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Conseil constitutionnel - décision n° 2009-580 DC du 10 juin 2009

- wikisource:fr, 28/07/2010


Conseil constitutionnel
10 juin 2009


Séance plénière – Loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet – 2009-580 DC


Saisine par plus de 60 députés.


Sommaire

Visas

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Vu la Constitution ;

Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu le code de la propriété intellectuelle ;

Vu le code des postes et des communications électroniques ;

Vu la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, ensemble la décision n° 2004-499 DC du 29 juillet 2004 ;

Vu les observations du Gouvernement, enregistrées le 29 mai 2009 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

Motifs

1. Considérant que les députés requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet ; qu’ils contestent sa procédure d’examen ainsi que la conformité à la Constitution de ses articles 5, 10 et 11 ;

Sur la procédure d’examen de la loi :

2. Considérant que, selon les requérants, le Gouvernement n’aurait pas fourni au Parlement les éléments objectifs d’information susceptibles de fonder des débats clairs et sincères ; qu’ils soutiennent, dès lors, que la procédure d’adoption de la loi était irrégulière ;

3. Considérant que les assemblées ont disposé, comme l’attestent tant les rapports des commissions saisies au fond ou pour avis que le compte rendu des débats, d’éléments d’information suffisants sur les dispositions du projet de loi en discussion ; que, par suite, le grief invoqué manque en fait ;

Sur les articles 5 et 11 :

4. Considérant, d’une part, que l’article 5 de la loi déférée crée au chapitre Ier du titre III du livre III de la première partie du code de la propriété intellectuelle une section 3 qui comporte les articles L. 331-12 à L. 331-45 et qui est consacrée à la « Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet » ; que cette nouvelle autorité administrative indépendante est composée d’un collège et d’une commission de protection des droits ; que le collège est notamment chargé de favoriser l’offre légale des œuvres et objets auxquels est attaché un droit d’auteur ou un droit voisin ; que la commission de protection des droits a pour mission de mettre en œuvre les nouveaux mécanismes d’avertissement et de sanction administrative des titulaires d’accès à internet qui auront manqué à l’obligation de surveillance de cet accès ;

5. Considérant, d’autre part, que l’article 11 insère, au sein du chapitre IV du même titre, les articles L. 336-3 et L. 336-4 ; qu’il définit l’obligation de surveillance de l’accès à internet et détermine les cas dans lesquels est exonéré de toute sanction le titulaire de l’abonnement à internet dont l’accès a été utilisé à des fins portant atteinte aux droits de la propriété intellectuelle ;

En ce qui concerne l’obligation de surveillance de l’accès à internet :

6. Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article L. 336-3 du code de la propriété intellectuelle : « La personne titulaire de l’accès à des services de communication au public en ligne a l’obligation de veiller à ce que cet accès ne fasse pas l’objet d’une utilisation à des fins de reproduction, de représentation, de mise à disposition ou de communication au public d’œuvres ou d’objets protégés par un droit d’auteur ou par un droit voisin sans l’autorisation des titulaires des droits prévus aux livres Ier et II lorsqu’elle est requise » ;

7. Considérant que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, la définition de cette obligation est distincte de celle du délit de contrefaçon ; qu’elle est énoncée en des termes suffisamment clairs et précis ; que, par suite, en l’édictant, le législateur n’a méconnu ni la compétence qu’il tient de l’article 34 de la Constitution, ni l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi ;

En ce qui concerne la répression des manquements à l’obligation de surveillance :

8. Considérant, d’une part, qu’aux termes des alinéas 2 à 6 du même article L. 336-3 : « Aucune sanction ne peut être prise à l’égard du titulaire de l’accès dans les cas suivants : « 1° Si le titulaire de l’accès a mis en œuvre l’un des moyens de sécurisation figurant sur la liste mentionnée au deuxième alinéa de l’article L. 331-32 ;

« 2° Si l’atteinte aux droits visés au premier alinéa du présent article est le fait d’une personne qui a frauduleusement utilisé l’accès au service de communication au public en ligne ;

« 3° En cas de force majeure.

