Pour un ministère de la condition familiale, de l’enfance et des seniors (464)
Droits des enfants - Jean-Pierre Rosenczveig, 8/04/2012
Les temps-forts de la vie politique comme celui que nous vivons sont des moments où, à travers l’écriture gouvernementale, s’affichent des objectifs prioritaires et se cristallisent des enjeux d’intérêt collectif qu’entendent mettre en exergue nos apprentis gouvernants à l’orée de leur (nouveau) mandat. Dans la période récente, pour ne prendre que deux exemples parmi d’autres, on se souvient du ministère du Temps libre qui entendait marquer que la vie ne se résumait pas au travail et d’un ministère de la Solidarité qui allait au-delà de la Santé et des Affaires sociales pour ne pas parler du fait de détacher les Sports de la Jeunesse pour bien marquer que les jeunes n’étaient que des sportifs et le sport uniquement pratiqué par des jeunes.
La réintroduction en 1981 d’un secrétariat d’Etat à la Famille qui, depuis, a quasiment toujours existé dans les écritures gouvernementales, parfois associé au champ de l’Enfance, a entendu marquer à juste titre que la vie familiale était une dimension importante pour nos contemporains et qu’il était désormais politiquement possible de se réapproprier cette problématique tenue pour sulfureuse dès lors que le régime pétainiste l’avait inscrite à son fronton avec le Travail et la Patrie.
Famille, familles et fait familial
On aurait pu – on aurait dû – préférer le terme ministère des familles à celui de ministère de la famille tant il est vrai que déjà à cette époque il n’y avait plus un modèle famille universel : celui de « Papa, Maman, la Bonne et Moi » fondé indéfectiblement sur le mariage union indissoluble. Le vivre en famille était devenu pluriel et l’est plus que jamais : désormais en France 52 % des enfants naissent hors du mariage ensemble de leurs deux parents et des couples homosexuels qui élèvent des enfants revendiquent - là encore à juste titre - de former une famille. (1)
On aurait même du dès 1981 avancer l’idée d’un ministère du Fait familial. Comment permettre à chacun de vivre comme il l’entend, comme il le peut, comme il le doit sa relation familiale avec ceux qui lui sont chers ? Ceux dont il est issu biologiquement, mais aussi ceux auxquels il s‘est attaché affectivement, adultes comme enfants, en étant reconnu dans ses droits, mais aussi en étant mis à même d’exercer ses responsabilités.
Parentalité et condition parentale
Comme en 1981 il fallait affirmer qu’une politique familiale à la française est légitime et ne se réduit pas à une politique des allocations familiales, il est aujourd’hui nécessaire d’avancer qu’une politique familiale, toujours aussi légitime quand on le conteste dans d’autres pays d’Europe, ne se résume pas à faciliter l’’exercice de la parentalité.
D’autant plus que dans le contexte actuel on a une vision restrictive de la parentalité. En effet on entend mettre en exergue qu’il revient aux parents d’exercer leurs responsabilités sous entendu quand trop de parents négligent aujourd’hui de le faire, d’où les passages à l’acte, incivilités ou autres actes de délinquance que l’on reproche régulièrement à nos enfants. Il y aurait un bon exercice de l’autorité parentale sans aller jusqu’à la soumettre au débat public. On en reste à un implicite moral. Combien de municipalités ou de structures publiques ou parapubliques inscrivent à leurs programmes des actions de soutien à la parentalité. D’autres n’ont à la bouche que l’idée de sanctionner la parentalité défaillante à travers le retrait des allocations familiales ou le passage devant le conseil local des droits et devoirs des familles quand tout bonnement on ne parle pas de sanction pénale pour mauvais exercice de l’autorité parentale : l’art. 227-17 du Code pénal prévoit 2 ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende et chaque année environ 200 parents sont ainsi sanctionnés. On a même vu certains politiques – Eric Ciotti à la demande du président Sarkozy - prôner la responsabilité pénale des parents du fait des actes délictueux commis par leurs enfants, incongruité juridique parmi d’autres.
L’occasion aujourd’hui s’offre d’avoir un projet plus ambitieux qui retrouve finalement le souci largement partagé dans l’opinion de voir les enfants bénéficier de la présence et de la protection des membres de leurs familles, non pas en restant sur le registre de l’incantation et de la peur, mais en réfléchissant aux responsabilités familiales.
C’est la condition familiale qui doit être au cœur du débat et non la parentalité. Comme on a dans le passé mis en avant la condition féminine ou la condition pénitentiaire !
A cela plusieurs raisons.
Déjà il faut rompre avec cette idée que la famille ne se joue qu’entre enfants et parents. Aujourd’hui plus que jamais il faut prendre en compte les séniors. Dans le même temps les parents se préoccupent de leur descendance et ont le souci de leurs propres parents vivants mais vieillissants. Pas plus que pour leurs enfants ils ne doivent pas être culpabilisés dans l’exercice de ces responsabilités et accusés de les abandonner. Au contraire, ils doivent être soutenus par la puissance publique et par les solidarités de voisinage.
