La dangerosité, encore et toujours…
Le blog Dalloz - bley, 5/12/2012
Après avoir fait couler beaucoup d’encre lors de l’adoption de la loi n° 2008-174 du 25 février 2008 relative à la rétention et à la déclaration d’irresponsabilité pour cause de trouble mental, le débat sur la dangerosité réapparaît avec le procès d’une psychiatre, jugée pour homicide involontaire.
Un de ses patients a commis un meurtre après avoir obtenu une sortie d’essai dans le cadre de l’hospitalisation d’office. Il lui est reproché de ne pas avoir correctement diagnostiqué la dangerosité de son patient, alors même qu’elle lui a proposé une sortie à l’essai. Le patient a été reconnu pénalement irresponsable mais sa psychiatre est poursuivie « pour des fautes multiples et caractérisées [ayant] contribuées au passage à l’acte violent ».
Il convient déjà de rappeler que la dangerosité est une notion plurielle ce qui conduit à lui nier tout statut scientifique (C. Debuyst, « La notion de dangerosité et sa mise en cause », VIIIe Journée internationale de criminologies clinique comparée, Gênes, 26-27 mai 1981, pp. 300 à 312, spéc. p. 301). La dangerosité peut être d’ordre victimologique (le comportement d’un individu est considéré comme équivoque, voire même provocateur, ce qui implique qu’une infraction soit commise contre sa personne), social (l’individu représente un danger pour la société par ses actes déviants), psychiatrique (traduisant un risque de passage à l’acte lié à la présence d’une maladie mentale) ou criminologique (« phénomène psychosocial caractérisé par des indices révélateurs de la grande probabilité pour un individu de commettre une infraction contre les personnes et les biens », C. de Beaurepaire, M. Benezech et C. Kottler [dir.], Les dangerosités. De la criminologie à la pathologie, entre justice et psychiatrie, John Libbey, 2004, p. 12.).
Le psychiatre est compétent seulement pour apprécier la dangerosité psychiatrique liée à une pathologie. Pour y parvenir, il dispose de deux types d’outils : les méthodes cliniques, fondées sur l’observation et les entretiens, et celles actuarielles, prenant la forme de statistique.
L’expertise repose sur un matériel humain, ce qui laisse une part à l’impondérable. Et ce, d’autant plus qu’en droit pénal, l’être humain est considéré comme disposant de son libre arbitre (« Nul doute [que notre code pénal] penche pour l’aptitude de l’homme à disposer à priori de sa liberté d’agir. [...] Les règles pénales imposent impérativement une sanction dès lors qu’un individu pénalement responsable, a commis un acte légalement incriminé. Ainsi, aucune peine n’est prévue pour celui qui est jugé irresponsable » ; S. Tzitzi, « Responsabilité et liberté dans la dynamique de la philosophie pénale », pp. 25 à 38, spéc. p. 37, in C. de Beaurepaire, et. al., op. cit., 2004). Cette faculté suppose qu’il a la liberté de choisir entre telle et telle action. Il est impossible de prévoir avec certitude quel choix sera fait par la personne ; il est de même pour prévoir la dangerosité
Par ailleurs, il n’est pas possible d’éviter certains écueils, déceler toutes les dissimulations.
Les prévisions peuvent ainsi ne pas se produire : c’est le cas des « faux positifs ». Dans cette hypothèse, le sujet est déclaré dangereux alors même qu’en réalité il ne va pas passer à l’acte. A contrario, le résultat peut conduire à considérer l’intéressé comme n’étant pas dangereux, mais il passe effectivement à l’acte une fois remis en liberté : ce sont des « faux négatifs ». L’existence de faux négatifs démontre que la méthode de prédiction de la dangerosité, qu’elle soit clinique ou actuarielle, n’est pas totalement efficace
Le pronostic de dangerosité est incertain. Le risque zéro d’erreur n’existe pas.
Ce procès met en avant un dilemme entre, d’un côté, la demande d’une protection contre la dangerosité et donc le risque de passage à l’acte et, de l’autre, l’impossibilité de prédire avec certitude la dangerosité. Certes, un médecin peut être poursuivi pour faute professionnelle mais de là à rendre le psychiatre responsable pénalement des actes de son patient, n’est-ce pas dangereux ?
Si le tribunal retient la responsabilité pénale de la psychiatre (le jugement du tribunal correctionnel sera rendu le 18 décembre 2012 : le procureur a requis une peine d’un an de prison avec sursis contre le médecin tandis que son avocat a plaidé la relaxe), il est à craindre que tous les experts en prennent acte, ce qui conduira à un changement de leur pratique, à un glissement sécuritaire. Dans ces circonstances, ils ne prendront plus le risque de se prononcer en faveur d’une remise en liberté (que ce soit dans le cadre d’une hospitalisation, d’une détention, voire d’une rétention de sûreté). Le patient sera privé de sa liberté au nom d’un risque éventuel de passage l’acte. La réinsertion, pourtant clé de voute du droit pénal, serait occultée par l’impératif de neutralisation.
Cette affaire rappelle que l’introduction de la notion de « dangerosité » en droit pénal constitue un danger pour le droit pénal et qu’il convient d’être prudent en la matière.
Élise Mallein
ATER à l’Université de Bourgogne, doctorante en droit pénal