« Le manquement de la personne titulaire de l’accès à l’obligation définie au premier alinéa n’a pas pour effet d’engager la responsabilité pénale de l’intéressé. »

9. Considérant, d’autre part, qu’aux termes de l’article L. 331-27 : «  Lorsqu’il est constaté que l’abonné a méconnu l’obligation définie à l’article L. 336-3 dans l’année suivant la réception d’une recommandation adressée par la commission de protection des droits et assortie d’une lettre remise contre signature ou de tout autre moyen propre à établir la preuve de la date d’envoi de cette recommandation et celle de sa réception par l’abonné, la commission peut, après une procédure contradictoire, prononcer, en fonction de la gravité des manquements et de l’usage de l’accès, l’une des sanctions suivantes :

« 1° La suspension de l’accès au service pour une durée de deux mois à un an assortie de l’impossibilité, pour l’abonné, de souscrire pendant la même période un autre contrat portant sur l’accès à un service de communication au public en ligne auprès de tout opérateur ;

«2° Une injonction de prendre, dans un délai qu’elle détermine, des mesures de nature à prévenir le renouvellement du manquement constaté, notamment un moyen de sécurisation figurant sur la liste définie au deuxième alinéa de l’article L. 331-32, et d’en rendre compte à la Haute Autorité, le cas échéant sous astreinte » ;

10. Considérant qu’en application de l’article L. 331-28, la commission de protection des droits de la Haute Autorité peut, avant d’engager une procédure de sanction, proposer à l’abonné une transaction comportant soit une suspension de l’accès à internet pendant un à trois mois, soit une obligation de prendre des mesures de nature à prévenir le renouvellement du manquement ; que l’article L. 331-29 autorise cette commission à prononcer les sanctions prévues à l’article L. 331-27 en cas de non-respect de la transaction ; que l’article L. 331-30 précise les conséquences contractuelles de la suspension de l’accès au service ; que l’article L. 331-31 prévoit les conditions dans lesquelles le fournisseur d’accès est tenu de mettre en œuvre la mesure de suspension ; que l’article L. 331-32 détermine les modalités selon lesquelles est établie la liste des moyens de sécurisation dont la mise en œuvre exonère le titulaire de l’accès de toute sanction ; que les articles L. 331-33 et L. 331-34 instituent un répertoire national recensant les personnes ayant fait l’objet d’une mesure de suspension ; qu’enfin, l’article L. 331-36 permet à la commission de protection des droits de conserver, au plus tard jusqu’au moment où la suspension d’accès a été entièrement exécutée, les données techniques qui ont été mises à sa disposition ;

11. Considérant que, selon les requérants, en conférant à une autorité administrative, même indépendante, des pouvoirs de sanction consistant à suspendre l’accès à internet, le législateur aurait, d’une part, méconnu le caractère fondamental du droit à la liberté d’expression et de communication et, d’autre part, institué des sanctions manifestement disproportionnées ; qu’ils font valoir, en outre, que les conditions de cette répression institueraient une présomption de culpabilité et porteraient une atteinte caractérisée aux droits de la défense ;

12. Considérant qu’aux termes de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi » ; qu’en l’état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu’à l’importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l’expression des idées et des opinions, ce droit implique la liberté d’accéder à ces services ;

13. Considérant que la propriété est au nombre des droits de l’homme consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789 ; que les finalités et les conditions d’exercice du droit de propriété ont connu depuis 1789 une évolution caractérisée par une extension de son champ d’application à des domaines nouveaux ; que, parmi ces derniers, figure le droit, pour les titulaires du droit d’auteur et de droits voisins, de jouir de leurs droits de propriété intellectuelle et de les protéger dans le cadre défini par la loi et les engagements internationaux de la France ; que la lutte contre les pratiques de contrefaçon qui se développent sur internet répond à l’objectif de sauvegarde de la propriété intellectuelle ;

14. Considérant que le principe de la séparation des pouvoirs, non plus qu’aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle, ne fait obstacle à ce qu’une autorité administrative, agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique, puisse exercer un pouvoir de sanction dans la mesure nécessaire à l’accomplissement de sa mission dès lors que l’exercice de ce pouvoir est assorti par la loi de mesures destinées à assurer la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis ; qu’en particulier doivent être respectés le principe de la légalité des délits et des peines ainsi que les droits de la défense, principes applicables à toute sanction ayant le caractère d’une punition, même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non juridictionnelle ;

15. Considérant qu’aux termes de l’article 34 de la Constitution : « La loi fixe les règles concernant… les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques » ; que, sur ce fondement, il est loisible au législateur d’édicter des règles de nature à concilier la poursuite de l’objectif de lutte contre les pratiques de contrefaçon sur internet avec l’exercice du droit de libre communication et de la liberté de parler, écrire et imprimer ; que, toutefois, la liberté d’expression et de communication est d’autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés ; que les atteintes portées à l’exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi ;

