La suppression (provisoire) du harcèlement sexuel dans le code pénal
Paroles de juge - , 6/05/2012
Par Michel Huyette
De nombreux medias ont ces derniers jours rendu compte d'une récente décision du Conseil Constitutionnel (son site), abrogeant un article du code pénal incriminant le harcèlement sexuel. Devant l'avalanche des commentaires, quelques explications
complémentaires peuvent être utiles.
L'actuel article 222-33 du code pénal (texte ici)
relatif au harcèlement sexuel est rédigé de la façon suivante : "Le fait de harceler autrui dans le but d'obtenir des
faveurs de nature sexuelle est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende."
Le Conseil Constitutionnel a été saisi par la cour de cassation, elle même saisie d'une d'une QPC (cf. cette
rubrique sur le blog, et également ici).
Il est indiqué dans l'arrêt du 29 février 2012 de la cour de cassation (décision ici)
:
"Attendu que la question prioritaire de constitutionnalité est ainsi rédigée : L'article 222-33 du code pénal est-il contraire aux articles 5, 8 et
16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, 34 de la Constitution ainsi qu'aux principes de clarté et de précision de la loi, de prévisibilité juridique et de sécurité
juridique, en ce qu'il punit « le fait de harceler autrui dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle » sans définir les éléments constitutifs de ce délit ? ; Attendu que la disposition contestée est applicable à la procédure
; (..) Qu'elle est sérieuse au regard du
principe de légalité des délits et des peines, en ce que la définition du harcèlement sexuel pourrait être considérée comme insuffisamment claire et précise, dès lors que le législateur s'est
abstenu de définir le ou les actes qui doivent être regardés, au sens de cette qualification, comme constitutifs de harcèlement sexuel ; D'où il suit qu'il y a lieu de la renvoyer au Conseil
constitutionnel."
La problématique principale est donc celle de la précision, suffisante ou non, du texte définissant et sanctionnant le harcèlement sexuel.
Dans sa décision du 4 mai 2012 (lire
ici) le Conseil Constitutionnel a statué en ces termes :
"Considérant que, selon le requérant, en punissant « le fait de harceler autrui dans le but d'obtenir des faveurs
de nature sexuelle » sans définir précisément les éléments constitutifs de ce délit, la disposition contestée méconnaît le principe de légalité des délits et des peines ainsi que les principes de
clarté et de précision de la loi, de prévisibilité juridique et de sécurité juridique ;
Considérant que le législateur tient de l'article 34 de la Constitution, ainsi que du principe de légalité des
délits et des peines qui résulte de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, l'obligation de fixer lui-même le champ d'application de la loi pénale et de définir
les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis;
Considérant que, dans sa rédaction résultant de la loi du 22 juillet 1992 susvisée, le harcèlement sexuel, prévu
et réprimé par l'article 222-33 du nouveau code pénal, était défini comme « Le fait de harceler autrui en usant d'ordres, de menaces ou de contraintes, dans le but d'obtenir des faveurs de nature
sexuelle, par une personne abusant de l'autorité que lui confèrent ses fonctions » ; que l'article 11 de la loi du 17 juin 1998 susvisée a donné une nouvelle définition de ce délit en substituant
aux mots « en usant d'ordres, de menaces ou de contraintes », les mots : « en donnant des ordres, proférant des menaces, imposant des contraintes ou exerçant des pressions graves » ; que
l'article 179 de la loi du 17 janvier 2002 susvisée a de nouveau modifié la définition du délit de harcèlement sexuel en conférant à l'article 222-33 du code pénal la rédaction
contestée;
Considérant qu'il résulte de ce
qui précède que l'article 222-33 du code pénal permet que le délit de harcèlement sexuel soit punissable sans que les éléments constitutifs de l'infraction soient suffisamment définis ;
qu'ainsi, ces dispositions méconnaissent le principe de légalité des délits et des peines et doivent être déclarées contraires à la Constitution."
Le Conseil a précisé que l'abrogation de l'article 222-33 du code pénal prend effet à compter de la publication de
sa décision, et qu'elle est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date.
