Actions sur le document

Violences aux femmes : Notre arriération

Actualités du droit - Gilles Devers, 25/03/2012

Dans la nuit du 18 au 19 juin 2009, une jeune femme, 30 ans, mère de...

Lire l'article...

Img_big30.jpgDans la nuit du 18 au 19 juin 2009, une jeune femme, 30 ans, mère de quatre enfants, tue son époux d’un coup de couteau à la gorge. Aujourd’hui, elle est acquittée.

Alexandra vivait, depuis l’âge de 17 ans, avec Marcelino, de 14 ans son aîné. Elle avait quitté sa famille pour vivre avec cet homme, et ils étaient devenus les parents de quatre enfants.

Ce soir de juin 2009, elle venait de lui dire qu’elle allait le quitter, et son mari, une fois de plus, avait pété les plombs. Il s’était précipité sur elle pour l’étrangler. Elle avait répliqué en s’emparant d’un couteau et lui avait porté un coup à la gorge : une plaie de 13,5 cm. L’homme était mort à l’instant, tombant dans une mare de sang. Si tôt le coup porté, elle avait appelé son père, pour déplacer le corps, mettre le couteau dans la main du mort, pour créer la scène d’une légitime défense avant d’appeler la police.

La jeune femme avait été placée en détention provisoire, et elle y est restée 17 mois. Ses quatre enfants ont été placés.

Vendredi, à l’issue de trois jours d’audience, la cour d’assises du Nord a acquitté la jeune femme pour le meurtre. Pour les faits de « modification illicite de la scène de crime », elle l’a condamnée à un an de prison avec sursis, et son père à six mois.

Une défaite pour l’accusation ? Non, un grand succès. Lors de l’audience, l’avocat général Luc Fremiot avait demandé l’acquittement.

Luc Frémiot, on connaît. Ancien procureur de Douai, il avait initié avant la loi un dispositif pour protéger les femmes victimes de violences conjugales : éloignement du conjoint, prise en charge psychologique des deux conjoints, suivi par des travailleurs sociaux... Pourquoi attendre une loi,… quand la loi permet déjà de tout faire ?  L-injustice.jpg

Lors de l’audience, l’avocat général… est devenu avocat de la défense, implorant la cour d' « acquitter » Alexandra Lange parce qu'elle « n'a rien à faire dans cette salle d'assises ». Et plaidant : « Ce procès vous dépasse, parce que, derrière, il y a toutes ces femmes qui vivent ce que vous avez vécu, le bruit de ces pas qui montent l'escalier et qui nous font comprendre chaque soir que quand il rentre du travail, le danger rentre à la maison ». Pour conclure : « Quelle crédibilité aurait cette cour d'assises si on la condamnait alors que la société ne l'a pas protégée quand elle est allée au commissariat déposer plainte ».

La cour a acquitté Alexandra Lange. Quand cet homme violent s’empare de cette femme pour l’étrangler, celle-ci prend un couteau et se défend. On n’est assurément pas loin de la légitime défense définie par l’article 122-5 du Code pénal : « N'est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d'elle-même ou d'autrui, sauf s'il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l'atteinte ». Il faudrait connaître le dossier pour dire davantage.

Tant mieux, bravo, et on imagine l’émotion. J’apprécie mais il y a des points qu’il ne faut pas passer sous silence.

Premier scandale

Un jour, Alexandra avait déposé plainte, le visage marqué par les coups, mais la police avait refusé de prendre la pliante pour en rester à une inscription sur le registre de main courante. C’est un scandale mille fois répété. Parce que les statistiques de la violence doivent baisser, il devient impossible de faire enregistrer une plainte. Vaillant, ministre de l’Intérieur de Jospin, avait rappelé ce principe évident : toute plainte doit être reçue, dès lors qu’elle n’est pas illusoire. Les  statistiques avaient logiquement explosé, et la bande UMP avait accusé le PS de laxisme... Les mêmes qui devant la caméra pleurnichent sur les droits des victimes... Sarko, sinistre de l’Intérieur de Chirac, avait donné des ordres inverses. Les victimes ne parviennent plus à faire enregistrer les plaintes,… mais les statistiques vont mieux, et l’inénarrable Bauer le confirme avec son comité machin chouette.  

la madonne de justice.jpgDeuxième scandale

Alexandra Lange a été placée en détention  pendant 17 mois, et aujourd’hui elle est acquittée, conformément aux réquisitions du Procureur. Où est la cohérence du Parquet ? Où est l’humanité du Juge de la Détention et des libertés ? Où est le droit ?

Quinze jours de taule, le temps de comprendre, admettons. Mais pourquoi un jour de plus ?

Troisième scandale

La Voix du Nord écrit : « A l'énoncé du verdict, la jeune femme a déclaré souhaiter récupérer ses quatre enfants au plus vite ».

Je dois donc comprendre qu’Alexandra Lange est sortie de prison en décembre 2010 et qu’elle a du attendre la fin du procès en mars 2012 pour retrouver ses enfants.

Dites-moi que je me trompe ! Je suis écœuré, révolté.

Cette histoire, qui résonne comme tant d’autres, me rappelle le tableau d’Alfred Stevens, au Musée d’Orsay : « Ce qu’on appelle le vagabondage ». Malheur à la femme que la société rejette, et tant pis pour ses enfants.

Le tableau date de 1854. Que faisons-nous ? Quelles sont les maladies qui nous condamnent à l’immobilisme ?

Allez, c’est bon, je me calme.

Pour aujourd’hui, seul compte le bonheur d’Alexandra retrouvant ses quatre enfants.
 

jab17_stevens_011f.jpg

Ce qu'on appelle le vagabondage, Alfred Stevens, 1854, Musée d'Orsay


Retrouvez l'article original ici...

Vous pouvez aussi voir...