16. Considérant que les pouvoirs de sanction institués par les dispositions critiquées habilitent la commission de protection des droits, qui n’est pas une juridiction, à restreindre ou à empêcher l’accès à internet de titulaires d’abonnement ainsi que des personnes qu’ils en font bénéficier ; que la compétence reconnue à cette autorité administrative n’est pas limitée à une catégorie particulière de personnes mais s’étend à la totalité de la population ; que ses pouvoirs peuvent conduire à restreindre l’exercice, par toute personne, de son droit de s’exprimer et de communiquer librement, notamment depuis son domicile ; que, dans ces conditions, eu égard à la nature de la liberté garantie par l’article 11 de la Déclaration de 1789, le législateur ne pouvait, quelles que soient les garanties encadrant le prononcé des sanctions, confier de tels pouvoirs à une autorité administrative dans le but de protéger les droits des titulaires du droit d’auteur et de droits voisins ;

17. Considérant, en outre, qu’en vertu de l’article 9 de la Déclaration de 1789, tout homme est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable ; qu’il en résulte qu’en principe le législateur ne saurait instituer de présomption de culpabilité en matière répressive ; que, toutefois, à titre exceptionnel, de telles présomptions peuvent être établies, notamment en matière contraventionnelle, dès lors qu’elles ne revêtent pas de caractère irréfragable, qu’est assuré le respect des droits de la défense et que les faits induisent raisonnablement la vraisemblance de l’imputabilité ;

18. Considérant, en l’espèce, qu’il résulte des dispositions déférées que la réalisation d’un acte de contrefaçon à partir de l’adresse internet de l’abonné constitue, selon les termes du deuxième alinéa de l’article L. 331-21, « la matérialité des manquements à l’obligation définie à l’article L. 336-3 » ; que seul le titulaire du contrat d’abonnement d’accès à internet peut faire l’objet des sanctions instituées par le dispositif déféré ; que, pour s’exonérer de ces sanctions, il lui incombe, en vertu de l’article L. 331-38, de produire les éléments de nature à établir que l’atteinte portée au droit d’auteur ou aux droits voisins procède de la fraude d’un tiers ; qu’ainsi, en opérant un renversement de la charge de la preuve, l’article L. 331-38 institue, en méconnaissance des exigences résultant de l’article 9 de la Déclaration de 1789, une présomption de culpabilité à l’encontre du titulaire de l’accès à internet, pouvant conduire à prononcer contre lui des sanctions privatives ou restrictives de droit ;

19. Considérant qu’il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs, que doivent être déclarés contraires à la Constitution, à l’article 11 de la loi déférée, les deuxième à cinquième alinéas de l’article L. 336-3 et, à son article 5, les articles L. 331-27L. 331-27L. 331-27 à L. 331-31L. 331-31, L. 331-33L. 331-33 et L. 331-34 ; qu’il en va de même, au deuxième alinéa de l’article L. 331-21, des mots : « et constatent la matérialité des manquements à l’obligation définie à l’article L. 336-3 », du dernier alinéa de l’article L. 331-26L. 331-26, ainsi que des mots : « pour être considérés, à ses yeux, comme exonérant valablement de sa responsabilité le titulaire d’accès au titre de l’article L. 336-3 » figurant au premier alinéa de l’article L. 331-32 et des mots : « dont la mise en œuvre exonère valablement le titulaire de l’accès de sa responsabilité au titre de l’article L. 336-3 » figurant au deuxième alinéa de ce même article ;

20. Considérant que doivent également être déclarés contraires à la Constitution, en tant qu’ils n’en sont pas séparables, à l’article 5, les mots : « et l’avertissant des sanctions encourues en cas de renouvellement du manquement présumé » figurant au premier alinéa de l’article L. 331-26, les mots : « ainsi que des voies de recours possibles en application des articles L. 331-26 à L. 331-31 et L. 331-33 » figurant à l’article L. 331-35, les mots : « et, au plus tard, jusqu’au moment ou la suspension de l’accès prévue par ces dispositions a été entièrement exécutée » figurant au premier alinéa de l’article L. 331-36 et le second alinéa de cet article, les mots : « ainsi que du répertoire national visé à l’article L. 331-33, permettant notamment aux personnes dont l’activité est d’offrir un accès à un service de communication en ligne de disposer, sous la forme d’une simple interrogation, des informations strictement nécessaires pour procéder à la vérification prévue par ce même article » figurant à l’article L. 331-37, ainsi que le second alinéa de l’article L. 331-38 ; qu’il en va de même, à l’article 16, des mots : « de manquement à l’obligation définie à l’article L. 336-3 du code la propriété intellectuelle et », ainsi que des I et V de l’article 19 ;