Comme l'indique le Conseil Constitutionnel, l'article 222-33 du code pénal a été modifié à plusieurs reprises.
L'article a été successivement rédigé de la façon suivante :
De 1992 à juin 1998 : "Le fait de harceler autrui en usant d'ordres, de menaces ou de contraintes, dans
le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle, par une personne abusant de l'autorité que lui confèrent ses fonctions, est puni d'un an d'emprisonnement et de 100 000 F d'amende."
De juin 1998 au 1er janvier 2002 : "Le fait de harceler autrui en donnant des ordres, proférant des menaces, imposant des contraintes ou exerçant des pressions
graves dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle, par une personne abusant de l'autorité que lui confèrent ses fonctions, est puni d'un an d'emprisonnement et de 100 000 F
d'amende."
Du 1er janvier au 18 janvier 2002 : "Le fait de harceler autrui en donnant des ordres, proférant des menaces, imposant des contraintes ou exerçant des pressions
graves dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle, par une personne abusant de l'autorité que lui confèrent ses fonctions, est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros
d'amende."
Depuis le 18 janvier 2002 : "Le fait de harceler autrui dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle est puni d'un an d'emprisonnement et de 15000
euros d'amende."
Ce qu'il faut retenir de cette énumération c'est que dès son origine et jusqu'en 2002, le texte a été rédigé de
façon à en préciser les contours.
Puis est intervenue une loi du 17 janvier 2002, dite de "modernisation sociale" (texte ici), qui, par son article
179, a supprimé dans l'article 222-33 d'une part les mots : "en donnant des ordres, proférant des
menaces, imposant des contraintes ou exerçant des pressions graves", ainsi que les mots "par une
personne abusant de l'autorité que lui confèrent ses fonctions".
Dans la première version du texte adopté par l'assemblée nationale en janvier 2001 (document ici), il n'a été question que du
harcèlement moral au travail.
Le texte voté par le Sénat en mai 2001 (document ici), de la même façon, ne fait pas allusion au code pénal.
En juin 2001, l'assemblée nationale a proposé d'introduire dans le code pénal un nouvel article sur le harcèlement moral, rédigé ainsi : "Le
fait de harceler autrui par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer
sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, est puni d'un an d'emprisonnement et de 100 000 F d'amende".
C'est aujourd'hui l'article 222-33-2 du code pénal dont la rédaction n'a été modifiée que
pour transformer les francs en 15 000 euros.
C'est le Sénat qui en octobre 2001, dans le texte de loi modifié par ses membres (document ici), a décidé la suppression des précisions
contenues dans l'article 222-33 mentionnées plus haut (cf. art. 50 terdecies).
L'objectif, selon le Sénat, était alors "d'élargir la définition du harcèlement sexuel en supprimant toute référence à l'abus d'autorité". Si la remarque valait d'abord pour le harcèlement
tel que défini par le code du travail, le Sénat a précisé que "Il est également nécessaire de modifier l'article 222-33 du
code pénal, la définition du harcèlement sexuel qu'il prévoit intégrant l'exigence d'un abus d'autorité." (cf. ici)
Les travaux parlementaires qui ont suivi font apparaître que le but recherché était bien
de ne plus limiter le harcèlement sexuel aux agissements d'un supérieur hiérarchique. Le problème, comme le montrent les rédactions successives, c'est que tout en voulant, apparemment, uniquement
supprimer du texte la référence à l'abus d'autorité, le parlement a en même temps et sans fournir d'explications complémentaires supprimé les références aux comportements susceptibles d'être
qualifiés de harcèlement.
Sur ce point la position des parlementaires est compréhensible. Il est en effet délicat de saisir pourquoi le harcèlement sexuel ne devrait être puni que s'il émane d'un supérieur
hiérarchique dans le cadre du travail. Il peut très bien être le fait d'un collègue de même niveau hiérarchique voire d'un niveau inférieur. Et au-delà, on ne saisit pas plus pourquoi le
harcèlement sexuel devrait être limité au monde de l'entreprise, même si c'est sans doute là qu'il se manifeste le plus puisque c'est souvent une position de puissance, liée à la position dans
l'entreprise et à la proximité, qui le déclenche.
