Une liste imprécise de vœux
Le blog Dalloz - bley, 3/01/2012
Le début d’année s’ouvre comme la dernière s’est achevée : avec des listes !
La liste des cadeaux de noël, ceux déjà faits depuis longtemps, ceux que l’on voulait faire, ceux que qu’il fallut faire en catastrophe. Ceux que l’on n’a toujours pas faits.
La liste des dossiers qu’il fallait terminer avant les vacances judiciaires, la liste de ceux qui s’empileront dès la rentrée, la liste de ceux que l’on laisse tomber derrière l’armoire et qui reverront le jour dans un an, ou plus, rarement moins.
La liste des sociétés que l’on a dû constituer avant le 31, celles dont il a fallu liquider les comptes. La liste de toutes ces assemblées générales qui ne se sont jamais tenues mais dont on rédige dans la douleur les procès-verbaux.
La liste des ventes de résidences principales qu’il fallait instrumenter avant que ne finisse l’année.
La liste des personnes à qui l’on souhaite un bonheur que l’on espère commun, la liste de celles à qui il convient de faire des vœux, la liste de celles à qui il faut les retourner, la liste de celles qui n’auront que silence et mépris (il y a aussi des grands ménages d’hiver…), la liste de celles que l’on a oubliées.
La liste des épinglés de la légion d’honneur, des palmes académiques, de mérites différents et pluralistes.
La liste des dispositions fiscales à venir, la liste des niches sacrifiées, la liste des aménagements, gels, exonérations, limites et plafonds d’imposition.
La liste des clients à qui l’on avait conseillé une opération dont l’équilibre sera, dès le 1er janvier, bousculé. La liste des nouveaux clients qui viendront trouver des solutions innovantes pour leur patrimoine, leur trésorerie professionnelle, leur succession.
La liste des formalités à accomplir avant le 31, celles à respecter dès le 1er.
La liste des maux de crâne qui en suivront.
La liste des pilules contre la migraine.
Les listes électorales dont il sera tenu compte pour les présidentielles et les législatives d’avril, mai et juin.
Une nouvelle liste de pilules, et pas seulement pour les constitutionnalistes.
C’est un enfer ces listes mais c’est aussi une canne pour vivre plus intensément, pour patienter en conscience, et pour ne rien oublier…, croit-on, car les listes sont forcément imparfaites, contestables, incertaines, lacunaires.
Sauf peut-être celles des étudiants qui passent les partiels de janvier. Ces listes-là sont terriblement angoissantes en ce qu’elles montrent les défections, les mauvaises orientations, la peur panique ou la somatisation qui clouent au lit et obligent à des sessions exceptionnelles. Elles deviendront désespérantes à la fin du mois quand elles s’alourdiront des résultats, preuves incontestables de la vacuité du baccalauréat, de l’appauvrissement du vocabulaire, des renonciations grammaticales, de la féminité du code civil(e), etc., et de la réelle et indispensable sélection universitaire. Potius deficere quam desperare…
Elles sont insupportables ces listes quand elles servent à classer, hiérarchiser, récompenser… vendre. Shanghai, Times, Newsweek, Webometrics, Mines Paris tech, Leiden ranking, la liste est trop longue… tout cela pour ranger des universités qui n’ont en commun que le nom, pas toujours d’ailleurs… Et plus intolérable encore est la liste de nos décideurs enclins à croire en ces listes, à s’y plier et, pire peut-être, à légitimer des décisions purement managériales et économiques sur leur notoriété. Il en naît des monstres en haillons publics de 70 000 étudiants qui n’atteindront jamais les souliers vernis des richissimes écoles privées. Le droit, dans ces listes, est un petit caillou, trop petit pour susciter l’intérêt dans le tamis (listing pondéré) des indicateurs de classement. Formons le vœu que les facultés de droit sortent de cette logique bêlante, se mettent en dehors de la liste pour réclamer un statut particulier justifié par un impératif absolu de service public. Non pas celui, toujours plus lâche, de l’enseignement mais celui, plus exigeant, plus scrupuleux, de la justice. Certains craignent qu’il n’en ressorte un droit en guenilles, mais que vaut-il mieux : les guenilles ou le catafalque ?
Encore une liste de pilules…
C’est fou ce qu’une liste peut déprimer. Alors pour ces vœux de la nouvelle année, contentons-nous d’être idéaliste et parlons de vin, d’amour et de tabac.
Rêvons ainsi à la liste des appellations d’origine qui fleuriront bientôt les étiquettes de nos flacons : Grignan-les-Adhémar, Châteaumeillant, Fiefs vendéens, Gros-Plant, Savennières Roche-aux-Moines, Savennières Coulée-de-Serrant, Quarts-de-Chaume, la Clape, Pierrefeu. Évitons la guerre en attendant la prochaine liste des crus classés de Saint-Émilion. Elle n’est, certes, pas encore adoptée mais le règlement de classement est pris, la liste des critères de notation est publiée, la liste des membres du comité de classement est établie, la liste des crus candidats est arrêtée.
Relisons enfin une toute dernière fois, vraiment toute dernière fois, les courtes et néanmoins nihilistes mentions obligatoires : tabac : 85,5 %, papier à cigarette : 6,7 %, agents de saveur et de texture : 7,8 %, goudrons : 8mg, nicotine : 0,7 mg, monoxyde de carbone : 9 mg.
Signons maintenant cette liste approximative en évoquant une liste qui n’a cessé de s’accroître depuis presque dix ans : la liste des qualités de l’auteur.
Pour faire plaisir à son doyen, son président d’université, son directeur de centre, ses collègues, son ego, la signature d’un article prendra bientôt la moitié du crédit de signes (espaces comprises) que l’éditeur offre. Ce tas, cet amas, cette pile, cet amoncellement, c’est le deuxième effet « Shanghai », le prix à payer pour figurer au Arts & Humanities Citation Index.
Je profite donc de ces vœux imprécis pour m’offrir la liberté de signer sans qualité, et donc sans défaut.
Jean-Michel Marmayou