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Être ou ne pas être valide… ou comment savoir si un article du code des douanes est encore en vigueur

le blog dalloz - bley, 9/01/2012

Contrairement à une réputation que lui font certains mauvais esprits, le droit douanier se montre parfois soucieux de protéger les intérêts de ceux auxquels il reproche pourtant d’avoir méconnu certaines de ses dispositions. Il arrive ainsi que les douaniers, suivant en cela une procédure traditionnelle, saisissent au passage de la frontière des marchandises qu’ils soupçonnent [...]

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Contrairement à une réputation que lui font certains mauvais esprits, le droit douanier se montre parfois soucieux de protéger les intérêts de ceux auxquels il reproche pourtant d’avoir méconnu certaines de ses dispositions. Il arrive ainsi que les douaniers, suivant en cela une procédure traditionnelle, saisissent au passage de la frontière des marchandises qu’ils soupçonnent d’avoir été irrégulièrement introduites ainsi que les véhicules qui les contenaient.

Alors que, à première vue, cette situation ne prendra fin qu’à l’issue des poursuites intentées contre l’auteur de l’infraction, qu’il s’agisse d’une condamnation ou d’une relaxe judiciaire ou encore d’une transaction, l’article 389 du code des douanes prévoit notamment qu’« en cas de saisie d’objets qui ne pourront être conservés sans courir le risque de détérioration », la douane pourra être autorisée par un juge à procéder à leur vente aux enchères. Le même article ajoute que le produit de la vente sera « déposé dans la caisse de la douane pour en être disposé ainsi qu’il sera statué en définitive par le tribunal chargé de se prononcer sur la saisie ». On appréciera au passage le recours à l’expression « la caisse de la douane », qui fleure encore bon son Ancien Régime et laisse imaginer que cette administration dispose encore d’une « caisse » distincte du Trésor public, ce qui est très révélateur d’un des nombreux archaïsmes de notre code.

Quoi qu’il en soit, il était inévitable que cet article singulier soit soumis à l’appréciation du Conseil constitutionnel. On épargnera au lecteur l’exposé détaillé des griefs qui lui étaient adressés, auxquels répond point par point la décision n° 2011-203 du 2 décembre 2011. C’est ainsi, tout d’abord, qu’est rejeté l’argument selon lequel le texte en question constituerait une atteinte au droit de propriété, dans la mesure où il est justifié par la nécessité publique. Mais, en revanche, l’absence de caractère contradictoire de la procédure et le caractère non suspensif du recours contre la décision du juge permettent de conclure que l’on est bien en présence d’une violation d’un principe constitutionnel.

Et c’est ici que l’observateur ne peut dissimuler sa surprise. Le Conseil constitutionnel affirme, en effet, et d’une manière catégorique et dépourvue d’ambiguïté, que « l’article 389 doit être déclaré contraire à la Constitution ». Et pourtant, « [son] abrogation immédiate aurait des conséquences manifestement excessives ». Aucune explication ne vient étayer cette allégation. De quelles conséquences manifestement excessives peut-il s’agir, qui justifient que le Conseil constitutionnel, comme il a le droit de le faire en vertu de l’article 62 de la Constitution, décide que la déclaration d’inconstitutionnalité ne sera applicable que… le 1er janvier 2013 ? La seule bribe d’explication donnée in fine par le « commentaire » de la décision émanant du Conseil lui-même se trouve dans la phrase : il s’agit de « permettre au législateur de remédier à cette inconstitutionnalité ».

Certes, on sait combien le Conseil tient à se garder de l’accusation d’être tenté de se substituer aux assemblées parlementaires. Ainsi a-t-il tenu, dans sa décision n° 2010-32 du 22 septembre 2011, relative à la retenue douanière, à préciser sa pensée : « Le Conseil constitutionnel ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation de même nature que celui du parlement ; il ne lui appartient pas d’indiquer les modifications des règles de la procédure répressive en matière douanière qui doivent être choisies pour qu’il soit remédié à l’inconstitutionnalité constatée ».

Cela étant, et s’il était sans doute raisonnable de laisser aux autorités compétentes un délai d’environ dix mois pour adopter un nouveau régime de retenue douanière (ce qu’elles ont fait, d’ailleurs, en publiant dès le 14 avr. 2011 une loi réformant profondément le régime antérieur), on voit mal ce qui impose de différer la disparition immédiate de la disposition entachée du grief d’inconstitutionnalité, formellement condamnée par la décision du 2 décembre 2011. Si l’article 389 du code des douanes est bien contraire à des principes fondamentaux de notre droit, comment justifier son maintien actuel – et pour un an – dans notre ordre juridique ? On admettra sans peine que sa disparition ne puisse entraîner d’effets rétroactifs sur les procédures en cours, mais on aura du mal à expliquer à l’auteur d’une infraction commise en avril 2012 et dont le véhicule aura été saisi à titre conservatoire, dans l’attente de l’issue des poursuites dont il fait l’objet, que va lui être appliqué un article du code des douanes considéré par le Conseil constitutionnel lui-même comme contraire à la Constitution et que, par conséquent, son véhicule va être vendu aux enchères sans qu’il puisse même se défendre.

Rien n’interdirait, à l’évidence, aux autorités publiques d’élaborer immédiatement un projet de loi ayant pour objet de mettre sur pied un système de remplacement de celui qui vient d’être condamné, projet dont les grandes lignes ont d’ailleurs déjà été tracées dans la décision du Conseil : celle-ci indique clairement, en effet, qu’il suffirait que la demande d’aliénation formée par l’administration en application de l’article 389 du code des douanes ouvre à celui qui en fait l’objet le droit d’être entendu et que le recours contre la décision du juge soit suspensif. À qui fera-t-on croire que la mise au point d’un texte aussi simple exigera un an de travail parlementaire ?

Les juristes pointilleux – il en existe encore – peuvent difficilement se satisfaire en toute hypothèse de voir apparaître une nouvelle catégorie de textes, sortes de « zombis » juridiques, officiellement morts mais encore capables de tourmenter les vivants.

Claude J. Berr
Professeur émérite de l’Université de Grenoble


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