En ce qui concerne le droit au respect de la vie privée :

21. Considérant que, selon les requérants, la loi déférée opère une conciliation manifestement déséquilibrée entre la protection des droits d’auteur et le droit au respect de la vie privée ; que l’objectif poursuivi par le législateur nécessiterait la mise en œuvre de mesures de surveillance des citoyens et l’instauration d’un « contrôle généralisé des communications électroniques » incompatibles avec l’exigence constitutionnelle du droit au respect de la vie privée ; que les requérants font valoir que les pouvoirs reconnus aux agents privés, habilités à collecter les adresses des abonnés suspectés d’avoir partagé un fichier d’œuvre protégée, ne sont pas encadrés par des garanties suffisantes ;

22. Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article 2 de la Déclaration de 1789 : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression » ; que la liberté proclamée par cet article implique le respect de la vie privée ;

23. Considérant, en second lieu, qu’il appartient au législateur, en vertu de l’article 34 de la Constitution, de fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ; qu’il lui appartient d’assurer la conciliation entre le respect de la vie privée et d’autres exigences constitutionnelles, telles que la protection du droit de propriété ;

24. Considérant qu’en vertu de l’article L. 331-24 du code de la propriété intellectuelle, la commission de protection des droits agit sur saisine d’agents assermentés et agréés dans les conditions définies à l’article L. 331-2 du même code ; que ces agents sont désignés par les organismes de défense professionnelle régulièrement constitués, par les sociétés de perception et de répartition des droits ou par le Centre national de la cinématographie ;

25. Considérant qu’aux termes de l’article 9 de la loi du 6 janvier 1978 susvisée : « Les traitements de données à caractère personnel relatives aux infractions, condamnations et mesures de sûreté ne peuvent être mis en œuvre que par : … 4° Les personnes morales mentionnées aux articles L. 321-1 et L. 331-1 du code de la propriété intellectuelle, agissant au titre des droits dont elles assurent la gestion ou pour le compte des victimes d’atteintes aux droits prévus aux livres Ier, II et III du même code aux fins d’assurer la défense de ces droits » ; que ces personnes morales sont les sociétés de perception et de répartition des droits et les organismes de défense professionnelle régulièrement constitués ;

26. Considérant que les dispositions combinées de l’article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques, tel qu’il est modifié par l’article 14 de la loi déférée, des troisième et cinquième alinéas de l’article L. 331-21 du code de la propriété intellectuelle et de son article L. 331-24 ont pour effet de modifier les finalités en vue desquelles ces personnes peuvent mettre en œuvre des traitements portant sur des données relatives à des infractions ; qu’elles permettent en effet que, désormais, les données ainsi recueillies acquièrent un caractère nominatif également dans le cadre de la procédure conduite devant la commission de protection des droits ;

27. Considérant que la lutte contre les pratiques de contrefaçon sur internet répond à l’objectif de sauvegarde de la propriété intellectuelle et de la création culturelle ; que, toutefois, l’autorisation donnée à des personnes privées de collecter les données permettant indirectement d’identifier les titulaires de l’accès à des services de communication au public en ligne conduit à la mise en œuvre, par ces personnes privées, d’un traitement de données à caractère personnel relatives à des infractions ; qu’une telle autorisation ne saurait, sans porter une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée, avoir d’autres finalités que de permettre aux titulaires du droit d’auteur et de droits voisins d’exercer les recours juridictionnels dont dispose toute personne physique ou morale s’agissant des infractions dont elle a été victime ;

28. Considérant qu’à la suite de la censure résultant des considérants 19 et 20, la commission de protection des droits ne peut prononcer les sanctions prévues par la loi déférée ; que seul un rôle préalable à une procédure judiciaire lui est confié ; que son intervention est justifiée par l’ampleur des contrefaçons commises au moyen d’internet et l’utilité, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, de limiter le nombre d’infractions dont l’autorité judiciaire sera saisie ; qu’il en résulte que les traitements de données à caractère personnel mis en œuvre par les sociétés et organismes précités ainsi que la transmission de ces données à la commission de protection des droits pour l’exercice de ses missions s’inscrivent dans un processus de saisine des juridictions compétentes ;