En tous cas, la décision commentée, qui supprime l'article 222-33 de notre code pénal et donc pour l'instant fait perdre leur support juridique à toutes les procédures
engagées, pourrait bien avoir d'autres répercussions.
En effet, on constate que l'article L 1153-1 du code du travail, rédigé ainsi : "Les agissements de harcèlement de toute personne dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle à
son profit ou au profit d'un tiers sont interdits.", est tout aussi imprécis que l'article 222-33 du code pénal. Il est bien possible qu'une QPC à venir le concernant aboutisse à la même décision
de déclaration d'inconstitutionnalité, cela d'autant plus que le code du travail prévoit pour de tels faits, dans l'article L
1155-2, des peines d'une année de prison et de 15 000 euros d'amende.
Mais venons en maintenant aux questions essentielles.
La première problématique, générale et théorique, concerne la place du législateur et
celle du juge dans la définition des infractions. Plus un texte pénal est flou lors de sa création ou sa modification par le parlement, plus il est difficile pour le juge d'en définir le
périmètre, et plus l'issue des procès est incertaine.
Dans de tel cas il faut attendre des années pour que la cour de cassation, par décisions successives en fonction de la nature des pourvois, précise peu à peu les contours et les limites de
l'incrimination. Cela génère une insécurité juridique pendant une toujours trop longue période. Et dans de telles situations il n'y a que des perdants.
C'est pourquoi, dans son principe, l'exigence du Conseil Constitutionnel quant à la
précision des textes qui sanctionnent pénalement certains comportements estimés inacceptables est tout à fait compréhensible.
La deuxième problématique est celle du processus d'élaboration des normes par le
parlement. Les juristes s'amusent (?) depuis fort longtemps à comptabiliser le nombre impressionnant de textes mal rédigés, incohérents entre eux, qui occasionnent bien plus de difficultés qu'ils
n'apportent de solutions.
Elaborer du droit ne s'improvise pas. Surtout en droit pénal.
Souhaitons que les prochains parlementaires aient bien compris les leçons à tirer des
décisions du Conseil constitutionnel ayant annulé les textes sur l'inceste (lire ici) puis maintenant sur le harcèlement.
La précaution dans la création du droit serait une nouveauté. Mais cela ne coûte rien
d'espérer..
Terminons maintenant par le sujet central : la définition du harcèlement sexuel.
Si le Conseil Constitutionnel a déclaré la rédaction actuelle trop imprécise, il y avait sans doute matière à débat.
Pour ce qui concerne le harcèlement moral, le code du travail le définit, du côté
du salarié, comme "les agissements répétés de harcèlement
moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de
compromettre son avenir professionnel" (art. L 1152-1, texte ici).
Nous retrouvons les mêmes termes que dans l'article 222-33-2 précité.
Le choix a été fait, dans ce texte, de préciser non les comportements du harceleur, seul le
caractère répété étant exigé, mais les conséquences de ceux-ci sur le harcelé. Cela s'explique aisément. En effet les gestes, paroles, écrits et autres comportements pouvant caractériser un
harcèlement sont infinis et il est de ce fait difficile d'en préciser les contours sans en laisser de côté. Fixer des critères limitatifs imposerait de rejeter des comportements pourtant
constitutifs de harcèlement.
On a vu dans les dossiers traités par les juridictions sociales, par exemple, des comportements tels que : courriels au contenu délibérément humiliant, notes de service non délivrée à un
seul salarié pour le vexer, petit mot sur le pare-brise d'un véhicule devant le domicile personnel, propos blessants au cours d'une réunion, affectation à une mission sans intérêts, matériel
nécessaire à l'activité supprimé, appels à domicile et à des heures volontairement décalées, etc.
L'imagination humaine étant ce qu'elle est, la liste des actes pouvant caractériser un harcèlement est véritablement infinie, ce qui rend délicat, si ce n'est impossible, d'en définir les
caractéristiques en quelques mots inéluctablement réducteurs. D'autant plus que la définition du dictionnaire : "exercer de continuelles pressions" éclaire peut être suffisamment le sens du mot
"harceler".