On manque certes toujours de places d’accueil de la petite enfance – 200 000 au moins - avec 820 000 naissances l’an, le meilleur taux de natalité d’Europe, mais il faut également s’attacher à promouvoir en nombre des places d’accueil pour les anciens. Les préoccupations sont identiques. Le coût d’investissement est important mais celui du fonctionnement l'est tout autant : si les familles peuvent en supporter une partie leurs limites sont vite atteintes. Accueillir les plus jeunes et les anciens constitue une mission de service public qui ne peut pas être abandonnée aux mains du secteur marchand et de la concurrence. Se posent les mêmes questions que pour l’enfance : maintenir le plus longtemps possible les capacités intellectuelles pendant d’une réflexion sur les manières de stimuler l’éveil de la petite enfance, prendre en compte les besoins matériels de la personne dans une démarche de dignité, etc.
En tous cas, on retiendra qu’aujourd’hui l’enjeu est bien pour ceux des membres de la famille qui sont en situation de responsabilité d’assumer au mieux et concomitamment les plus jeunes et les anciens. Le rôle de la puissance publique n’est pas de les désinvestir ou de les abandonner, mais de les accompagner à tenir les deux bouts de la vie et … à vivre eux-mêmes.
Deuxième considération : la condition familiale est un état général et pluridimensionnel dont il faut prendre en compte toutes les composantes : juridiques, affectives, psychologiques, culturelles etc. Mariés ou pas, l’ayant été ou pas, vivant ensemble ou pas, les responsables familiaux doivent être pris en compte dans les différentes dimensions auxquelles ils sont confrontées. Ainsi il leur faut concilier vie familiale et vie sociale, laquelle se décompose elle-même en vie professionnelle et vie de loisirs. Il faut donc que notre organisation permette à chacun de concilier ces différents enjeux avec des temps forts de vie familiale et des temps forts de vie sociale. Pouvoir accéder à un logement adapté, bénéficier d’un aménagement des espaces et des temps et déjà tout simplement disposer de revenus décents dans un contexte économique dégradé sont aussi autant de dimensions indispensables pour faciliter la vie de famille au quotidien.
Le droit de la famille doit aussi être adapté. Ainsi il faut enfin adopter la loi sur les tiers qui, par-delà les parents biologiques, permette d’identifier les responsabilités courantes de ceux qui vivent avec l’enfant et les assument au quotidien sans nier les droits et devoirs des père et mère biologiques. Ce texte est encalminé depuis 10 ans alors qu'il concerne 2 millions d’enfants. De même, plus que jamais il s’agit aussi de prendre en compte les personnes, jeunes et moins jeunes, dans leur expression sur les décisions importantes qui les concernent. Les uns comme pour les autres doivent être protégés dans leur personne et dans leurs biens sans pour autant être niés comme sujets. Ainsi on ne place pas un enfant ou un ancien, on l’accueille !
Un débat public sur les termes de la condition familiale s’impose qui aurait le mérite de pouvoir associer quasiment tous les habitants de ce pays. Chacun a des choses à dire et à proposer sur un tel sujet car il concerne tout le monde.
Il doit déjà permettre d’identifier les responsabilités publiques (Europe, Etat, région, conseil général, intercommunalité et commune), et privées (parents beaux-parents, grands-parents, tiers, personne elle-même enfant ou ancien). Plusieurs ministères ont compétences à contribuer à une politique de la condition parentale mais les employeurs et leurs organisations représentatives, les concepteurs de logement et aménageurs d’espace, les responsables publics et privés du champ culturelle, etc. Non seulement un ministère s’impose mais une délégation interministérielle doit contribuer à mettre en synergie cette politique. Elle existe : elle est en sommeil depuis un bail. Il faut la reveilller et la tonifier en élargissant son champ.
Ce débat doit aussi exister à l’échelle du territoire pour rechercher des réponses concrètes.
Il faut identifier les termes de mission de service public et énoncer les modalités d’exercice de cette mission par le secteur privé habilité, pour ne pas parler du secteur marchand.
Il s’agit encore de parler à voix haute les termes des responsabilités de chacun, spécialement des adultes, parents ou enfants de leurs parents âgés, dans un discours non culpabilisant. Non seulement il faut rappeler les règles dont certaines sont d’ordre public et non négociables par les communautés et les religions, mais aussi rappeler leur sens et leur objectif. Rien n’est acquis aujourd’hui.
Territoire par territoire il convient de créer les conditions d'une démarche de soutien aux responsabilités familiales pour éviter de basculer dans la pleine responsabilité publique. Ce qu’il reste de tissu social doit être mobilisé au service d’un retissage à terme de ce même tissu social !
De tout cela il semble bien que nous soyons loin dans le débat politique actuel. Pourtant cette dimension est majeure, qui plus est dans une période où les budgets publics sont courts et appelés à le demeurer. Il faut investir sur les responsabilisés familiales, sur ce qui fait lien dans notre société. A condition que chacun assume sa part : les pouvoirs publics comme les familles. Chacun y gagnera à terme. Pour importante la question financière - les ressources familiales comme les ressources publiques – est essentielle, mais tout n’est pas financier. Des aménagements de vie sont possibles sans qu'il soit nécessaire de de mobiliser des ressources nouvelles (ex. la loi sur les tiers, des accords d’entreprise sur les rythme de travail, des aménagements d’espace dans le bâti moderne). Un état d’esprit s’impose : penser la condition familiale.
Encore faut-il se convaincre collectivement que la vie de famille est première pour chacun au-delà du « Moi, Je ». C’est le chemin de la vie à la mort.
Un ministère de la condition familiale, de l’enfance et des seniors s’impose.
(1) C’est une autre question que celle de la filiation. Il n’y a pas de droit à adopter et on peut se demander s’il est opportun qu’un enfant ait deux ou trois pères ou mères. Voir mes différents billets sur ce point.