29. Considérant que ces traitements seront soumis aux exigences prévues par la loi du 6 janvier 1978 susvisée ; que les données ne pourront être transmises qu’à cette autorité administrative ou aux autorités judiciaires ; qu’il appartiendra à la Commission nationale de l’informatique et des libertés, saisie pour autoriser de tels traitements, de s’assurer que les modalités de leur mise en œuvre, notamment les conditions de conservation des données, seront strictement proportionnées à cette finalité ;

30. Considérant, en outre, que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, les agents assermentés visés à l’article L. 331-24 du code de la propriété intellectuelle ne sont pas investis du pouvoir de surveiller ou d’intercepter des échanges ou des correspondances privés ;

31. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que, sous la réserve énoncée au considérant 29, la mise en œuvre de tels traitements de données à caractère personnel ne méconnaît pas les exigences constitutionnelles précitées ;

En ce qui concerne le renvoi à des décrets en Conseil d’État :

32. Considérant que, selon les requérants, en renvoyant à un décret le soin de préciser les conditions dans lesquelles la Haute Autorité pourra attribuer un label permettant « d’identifier clairement le caractère légal » des offres de service de communication en ligne, l’article L. 331-23 du code de la propriété intellectuelle laisserait à la Haute Autorité le pouvoir de déterminer de manière discrétionnaire les offres qui présentent, selon elle, un caractère légal ; que les requérants ajoutent que l’article L. 331-32 ne pouvait renvoyer au décret le soin de fixer la procédure d’évaluation et de labellisation des moyens de sécurisation de l’accès à internet ; que, ce faisant, le législateur n’aurait pas exercé la compétence qu’il tient de l’article 34 de la Constitution en matière de garanties fondamentales reconnues aux citoyens dans l’exercice des libertés publiques ;

33. Considérant que, si l’article 34 de la Constitution dispose que « la loi fixe les règles concernant… les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques », la mise en œuvre des garanties déterminées par le législateur relève du pouvoir exécutif ; que les dispositions de l’article 21 de la Constitution, qui confient au Premier ministre le soin d’assurer l’exécution des lois et, sous réserve des dispositions de l’article 13, d’exercer le pouvoir réglementaire, ne font pas obstacle à ce que le législateur confie à une autorité publique autre que le Premier ministre le soin de fixer des normes permettant la mise en œuvre des principes posés par la loi, pourvu que cette habilitation ne concerne que des mesures limitées tant par leur champ d’application que par leur contenu ; qu’une telle attribution de compétence n’a pas pour effet de dispenser l’autorité réglementaire du respect des exigences constitutionnelles ;

34. Considérant que la labellisation du « caractère légal » des offres de service de communication au public en ligne a pour seul objet de favoriser l’identification, par le public, d’offres de service respectant les droits de la propriété intellectuelle ; qu’il résulte du deuxième alinéa de l’article L. 331-23 que, saisie d’une demande d’attribution d’un tel label, la Haute Autorité sera tenue d’y répondre favorablement dès lors qu’elle constatera que les services proposés par cette offre ne portent pas atteinte aux droits d’auteur ou aux droits voisins ; que le renvoi au décret pour fixer les conditions d’attribution de ce label a pour seul objet la détermination des modalités selon lesquelles les demandes de labellisation seront reçues et instruites par la Haute Autorité ; que ces dispositions ne lui confèrent aucun pouvoir arbitraire ;

35. Considérant que, dans sa rédaction issue de la censure résultant des considérants 19 et 20, l’article L. 331-32 a pour seul objet de favoriser l’utilisation des moyens de sécurisation dont la mise en œuvre permet d’assurer la surveillance d’un accès à internet conformément aux prescriptions de l’article L. 336-3 ; qu’il revient au pouvoir réglementaire de définir les conditions dans lesquelles ce label sera délivré ; qu’il s’ensuit que les dispositions des articles 5 et 11 de la loi déférée, autres que celles déclarées contraires à la Constitution, ne sont pas entachées d’incompétence négative ;

Sur l’article 10 :

36. Considérant que l’article 10 de la loi donne une nouvelle rédaction de l’article L. 336-2 du code de la propriété intellectuelle ; qu’aux termes de cet article : « En présence d’une atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin occasionnée par le contenu d’un service de communication au public en ligne, le tribunal de grande instance, statuant le cas échéant en la forme des référés, peut ordonner à la demande des titulaires de droits sur les œuvres et objets protégés, de leurs ayants droit, des sociétés de perception et de répartition des droits visées à l’article L. 321-1 ou des organismes de défense professionnelle visés à l’article L. 331-1, toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte à un droit d’auteur ou un droit voisin, à l’encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier » ;

