Karachi : Le lien entre l’arrêt des paiements et l’attentat
Actualités du droit - Gilles Devers, 4/04/2012
La Cour de cassation entre avec fracas dans l’affaire Karachi en admettant que les familles des victimes de l’attentat puissent se constituer parties civiles dans le volet des rétrocommissions. Motif : il est possible qu’elles aient servi à financer la campagne de Ballamou et que l’arrêt des paiements par Chirac aient conduit provoquer cet attentat, pour contraindre à la reprise des paiements.
Sarkozy Nicolas, qui est président de la République et non porte-parole du procureur de la République de Paris – comme l’actualité pourrait le laisser croire – avait dit que cette thèse était farfelue. La Cour de cassation l’estime possible. Je vous livre donc l’analyse de la Cour de cassation sans changer un mot.
Deux évènements et l’ouverture d’enquête pour assassinats
Par contrat en date du 21 septembre 1994, la direction des constructions navales internationales (DCN-I) a vendu trois sous-marins à l’Etat du Pakistan, pour un prix de 826 millions d’euros.
Le 8 mai 2002, onze employés français de la DCN travaillant à l’assemblage de l’un de ces sous-marins ont trouvé la mort dans l’explosion, à Karachi, du véhicule à bord duquel ils se trouvaient.
Le 27 mai 2002, une information judiciaire a été ouverte contre personne non dénommée des chefs d’assassinats, complicité et tentative.
La plainte des victimes pour corruption
Le 15 juin 2010, des ayants droit des victimes de cet attentat ont porté plainte et se sont constitués partie civile devant le doyen des juges d’instruction des chefs, notamment, d’entrave à la justice, faux témoignage, corruption active et passive au visa des articles 432-11 et 433-1 du code pénal, abus sociaux et recel aggravé.
Ils exposaient avoir appris par la presse que selon les rapports « Nautilus », datés des 11 septembre et 7 novembre 2002, établis à la demande de la DCN-I par un ancien agent de la direction de la sécurité du territoire dans le cadre d’une autre information judiciaire, le marché en cause n’avait pu être obtenu qu’en contrepartie de l’engagement de la DCN-I de verser aux autorités pakistanaises des commissions représentant 10,25 % de ce marché.
Ces versements devaient être effectués par l’intermédiaire de deux réseaux, dont le second, animé par M. S..., et qui avait été imposé à la DCN-I par le ministère de la défense français alors que l’affaire était sur le point d’être conclue, aurait assuré, par versement de rétrocommissions, le financement de la campagne présidentielle de M. Balladur en 1995, puis celui de l’association pour la réforme créée après son échec à cette élection.
Selon les parties civiles, ces mêmes documents établissaient que l’attentat de Karachi avait été commis par des islamistes instrumentalisés par des membres de l’armée pakistanaise et des services secrets de cet Etat, afin d’obtenir le versement des commissions restant dues au second réseau, environ 60 millions de francs, dont M. Chirac, président de la République, élu en 1995, aurait ordonné la cessation, pour tarir le financement de son adversaire.
Les demandes des victimes rejetées par la Cour d’appel
Le 7 septembre 2010, le procureur de la République a requis le juge d’instruction :
- d’une part, d’informer des chefs d’entrave à la justice et faux témoignage,
- d’autre part, de déclarer irrecevables les constitutions de partie civile des chefs d’abus de biens sociaux, corruption et recel.
Par ordonnance du 6 octobre 2010, ce magistrat a déclaré les parties civiles recevables à se constituer pour l’ensemble des délits précités, relevant notamment qu’elles faisaient « un lien direct entre l’attentat et les commissions qui auraient été destinées soit à corrompre les autorités pakistanaises, soit à verser en France des rétrocommissions », et qu’ainsi, pour les parties civiles, « les contrats de commission constituaient une condition sine qua non de la conclusion du marché du 21 septembre 1994, dont les conditions d’exécution étaient l’origine et la cause directe de l’attentat ».
Par une seconde ordonnance du 18 novembre 2010, le juge d’instruction a également déclaré d’autres salariés de la DCN-I blessés lors de l’attentat, ainsi que des membres de leur famille, recevables à se constituer partie civile dans la même information, des mêmes chefs.
Saisie de l’appel du ministère public contre ces deux ordonnances, la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris a déclaré irrecevables les constitutions de partie civile des chefs de corruption, abus de biens sociaux et recel.
La recevabilité des victimes du chef de corruption des familles
La Cour de cassation vise les articles 11, 2 et 85 du code de procédure pénale, et pose le principe d’interprétation.
Pour qu’une constitution de partie civile soit recevable devant la juridiction d’instruction, il suffit que les circonstances sur lesquelles elle s’appuie permettent au juge d’admettre comme possibles l’existence du préjudice allégué et la relation directe de celui-ci avec une infraction à la loi pénale. Lorsqu’une information judiciaire a été ouverte à la suite d’une atteinte volontaire à la vie d’une personne, les parties civiles constituées de ce chef sont recevables à mettre en mouvement l’action publique pour l’ensemble des faits dont il est possible d’admettre qu’ils se rattachent à ce crime par un lien d’indivisibilité.
Elle en tire ensuite les conséquences.
En statuant ainsi, par le seul examen abstrait des plaintes, sans rechercher, par une information préalable, si les faits visés dans ces dernières n’entraient pas dans les prévisions des articles 433-1 et 432-11 du code pénal, et alors qu’il se déduit des plaintes des parties civiles que les faits dénoncés sous les qualifications d’abus de biens sociaux, corruption d’agent public français, recel aggravé sont susceptibles de se rattacher par un lien d’indivisibilité aux faits d’assassinats, la chambre de l’instruction a méconnu les textes précités et le principe ci-dessus énoncé.
Mon grain de sel
Lisons ensemble, chères amies et chers amis : « les infractions d’abus de biens sociaux, corruption d’agent public français, recel aggravé sont susceptibles de se rattacher par un lien d’indivisibilité aux faits d’assassinats ». La Cour de cassation en reste au stade du « susceptible », ce qui est logique car nous en sommes à l’instruction. Mais comme Sarko et Ballamou sont eux aussi un chouïa « susceptibles », ils risquent de tousser un peu, car de manière très précise, la Cour de cassation accrédite que la justice ne perd pas son temps en cherchant l'existence d'un lien indivisible entre les attentats et le financement de la campagne de Ballamou en 2005.
Vous vous rappelez des discours saladistes sur la victime au centre du procès, et tout le bastringue ?
Ici, nous avons un crime qui date de 2002, et il faut attendre 10 ans et un arrêt de la Cour de cassation pour que les victimes se voient autorisées à participer aux débats sur le mobile de ce crime. Retour au réel.
- T'as vu la nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation ?
- Ouaip, et j'ai intérêt d'être réélu !
- Et après tu me fais nommer directeur du FMI, j'aurai l'immunité...
- Pas de problème : le FMI, c'est pour accueillir les réfugiés politiques.