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François Sureau est le défenseur de nos droits !

Justice au Singulier - philippe.bilger, 20/06/2019

FS est le défenseur de nos droits et je m'inscris modestement dans son sillage. Nos droits, notre être, notre pensée, nos mots, nos écrits, nos échanges, nos contradictions, nos fulgurances et nos provocations. Bref, de notre humanité.

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François Sureau (FS), défenseur de nos droits et non pas, je tiens à la nuance, défenseur des droits, ce salmigondis humaniste qui se présente comme une référence absolue, refusant toute adaptation au réel et la moindre brèche dans son bloc à la fois naïf et irresponsable. Décidément je préférerai toujours Créon et sa morale pragmatique à Antigone et sa pureté abstraite.

FS ne laisse jamais indifférent. Avocat, intellectuel, écrivain, là où sa pensée passe, le sommaire et le péremptoire trépassent et j'ose soutenir qu'il y a presque plus de joie à se trouver dans une contradiction stimulante avec lui qu'accordé à d'apparents consensus plus confortables.

Parce que, malgré la profonde estime qu'il m'inspire, on a le droit de ne pas tomber dans une inconditionnalité que son esprit ne serait d'ailleurs pas loin de trouver détestable. Par exemple, quand il déclare que "les lois liberticides prospèrent sur notre démission collective" (Le Figaro), il est éblouissant dans sa mise en pièces d'une proposition de loi "visant à lutter contre la haine sur Internet" défendue par la députée LREM Laetitia Avia. Mais j'ai toujours été plus réservé quand, d'une certaine manière fidèle à une conception intégriste de la liberté, il a pourfendu également tous les dispositifs légaux votés contre le terrorisme.

Je ne le rejoins évidemment pas sur ce plan puisque la différence considérable entre ces deux problématiques est que le terrorisme nous fait mal et que nous nous apprêtons à faire du mal à la liberté d'expression. On a donc à se protéger contre le premier et à protéger au contraire la seconde.

Sur ce dernier point, on semble même vouloir s'engager dans une voie infiniment plus perverse puisque, au-delà de la proposition de loi, Nicole Belloubet ouvre un débat sur la loi sur la liberté de la presse en s'interrogeant sur la possibilité "de sortir l'injure et la diffamation à caractère raciste ou antisémite de la loi de 1881 pour les inscrire dans le code pénal" (Le Monde).

Sept ministres dont elle-même, Blanquer et Castaner soutiennent la proposition de Laetitia Avia "contre la haine en ligne" (Le Monde).

La garde des Sceaux est malheureusement inspirée ou suivie dans cette dérive éventuelle par quelques élus LR qui cherchent à soustraire les injures par voie de presse à la loi de 1881 et par la procureure générale de Paris qui souhaite que la diffamation subisse la même exclusion. Injures et diffamations qui sont, il faut le noter, les infractions de presse principales (Le Canard enchaîné).

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Pour fustiger cette aberration judiciaire et ce risque démocratique, je pourrais reprendre intégralement l'argumentation limpide et vigoureuse de FS mais je répugne à être un total parasite.

Je relève que la tentation de n'importe quel pouvoir, de droite comme de gauche, est de discuter la légitimité et l'utilité des sauvegardes singulières pour s'efforcer de les banaliser, de les noyer dans le droit pénal ordinaire. Au prétexte qu'elles feraient la part trop belle aux médias, à Internet et aux transgresseurs qui peuvent porter atteinte à leur réputation. Les journalistes en l'occurrence ne sont pas privilégiés par cette loi de 1881 même si la procédure et son pointillisme permettent parfois de les sauver avant même tout débat sur le fond. Mais beaucoup sont condamnés et aucune immunité ni impunité ne leur est octroyée.

Il est manifeste que ce désir de "désosser" de toutes parts la loi de 1881 prend pour prétexte essentiel la lutte contre la haine sur Internet, ce qui de prime abord lui garantit une adhésion facile où la bonne conscience ne s'encombrerait pas de réflexion. Mais il s'agit d'une démarche à courte vue qui, pour combattre un fléau, mettrait à bas l'édifice tout entier. Rien de pire que ces élans motivés par un humanisme qui ne fait confiance ni à une loi emblématique consacrée par le temps ni à la vigilance et aux ripostes citoyennes. On ne s'oppose pas à Internet et à ses dérives en suscitant un tremblement intellectuel et démocratique pire que le mal conjoncturel.

Le coeur de cette controverse qui n'en finit pas, confrontant les tenants d'une liberté d'expression, principe républicain, aux partisans du soutien à apporter à chaque clientélisme se jugeant offensé, tient à cette évidence que l'écrit et la parole même dévoyés ne relèvent pas de la délinquance ordinaire et que les soumettre à ce registre commun serait beaucoup plus dangereux pour la démocratie que bienfaisant pour la singularité des causes et des personnes concernées.

Ces dernières acceptent mal, j'en ai conscience, qu'on n'induise pas des blessures qu'elles ont subies par le verbe et par l'écrit une obligatoire mise à disposition de la liberté à leur profit et que leurs multiples chapelles privatisant une richesse universelle ne soient pas prioritaires par rapport à la cathédrale enfermant celle-ci tel un trésor.

Comme FS le souligne finement, "le législateur s'arroge le droit de pénétrer dans les consciences. Et que celles-ci soient mal inspirées ne change rien à l'affaire".

Il n'est pas non plus sans intérêt de faire valoir que le retour des délits de presse dans le giron pénal ordinaire redonnerait une place dominante au ministère public et faciliterait, si l'envie lui en prenait, la domestication de la justice par le pouvoir pour certaines affaires susceptibles de mettre en cause celui-ci ou tel ou tel de ses affidés.

FS est le défenseur de nos droits et je m'inscris modestement dans son sillage.

Nos droits, notre être, notre pensée, nos mots, nos écrits, nos échanges, nos contradictions, nos fulgurances et nos provocations.

Bref, de notre humanité.


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