Procès Cottrez : la défense au poing de Me Frank Berton
Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 2/07/2015
Plaider, c'est oser. Et ce n'est pas donné à tout le monde. En défense de Dominique Cottrez, ils sont deux ; une femme, Me Marie-Hélène Carlier, un homme, Me Frank Berton. La première n'a qu'un registre : une sorte de compassion gourde, épaisse, envahissante. Le second a un orchestre. Il provoque, il cogne autant qu'il caresse. Il a ce « truc» qui fait les vrais pénalistes, le sens aigu de l'audience, l'art de renifler les jurés, d'aller les chercher là où ils sont.
C'est à eux qu'il s'est adressé, vendredi matin. « Qu'allez-vous emmener dans votre délibéré ? Vos préjugés. » Il plante ses yeux noirs dans ceux d'une jeune femme jurée qu'il a vue pleurer, deux jours plus tôt. « Vous, madame, qui êtes peut-être mère ou qui le serez demain. » Il fixe du regard son voisin aux cheveux blancs. « Vous, monsieur, qui êtes peut-être grand-père. » A chacun et à tous, il dit d'abord les mots nécessaires, ceux qu'il faut prononcer pour ouvrir l'écoute : « On ne tue pas un enfant. » Il s'approche de leurs craintes, celle d'hommes et de femmes jurés, citoyens qui vont reprendre demain le chemin de leur quotidien et auxquels les proches, les amis demanderont des comptes, exprimeront sans doute leur horreur des huit crimes commis par cette accusée sur ses nouveau-nés. « Vous pourrez leur dire : je me fiche de ce que tu penses. Moi, je l'ai comprise, je peux expliquer. »
Le mari, « miraculé de la procédure »
Et puis, il s'approche d'elle. De ce corps montagne qui fait barrage. Il la touche, l'avocat. Lui pose la main sur l'épaule. Il parle de la femme, mais d'abord il parle du mari qui n'a rien voulu voir, rien voulu savoir, le « miraculé de la procédure ». Il lui en veut et le lui dit à cet homme taiseux, assis entre ses deux filles, qui surnomme son épouse « Gros ». « La seule chose qu'il savait faire, c'était dire : “Gros, fais le ménage” ; “Gros, prépare la gamelle” ; “Gros, viens au lit”. » Il le rosse de ses mots : « Pour le code pénal, vous n'y êtes pour rien. Mais au regard de la morale, de l'aide, de l'assistance, vous êtes coupable ! »
Me Berton évoque ensuite la première grossesse de Dominique Cottrez. « Elle va peut-être enfin exister. Elle va donner la vie. Et là, une sage-femme lui dit : “Y a du gras sur le passage”. » Il répète, Frank Berton, il fiche cette phrase-là dans la tête des jurés : « Sur le chemin de la vie, y a du gras, mesdames et messieurs ! » Il se tourne vers l'accusée en larmes : « Pardon, Dominique. »
« La peine, vous l'avez choisie dans un catalogue »
Et puis, il s'en prend à l'avocat général Eric Vaillant, qui, la veille, a indiqué dans son réquisitoire que pour des raisons d'état civil, il a donné et choisi lui-même des prénoms aux huit nouveau-nés étouffés par Dominique Cottrez : Xavier, Hubert, Fleur, Ingrid, Alphonse, Mariette, Blandine, Judith. « Quelle tristesse ! Fleur, vous avez osé appeler une enfant Fleur. Simplement pour le dire à l'audience ! Simplement pour un effet de manche ! Le choix des prénoms, s'il le faut pour le droit, ça se fait après le verdict, pas avant !" tonne-t-il.
Frank Berton exprime sa colère encore contre les dix-huit ans de réclusion criminelle demandés par le représentant de l'accusation. « La peine, vous l'avez choisie dans un catalogue, avec une règle de trois. Dans la Manche, une mère a pris quinze ans pour six infanticides, alors vous en demandez dix-huit pour huit ! »
Et il revient aux jurés : « Oui, cette femme est différente de vous, mesdames et messieurs. Oui aussi, cette femme est proche de vous. » Il la regarde, elle, maintenant : « Vous n'avez jamais eu confiance en personne. Je vous demande d'avoir confiance dans les juges de votre pays. »
Le verdict est attendu dans l'après-midi.