Le harcèlement sexuel retoqué par le Conseil constitutionnel, une bonne décision !
Le blog Dalloz - bley, 14/05/2012
Par une décision du 4 mai 2012 (n° 2012-240-QPC), le Conseil constitutionnel a déclaré les dispositions de l’article 222-33 du code pénal incriminant le délit de harcèlement sexuel non conformes à la Constitution au motif qu’en étant « punissable sans que les éléments constitutifs de l’infraction soient suffisamment définis », ce délit contrevenait au principe de légalité des délits et des peines.
Le 29 février 2012, le Conseil constitutionnel était saisi par la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article 222-33 du code pénal incriminant le délit de harcèlement sexuel (Crim. 29 févr. 2012, n° 11-85.377).
Introduit dans le code pénal en 1992, l’infraction de harcèlement sexuel a tout d’abord été définie comme « le fait de harceler autrui en usant d’ordres, de menaces ou de contraintes, dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle, par une personne abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions ».
Aux termes de la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale, le législateur, souhaitant élargir le champ d’application de cette incrimination, en a modifié la définition en supprimant toutes les précisions relatives aux actes par lesquels le harcèlement pouvait être caractérisé ainsi qu’à la circonstance relative à l’abus d’autorité (L. 2002-73, art. 179). La définition du délit de harcèlement sexuel ainsi soumise au Conseil constitutionnel était donc la suivante : « Le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende ».
Compte tenu de l’imprécision de cette formulation, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 4 mai 2012, a logiquement conclu à la non-conformité de l’article 222-33 à la Constitution, considérant qu’une telle définition contrevenait au principe de légalité des délits et des peines protégé par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui prévoit notamment que « nul ne peut être puni pour un crime ou pour un délit dont les éléments ne sont pas définis par la loi ou pour une contravention dont les éléments ne sont pas définis par le règlement » (C. pén., 111-3).
C’est une bonne chose que cette décision ait été rendue. Les justiciables ne peuvent, en effet, se satisfaire d’une incrimination qui définit le harcèlement par « le fait de harceler » sans autre précision au mépris du respect des principes de sécurité juridique et de prévisibilité de la loi. Il ne s’agit pas de se prononcer sur le bien-fondé de l’existence de cette incrimination, qui relève de l’évidence, mais d’en apprécier la définition. En d’autres termes, la présence dans notre droit positif d’un texte incriminant les faits de harcèlement sexuel est incontestablement indispensable dès lors que les comportements déviants visés sont loin d’avoir disparu, bien au contraire ! Cela suppose cependant que cette infraction soit véritablement circonscrite et n’ouvre pas la porte à des dénonciations et des poursuites abusives.
Le Conseil constitutionnel a ainsi logiquement souligné qu’un tel texte permettait « que le délit de harcèlement sexuel soit punissable sans que les éléments constitutifs de l’infraction soient suffisamment définis » considérant qu’il devait donc être déclaré contraire à la Constitution. Faisant preuve de rigueur et d’orthodoxie, le Conseil constitutionnel n’a pas jugé bon de reporter les effets de sa décision (comme il avait pu le faire, par exemple, pour la garde à vue) et a ainsi considéré « que l’abrogation de l’article 222-33 du code pénal prend effet à compter de la publication de la présente décision [et] qu’elle est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date ».
Le problème reste donc entier. À la place d’un texte mal fait, les victimes de harcèlement sexuel se retrouvent aujourd’hui sans protection. Ce vide juridique patent doit être comblé au plus vite.
À ce titre, il est fâcheux que le législateur n’ait pas jugé utile de se saisir spontanément de cette question, obligeant ainsi le Conseil constitutionnel à agir. Ce faisant, il est aujourd’hui urgent qu’il définisse avec justesse et précision le délit de harcèlement sexuel dans le respect des exigences constitutionnelles afin que les faits graves visés par cette infraction soient à nouveau sanctionnés la loi pénale.
À cet égard, les associations féministes seraient bien inspirées de ne pas s’en prendre au juge constitutionnel qui n’a fait que son travail. À notre sens, on ne peut vilipender une soi-disant justice machiste qui serait méprisante à l’égard du droit des femmes. En vérité, nous sommes tous comptables d’une législation pénale respectueuse de nos principes fondamentaux si l’on veut que la justice de notre pays prononce des décisions exemplaires et acceptées par nos concitoyens. La lutte contre le harcèlement sexuel, nécessaire et indispensable, n’autorise pas pour autant des anathèmes et débordements sémantiques.
Si l’on veut élargir notre propos, force est de souligner que le législateur pourrait, par la même occasion, en profiter pour clarifier la définition du délit de harcèlement moral qui souffre des mêmes lacunes. Adoptant une tautologie identique, l’article 222-33-2 du code pénal définit en effet le harcèlement moral comme : « le fait de harceler autrui par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende ».
Ce 10 mai 2012, le tribunal correctionnel d’Épinal vient justement de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité portant sur le délit de harcèlement moral reprenant la même argumentation que celle consacrée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 4 mai 2012.
Afin de ne pas laisser s’installer une nouvelle fois un tel vide juridique, le législateur serait ainsi bien inspiré de tirer toutes les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel s’agissant du harcèlement moral et de ne pas attendre, cette fois-ci, la décision des juges de la rue de Montpensier.
Emmanuel Daoud
Avocat à la cour, www.vigo-avocats.com