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Le Conseil Constitutionnel demande à l’Etat d’assurer la séparation des fonctions de poursuite et de jugement au sein de l’AFLD (Agence française de lutte contre le dopage)

K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Eve Derouesne, François Klein, avec la participation d'Alizée Ge, 19/02/2018

Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité des dispositions du code du sport relatives au fonctionnement et à l’organisation de Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), le Conseil constitutionnel a déclaré , dans sa décision n°2017-688 QPC du 2 février 2018, non conforme à la Constitution le 3° de l’article L. 232-22 du code du sport.
Ces dispositions prévoient que l’AFLD dispose d’un pouvoir disciplinaire qui lui permet d’intervenir, à titre subsidiaire, à plusieurs titres même lorsque la fédération sportive concernée était compétente. En particulier, elle peut se saisir des décisions prises par les fédérations en application de l'article L. 232-21 puis les réformer.

Le requérant soutenait que le pouvoir de réformation d’office exercé par l’AFLD méconnaissait les principes d’indépendance et d’impartialité qui découlent de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Sur l’inconstitutionnalité du pouvoir de saisine d’office de l’AFLD au regard du principe d’impartialité
Le Conseil constitutionnel admet de jurisprudence constante (1) que le législateur puisse doter les Autorités administratives indépendantes du pouvoir de se saisir d’office en matière de sanction.

Cependant, ce pouvoir n’est pas sans limite. Le Conseil constitutionnel contrôle, d’une part, que la saisine d’office ne conduise pas à « préjuger la réalité des manquements à examiner » et, d’autre part, qu’il y ait une séparation organique ou du moins fonctionnelle entre les services instruisant l’affaire et le collège infligeant les sanctions.

Le Conseil constitutionnel a ainsi déclaré inconstitutionnelles les dispositions des douze premiers alinéas de l’article L. 36-11 du code des postes et des communications électroniques au motif que ces dispositions ne prévoyaient pas une séparation des fonctions de poursuite et de sanction de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) (2).

Dans sa décision n°2015-489 QPC du 14 octobre 2015, le Conseil constitutionnel avait considéré que la saisine d’office du Conseil de la concurrence, avait un degré de généralité suffisant pour conjurer tout risque de préjugement d’une affaire précise. (3)

Dans le cas présent, le Conseil constitutionnel a jugé que le pouvoir de l’AFLD de se saisir d’office des décisions de sanctions rendues par les fédérations sportives qu’elle envisage de réformer en vertu du 3 de l’article L. 232-22 ne fixaient pas les garanties légales assurant l’absence de confusion entre l’autorité de saisine et celle de jugement. En effet, il n’est pas établi de séparation au sein de l’AFLD entre, d’une part les fonctions de poursuite des éventuels manquements ayant fait l’objet d’une décision d’une fédération sportive en application de l’article L. 232-21 et, d’autre part, les fonctions de jugement de ces mêmes manquements. En conséquence, le Conseil constitutionnel déclare inconstitutionnel le 3° de l’article L. 232-22 du code du sport.

(1) Décision n°2012-280 QPC, cons. 20 et 21
(2) Décision n°2013-331 QPC, cons. 12
(3) Conseil constitutionnel, Commentaire de la décision n° 2017-688 QPC du 2 février 2018, p. 15 §3

Sur l’application dans le temps de la déclaration d’inconstitutionnalité
Le Conseil constitutionnel a reporté les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité au 1er septembre 2018.

Cependant, il fallait bien organiser cette phase transitoire pendant laquelle l’on n’aurait pu ni se satisfaire de laisser survivre et appliquer des dispositions anticonstitutionnelle ni les neutraliser, l’exercice par l’AFLD de ses prérogatives disciplinaires revêtant un intérêt public important.

La solution du Conseil Constitutionnelle est mixte.

Pour la période allant de la date de la décision du Conseil constitutionnel, soit le 2 février 2018, à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi ou au plus tard au 1er septembre 2018, le Conseil Constitutionnel a mis en place un régime transitoire par le biais de la pratique de la réserve d’interprétation transitoire.

Durant cette période transitoire, l’AFLD ne peut plus opérer de tri dans sa saisine d’office mais doit statuer de plein droit sur toutes les décisions rendues par les fédérations. Ce faisant, il n’y a pas de risque que l’AFLD opère un préjugement des affaires en sélectionnant les affaires pour lesquelles elle se saisirait d’office.

Toutefois, dans les contentieux se rapportant à des décisions où l’AFLD s’est saisie en application du 3° de l’article L. 232-22 mais n’ayant pas encore fait l’objet d’une décision juridictionnelle définitive à la date de la décision du Conseil constitutionnel, la déclaration d’inconstitutionnalité pourra être invoquée. Les personnes sanctionnées vont donc pouvoir n obtenir l’annulation devant le Conseil d’Etat saisi d’un recours de pleine juridiction.

En résumé
Entre le 2 février 2018 et le 1er septembre 2018, l’AFLD se saisira d’office de toutes les décisions rendues par les fédérations à moins qu’une loi soit intervenue entre temps.

Les décisions pour lesquelles elle s’est saisie d’office avant le 2 février 2018 mais qui ne sont pas devenues définitives pourront être annulées pour inconstitutionnalité dans le cadre d’un recours de pleine juridiction devant le Conseil d’Etat.

A partir du 1er septembre 2018, l’AFLD ne pourra se saisir d’office d’une décision rendue par les fédérations à moins qu’une séparation fonctionnelle n’ait été établie entre les fonctions de poursuite des éventuels manquements ayant fait l’objet d’une décision d’une fédération sportive, et d’autre part les fonctions de jugement de ces mêmes manquements.


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