juge saisi d'une instance serait nécessairement celui devant connaître du caractère abusif de sa saisine » ; Civ. 3ème, 5 juin 2012, req. n° 11-17.919, Construction-urbanisme. 2012, comm. 129).
3. Or, une loi ayant pour effet d’attribuer une compétence aux juridictions administratives est « une loi de procédure qui, en l’absence de dispositions contraires, régit les affaires en cours à partir de sa mise en application » (Cass., civ. 1ère, 25 avril 2007, n° 05-19.153, Bull. I, n° 160 ; CE Ass. 4 janvier 1957, Lamborot p. 12 : pour une loi d’application immédiate, transférant un contentieux de la compétence directe du Conseil d’Etat à une juridiction arbitrale).
4. Selon cette thèse, l’application immédiate de la règle n’emporte pas une immixtion injustifiée du pouvoir législatif dans le fonctionnement de la justice et ne porte pas atteinte aux droits acquis des justiciables.
5. Dès lors, en l’absence de dispositions transitoires contraires, l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 18 juillet 2013, est jugée comme régissant donc les affaires en cours, à compter de son entrée en vigueur (TA Dijon, 10 octobre 2013, req. n°1201224 ; TA Bordeaux, 5 juin 2014, SCI du Boulevard, req. n°1304528).
6. La seconde, majoritaire au sein des juridictions administratives, consistait à regarder la disposition comme affectant la substance du droit de former un recours pour excès de pouvoir contre une décision administrative et, à ce titre, applicable uniquement aux procédures contentieuses introduites postérieurement à l’entrée en vigueur de la réforme de 2013 (voir notamment TA Clermont-Ferrand, 23 avril 2014, req. n°1200849 ; TA Grenoble, 10 octobre 2013, req. n°1102108 ; TA Strasbourg, 15 octobre 2013, req. n°1003775 ).
7. Saisi par le tribunal administratif de Pau sur le fondement de l’article L. 113-1 du code de justice administrative, le Conseil d’Etat statue sur cette question de droit nouvelle présentant une difficulté sérieuse et retient la thèse minoritaire en jugeant que : « ces nouvelles dispositions [i[celles des articles L. 600-7 et L. 600-5 du code de l’urbanisme], ]iqui instituent des règles de procédure concernant exclusivement les pouvoirs du juge administratif en matière de contentieux de l'urbanisme, sont, en l'absence de dispositions expresses contraires, d'application immédiate aux instances en cours, quelle que soit la date à laquelle est intervenue la décision administrative contestée. Elles peuvent être appliquées pour la première fois en appel ».
8. En revanche, le Conseil d’Etat retient la seconde thèse en ce qui concerne les articles L. 600-1-2 et L. 600-1 -3 qui restreignent l’intérêt à agir en matière d’autorisation d’urbanisme puisqu’ils prévoient respectivement que : « Une personne autre que l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager que si la construction, l'aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation. » et « Sauf pour le requérant à justifier de circonstances particulières, l'intérêt pour agir contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager s'apprécie à la date d'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire. »
Deux remarques peuvent être formulées, de manière plus générale, à propos du mécanisme introduit par l’article L.600-7 du code de l’urbanisme.
Tout d’abord, ce mécanisme introduit une exception au principe jurisprudentiel suivant lequel le recours pour excès de pouvoir ne saurait en raison de sa nature particulière, être le cadre de conclusions à fins de dommages-intérêts (CE, 24 novembre 1967, Noble, n° 66271.
Ensuite, avec l’introduction de ce mécanisme, une question reste en suspens : il s’agit de savoir comment ce dispositif va s’articuler avec l’action en responsabilité exercée sur le fondement de l’article 1382 du code civil. En effet, le législateur n’a pas traité ce point, comme le préconisait d’ailleurs le rapport Labetoule « Construction et droit au recours : pour un meilleur équilibre » (Rapport de travail remis le 25 avril 2013 à la ministre de l’égalité des territoires et du logement, page 16). Il appartiendra donc aux juridictions de trancher le point.
Certains estiment que les juridictions judiciaires devraient se déclarer incompétentes.
D’autres au contraire estiment que les deux recours devraient cohabiter car en cas de rejet par le juge administratif de conclusions reconventionnelles indemnitaires ou dans l’hypothèse où le préjudice ne serait pas entièrement réparé, le bénéficiaire pourrait exercer un recours devant le juge civil, d’autant que la responsabilité civile du requérant est engagée dès lors que l’abus de droit cause un préjudice au défendeur et pas seulement lorsque le préjudice occasionné est excessif.
Depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance, s’est très vite posée la question de l’application dans le temps de cette disposition.
Plus précisément, il s’agissait de savoir si pour les recours introduits antérieurement à l’entrée en vigueur de cette ordonnance mais sur lesquels les juges n’avaient pas encore statué, les défendeurs avaient la possibilité de formuler une demande indemnitaire sur le fondement de l’article L. 600-7 précité.
Cette question a divisé les tribunaux administratifs.
Deux thèses se sont opposées.
1. La première, minoritaire, consistait à regarder la règle ainsi instaurée comme une loi de procédure, notamment de compétence et, à ce titre d’application immédiate.
