Find me guilty ou le droit de se défendre seul aux États-Unis
Le blog Dalloz - bley, 4/02/2013
L’intérêt de Sydney Lumet pour la justice ne se résume pas au célèbre Douze hommes en colère. En réalité, l’adaptation qu’il fit de la pièce de Reginald Rose, en 1957, ouvre une longue série d’œuvres diverses, lesquelles sont souvent, d’une manière ou d’une autre, un bon moyen pour comprendre les ressorts du système judiciaire américain. Et, une fois encore, le cinéma prouve toute son utilité pour l’analyse critique, grâce à la mise en situation qu’il suscite.
Ainsi, Find me guilty, sorti en 2006, l’un des derniers films du réalisateur, permet de passer au crible un mécanisme important du droit pénal des États-Unis : self-representation, ou encore pro se legal representation, c’est-à-dire se passer des services d’un avocat, se représenter soi-même. N’est-on jamais mieux servi que par soi-même, y compris en matière pénale ? La question n’est pas simple.
Il faut tout d’abord dire un mot du contenu du film, car il s’agit quand même d’un morceau important de l’histoire criminelle des États-Unis. La ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé n’est pas fortuite, elle est clairement recherchée. Sydney Lumet s’est plongé dans les archives d’un des célèbres procès de la mafia américaine, un de ceux qui s’étaient tenus dans la foulée de l’adoption de RICO en 1970, acronyme d’un texte qui a permis au gouvernement fédéral de poursuivre de nombreuses associations de malfaiteurs. En août 1985, après quatre années d’investigations menées par le FBI, le US Attorney du New Jersey se lance dans une vaste entreprise de répression du crime organisé. Vingt membres supposés de la mafia sont inculpés, et voilà qu’un méga procès s’ouvre devant la Federal District Court de Newark. Gigantesque en taille, bien sûr, puisqu’il y a près de vingt prévenus, mais, également, en temps. Il débute en novembre 1986 et s’achève le 26 août 1988, soit une durée de près de 21 mois.
La conduite du procès a été à l’époque beaucoup critiquée, notamment par les avocats de la défense qui fustigeaient les méthodes du gouvernement : ragots, ouï-dire, témoignages peu crédibles, etc. Tout concourait, selon eux, à en faire un trashy novel (J. Rangel, Mob trial going to jury today in Jersey, New York Times, 25 août 1988). Après quatorze heures de délibérations, le procès s’est soldé par un acquittement général des accusés.
L’un d’entre eux, Jackie Di Norscio avait décidé de se défendre seul. Invoquant le sixième amendement, il a décidé de ne pas recourir aux services d’un avocat. Ses interventions, restées célèbres, ont alors tourné en véritable farce et l’on comprend que l’affaire ait pu intéresser le cinéma.
Sydney Lumet, et son scénariste TJ Mancini ont puisé à la source en se servant, pour l’écriture du scénario, des véritables minutes du procès. Vin Diesel excelle en affranchi s’improvisant homme de loi, le jury sourit, le juge s’attendrit face à ce personnage attachant. C’est d’ailleurs finalement la vraie réussite de Sydney Lumet dans ce film, celle d’avoir réussi à troubler les habituelles catégories, d’avoir suscité un attendrissement évident pour ce condamné qui purge pourtant une peine de prison pour trafic de cocaïne et ce, même aux yeux du président du tribunal. « I am not a gangster, I am gagster », dit au jury Di Norscio. Et, aussi surprenant soit-il, on a bien envie de le croire.
Mais tout cela n’aurait pas été possible sans un certain Anthony Falleta qui s’était rendu coupable de vol à Los Angeles. Dans un arrêt du 30 juin 1975, la Cour suprême des États-Unis (Faretta v. California, 422 U.S. 806) a reconnu que le droit de se représenter soi-même était d’origine constitutionnelle, découlant du sixième amendement. En effet, l’arrêt, rédigé par le juge Justice Stewart, énonce clairement que ce droit trouve son support dans la structure de cette disposition constitutionnelle. Après avoir fait observer que ce droit est protégé depuis 1789 (Judiciary Act) au niveau des cours fédérales et que son principe même n’était pas du tout étranger, ni à la jurisprudence de la Cour suprême ni même à la tradition britannique, Justice Stewart reconnaît expressément que le droit de mener personnellement sa défense est implicitement compris dans les termes du sixième amendement.
Ce droit étonnera le juriste français. Pas vraiment s’il s’agit de se représenter devant des juridictions où l’enjeu est moins significatif. Il n’est pas rare, bien au contraire, de voir les justiciables se défendre eux-mêmes devant, par exemple, le tribunal de police. Mais, parmi d’autres juridictions, et devant la cour d’assises, il n’est pas question de se passer de la présence d’un avocat. En effet, l’article 317, alinéa 1er, du code de procédure pénale énonce qu’« à l’audience, la présence d’un défenseur auprès de l’accusé est obligatoire ». En France, il est radicalement impossible de pourvoir soi-même à sa défense.
On peut rester évidemment sceptique face à la solution américaine. Se défendre seul n’est pas toujours un choix heureux en termes de résultat ni même le produit d’une saine réflexion. La défense peut alors se révéler catastrophique pour le prévenu, spécialement dans les procès où la peine de mort est en jeu (E. Rieder, The right of self-representation in the capital case, Columbia Law Review, vol. 85, no 1, 1985, p. 130). Mais le système américain a pris en compte cet écueil et la jurisprudence, dès l’arrêt Faretta, insiste sur l’idée que la décision doit être prise en pleine connaissance de cause des conséquences, par un individu doté de toutes ses capacités mentales. Car c’est la combinaison des deux exigences qui conduit à ce que l’impératif d’un fair trial soit respecté, une notion clef de la procédure pénale américaine.
L’acceptation de principe d’un tel droit traduit une différence de culture fondamentale entre les systèmes français et américain et la prouesse de Sydney Lumet est de parvenir à démontrer les limites de la possibilité de se défendre soi-même, dans un pays où l’exigence d’un procès équitable est pourtant primordiale. Plus encore, Find me guilty rend compte de ce que la justice est bien souvent, et avant tout, dans sa plus simple expression, un rapport d’individu à individu, de l’accusé au jury. Directement.
Thibault de Ravel d’Esclapon
Chargé d’enseignement à l’Université de Strasbourg, Centre du droit de l’entreprise