Par contre, s'agissant d'un harcèlement "moral", notion très floue, il est indispensable de définir ce qu'il en est au moins par les conséquences. Sinon tout désaccord entre employeur et
salarié et toute situation de conflit pourraient être analysés comme des cas de harcèlement ce qui est évidemment exclu.
Mais la difficulté n'est pas forcément la même avec le harcèlement "sexuel".
Comme pour le harcèlement moral, il est tentant de considérer qu'il n'est pas véritablement possible de définir les actes de harcèlement qui sont
innombrables. C'est pourquoi la rédaction initiale de l'article 222-33
mentionnant des ordres, menaces ou contraintes peut sembler excessivement restrictive, sauf à considérer que le dernier mot, la contrainte, englobe tout ce qui n'est ni ordre ni
menace.
Par contre, pour ce qui concerne les conséquences du harcèlement, il est plus simple de les
comprendre puisqu'il s'agit pour l'auteur de l'infraction, dans l'article 222-33, d'obtenir des "faveurs de nature sexuelle". Or il pourrait être soutenu qu'il s'agit là d'une expression qui ne
demande pas nécessairement d'autres précisions car elle est compréhensible en elle-même.
Par ailleurs, l'infraction de harcèlement sexuel se distingue de celle d'agression sexuelle. Il est habituellement considéré qu'il y a agression sexuelle quand l'auteur de l'infraction a
des gestes à caractère sexuels sur la victime (attouchements sexualisés, baiser imposé etc..). Dans le harcèlement, il s'agit pour l'agresseur d'obtenir un geste vers lui de la victime (cf. par
ex. ici). Les deux infractions sont
clairement distinctes, et cela aide à comprendre quel est le périmètre du harcèlement sexuel.
En résumé il se semble pas exclu de pouvoir considérer que : 1. la notion de harcèlement est compréhensible en elle-même, ce qui explique pourquoi elle n'est pas définie dans les textes
sur le harcèlement moral. 2. Le mot "moral" impose de le définir car il est trop flou, mais l'expression "faveur sexuelle" se suffit en elle-même.
C'est pourquoi, parce que la dernière rédaction n'était pas forcément confuse et pouvait sembler définir suffisamment précisément les contours d'une infraction
clairement spécifique, la nécessité de censurer l'article 222-33 du code pénal pour cause d'imprécision, comme l'a décidé le Conseil Constitutionnel, n'apparaissait pas immédiatement
indispensable au regard du critère de précision suffisante des incrimination pénales.
En tous cas le prochain parlement va devoir se pencher sur la question, de nombreuses associations féministes ayant fait connaître leur désarroi devant la suppression de l'incrimination de
harcèlement sexuel. Il est vrai que cela peut être douloureux pour les femmes qui ont réellement été victimes de tels agissements, qui avaient engagé une procédure judiciaire, et qui voient
celle-ci anéantie d'un coup puisqu'il n'existe plus, pour l'instant, de support juridique.
Pour finir, on relèvera avec un certain intérêt une indication fournie dans le commentaire de la décision et qui accompagne celle-ci sur le site du Conseil Constitutionnel.
Il y est en effet écrit (lire ici, page 11) : "La définition du délit de harcèlement sexuel n’est pas subordonnée à l’insertion de précisions relatives à la fois à la nature, aux modalités et aux
circonstances des agissements réprimés. Mais, à tout le moins, une
de ces précisions serait nécessaire pour que la définition de ce
délit satisfasse à l’exigence de précision de la loi pénale. Le
Conseil n’a ainsi pas imposé un retour à la définition du harcèlement sexuel résultant de la loi du 29 juillet 1992."
Une sorte d'entre deux serait donc suffisant. Une petite précision devrait être ajoutée, pas forcément très longue.
Le prochain parlement pourrait donc être tenté, afin d'éviter une nouvelle censure du Conseil Constitutionnel, de rajouter quelques mots, très généralistes et suffisamment flous pour
englober toutes les situations imaginables et qui, de ce fait, ne préciseront pas grand chose....
Alors, beaucoup de bruit et de désagréments pour - au final - pas grand chose ?