2. Ainsi, ces dispositions, entrées en vigueur le 20 août 2013, étaient regardées comme se bornant à aménager l’exercice d’une voie de droit, déjà ouverte aux justiciables dont le permis de construire est attaqué mais devant le juge judiciaire (Civ. 3ème, 9 mai 2012, req. n° 11-13.597 ; Bull.civ. III,n°71 « la cour d'appel a retenu, à bon droit, que les juridictions de l'ordre judiciaire étaient en principe compétentes pour connaître des actions en responsabilité civile exercées par une personne privée à l'encontre d'une autre personne privée et qu'il n'était pas justifié en la cause d'une exception à ces principes qui ne saurait résulter de la seule nature particulière du recours pour excès de pouvoir ni de la simple application de la règle selon laquelle le juge saisi d'une instance serait nécessairement celui devant connaître du caractère abusif de sa saisine » ; Civ. 3ème, 5 juin 2012, req. n° 11-17.919, Construction-urbanisme. 2012, comm. 129).
3. Or, une loi ayant pour effet d’attribuer une compétence aux juridictions administratives est « une loi de procédure qui, en l’absence de dispositions contraires, régit les affaires en cours à partir de sa mise en application » (Cass., civ. 1ère, 25 avril 2007, n° 05-19.153, Bull. I, n° 160 ; CE Ass. 4 janvier 1957, Lamborot p. 12 : pour une loi d’application immédiate, transférant un contentieux de la compétence directe du Conseil d’Etat à une juridiction arbitrale).
4. Selon cette thèse, l’application immédiate de la règle n’emporte pas une immixtion injustifiée du pouvoir législatif dans le fonctionnement de la justice et ne porte pas atteinte aux droits acquis des justiciables.
5. Dès lors, en l’absence de dispositions transitoires contraires, l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 18 juillet 2013, est jugée comme régissant donc les affaires en cours, à compter de son entrée en vigueur (TA Dijon, 10 octobre 2013, req. n°1201224 ; TA Bordeaux, 5 juin 2014, SCI du Boulevard, req. n°1304528).
6. La seconde, majoritaire au sein des juridictions administratives, consistait à regarder la disposition comme affectant la substance du droit de former un recours pour excès de pouvoir contre une décision administrative et, à ce titre, applicable uniquement aux procédures contentieuses introduites postérieurement à l’entrée en vigueur de la réforme de 2013 (voir notamment TA Clermont-Ferrand, 23 avril 2014, req. n°1200849 ; TA Grenoble, 10 octobre 2013, req. n°1102108 ; TA Strasbourg, 15 octobre 2013, req. n°1003775 ).
7. Saisi par le tribunal administratif de Pau sur le fondement de l’article L. 113-1 du code de justice administrative, le Conseil d’Etat statue sur cette question de droit nouvelle présentant une difficulté sérieuse et retient la thèse minoritaire en jugeant que : « ces nouvelles dispositions [i[celles des articles L. 600-7 et L. 600-5 du code de l’urbanisme], ]iqui instituent des règles de procédure concernant exclusivement les pouvoirs du juge administratif en matière de contentieux de l'urbanisme, sont, en l'absence de dispositions expresses contraires, d'application immédiate aux instances en cours, quelle que soit la date à laquelle est intervenue la décision administrative contestée. Elles peuvent être appliquées pour la première fois en appel ».
8. En revanche, le Conseil d’Etat retient la seconde thèse en ce qui concerne les articles L. 600-1-2 et L. 600-1 -3 qui restreignent l’intérêt à agir en matière d’autorisation d’urbanisme puisqu’ils prévoient respectivement que : « Une personne autre que l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager que si la construction, l'aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation. » et « Sauf pour le requérant à justifier de circonstances particulières, l'intérêt pour agir contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager s'apprécie à la date d'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire. »
Deux remarques peuvent être formulées, de manière plus générale, à propos du mécanisme introduit par l’article L.600-7 du code de l’urbanisme.
Tout d’abord, ce mécanisme introduit une exception au principe jurisprudentiel suivant lequel le recours pour excès de pouvoir ne saurait en raison de sa nature particulière, être le cadre de conclusions à fins de dommages-intérêts (CE, 24 novembre 1967, Noble, n° 66271.
Ensuite, avec l’introduction de ce mécanisme, une question reste en suspens : il s’agit de savoir comment ce dispositif va s’articuler avec l’action en responsabilité exercée sur le fondement de l’article 1382 du code civil. En effet, le législateur n’a pas traité ce point, comme le préconisait d’ailleurs le rapport Labetoule « Construction et droit au recours : pour un meilleur équilibre » (Rapport de travail remis le 25 avril 2013 à la ministre de l’égalité des territoires et du logement, page 16). Il appartiendra donc aux juridictions de trancher le point.
Certains estiment que les juridictions judiciaires devraient se déclarer incompétentes.
D’autres au contraire estiment que les deux recours devraient cohabiter car en cas de rejet par le juge administratif de conclusions reconventionnelles indemnitaires ou dans l’hypothèse où le préjudice ne serait pas entièrement réparé, le bénéficiaire pourrait exercer un recours devant le juge civil, d’autant que la responsabilité civile du requérant est engagée dès lors que l’abus de droit cause un préjudice au défendeur et pas seulement lorsque le préjudice occasionné est excessif.