37. Considérant que, selon les requérants, la possibilité « de bloquer, par des mesures et injonctions, le fonctionnement d’infrastructures de télécommunications… pourrait priver beaucoup d’utilisateurs d’internet du droit de recevoir des informations et des idées » ; qu’en outre, le caractère excessivement large et incertain de cette disposition pourrait conduire les personnes potentiellement visées par l’article 10 à restreindre, à titre préventif, l’accès à internet ;

38. Considérant qu’en permettant aux titulaires du droit d’auteur ou de droits voisins, ainsi qu’aux personnes habilitées à les représenter pour la défense de ces droits, de demander que le tribunal de grande instance ordonne, à l’issue d’une procédure contradictoire, les mesures nécessaires pour prévenir ou faire cesser une atteinte à leurs droits, le législateur n’a pas méconnu la liberté de d’expression et de communication ; qu’il appartiendra à la juridiction saisie de ne prononcer, dans le respect de cette liberté, que les mesures strictement nécessaires à la préservation des droits en cause ; que, sous cette réserve, l’article 10 n’est pas contraire à la Constitution ;

39. Considérant qu’il n’y a lieu, pour le Conseil constitutionnel, de soulever d’office aucune question de conformité à la Constitution,

DÉCIDE :

Article premier. – Sont déclarées contraires à la Constitution les dispositions suivantes du code de la propriété intellectuelle, telles qu’elles résultent des articles 5 et 11 de la loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet :

  • au deuxième alinéa de l’article L. 331-21, les mots : « et constatent la matérialité des manquements à l’obligation définie à l’article L. 336-3 » ;
  • au premier alinéa de l’article L. 331-26, les mots : «  et l’avertissant des sanctions encourues en cas de renouvellement du manquement présumé » ;
  • le dernier alinéa de l’article L. 331-26 ;
  • les articles L. 331-27L. 331-27 à L. 331-31L. 331-31 ;
  • au premier alinéa de l’article L. 331-32, les mots : « pour être considérés, à ses yeux, comme exonérant valablement de sa responsabilité le titulaire d’accès au titre de l’article L. 336-3 » ;
  • au deuxième alinéa du même article, les mots : « dont la mise en œuvre exonère valablement le titulaire de l’accès de sa responsabilité au titre de l’article L. 336-3 » ;
  • les articles L. 331-33L. 331-33 et L. 331-34 ;
  • à l’article L. 331-35L. 331-35, les mots : « ainsi que des voies de recours possibles en application des articles L. 331-26 à L. 331-31 et L. 331-33 » ;
  • à l’article L. 331-36, les mots : « et, au plus tard, jusqu’au moment ou la suspension de l’accès prévue par ces dispositions a été entièrement exécutée » figurant au premier alinéa ainsi que le second alinéa ;
  • au deuxième alinéa de l’article L. 331-37, les mots : « , ainsi que du répertoire national visé à l’article L. 331-33, permettant notamment aux personnes dont l’activité est d’offrir un accès à un service de communication en ligne de disposer, sous la forme d’une simple interrogation, des informations strictement nécessaires pour procéder à la vérification prévue par ce même article » ;
  • le second alinéa de l’article L. 331-38 ;
  • les deuxième à cinquième alinéas de l’article L. 336-3.

Il en est de même des mots : « de manquement à l’obligation définie à l’article L. 336-3 du code la propriété intellectuelle et » figurant à l’article 16 de la même loi, ainsi que des I et V de l’article 19.

Article 2. – Au premier alinéa de l’article L. 331-17L. 331-17 du même code, tel qu’il résulte de l’article 5 de la même loi, les mots : « aux articles L. 331-26 à L. 331-31 et à l’article L. 331-33L. 331-33 » sont remplacés par les mots : « à l’article L. 331-26 ».

Article 3. — Sous les réserves énoncées aux considérants 29 et 38, l’article 10 de la même loi, ainsi que le surplus de ses articles 5, 11, 16 et 19, ne sont pas contraires à la Constitution.

Article 4. – La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 10 juin 2009, où siégeaient : M. Jean-Louis Debré, président, MM. Guy Canivet, Jacques Chirac, Renaud Denoix de Saint Marc, Olivier Dutheillet de Lamothe, Mme Jacqueline de Guillenchmidt, MM. Pierre Joxe et Jean-Louis Pezant, Mme Dominique Schnapper et M. Pierre Steinmetz.


Le président,

Jean-Louis Debré

Loi Hadopi

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