Nicolas Bonnemaison: « Monsieur Leonetti, j’ai beaucoup de choses à vous dire »
Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 21/10/2015
De l’audience du jour, mercredi 21 octobre, il ne restera sans doute dans la mémoire des juges et des jurés de la cour d’assises de Maine-et-Loire que ces quelques minutes de face-à-face intense entre Jean Leonetti et Nicolas Bonnemaison. Le médecin législateur et le médecin accusé.
Jean Leonetti venait de terminer sa déposition. Il avait parlé de la loi qui porte son nom et de celle qui, bientôt, la complétera, et de tout ce avec quoi elles ont voulu rompre. « Une pratique euthanasique associée à une pratique autoritaire, solitaire et paternaliste », avait expliqué le député des Alpes-Maritimes. Il constatait que, depuis l’adoption de la loi de 2005, « l’arrêt actif de la vie a beaucoup diminué dans les hôpitaux ». Il disait encore que « le fait de ne pas se parler fragilise. La collégialité et la traçabilité des décisions prises sont au contraire là pour protéger tout le monde, l’équipe médicale, la famille et le patient ». « La majorité des médecins pense encore que si l’on n’écrit rien, on est protégé. Je pense qu’à l’inverse, écrire, c’est expliquer. » Il avait cité cette phrase d’un de ses anciens patrons : « Ce que tu n’es pas capable d’écrire, ne le fais pas » et il avait ajouté : « Ce que l’on n’écrit pas, ce que l’on ne partage pas, laisse la place à l’émotion et à l’arbitraire de la décision individuelle. »
Comme elles résonnaient ces phrases dans la salle d’audience ! Chacune d’entre elles rencontrait l’écho de ce qui est reproché à l’ancien urgentiste de Bayonne : la solitude de ses décisions, son silence face à certaines questions des aides-soignantes ou des infirmières, les blancs qui figurent dans les dossiers médicaux de ses patients agonisants là où il aurait dû noter les injections d’Hypnovel ou de Norcuron [un curare] qu’il avait choisi de pratiquer. Et il avait conclu : « Il ne faut pas donner aux médecins le droit de vie ou de mort clandestin dans l’intimité de leur décision. Si la loi autorisait un médecin à décider seul d’arrêter la vie, n’auriez-vous pas l’impression qu’elle s’arrête à la porte des hôpitaux ? »
Nicolas Bonnemaison a demandé à prendre la parole. Ce n’est certes pas la loi Leonetti qui le renvoie devant ses juges, c’est le Code pénal. À la cour et aux jurés, il reviendra de répondre, pour chacun des sept cas de patients qui leur sont soumis, si oui ou non, il s’est rendu coupable d’avoir « volontairement attenté » à leur vie en leur administrant des « substances de nature à entraîner la mort ».
Mais ce qui se joue à cet instant entre les deux hommes contient pour ceux qui les écoutent tout l’enjeu de ce procès : face à l'agonie de Fernand, aux convulsions de Madeleine, au dernières heures de Marguerite, de Jacqueline, de Christine, d'André ou de Pierre, Nicolas Bonnemaison a-t-il ou non agi en bon médecin ?
« Monsieur Leonetti, j’ai beaucoup de choses à vous dire. C’est ici, là, maintenant, et ce n’est pas simple », lui lance l’ancien urgentiste de Bayonne d’une voix tendue par la solennité de l’instant. « Je veux d’abord vous dire que les patients que j’ai pris en charge étaient en extrême fin de vie, dans un contexte aigu. Que la décision d’arrêter tout traitement thérapeutique avait été prise dans le service des urgences qui les avait accueillis. Dans ce contexte, où il y avait une possibilité de souffrance psychique, la mise en place d’un traitement sédatif me paraissait adaptée et donc je l’ai fait. J’ai utilisé de l’Hypnovel, et dans un cas, j’ai utilisé du Norcuron. J’ai des torts, je reconnais qu’il y a des choses tout à fait discutables dans ce que j’ai fait. Notamment le fait d’avoir décidé de sédater certains patients sans en parler à l’équipe ou à leurs familles. Mais jamais je n’ai eu l’intention de provoquer la mort de mes patients. »
Jean Leonetti l’écoute, tourné vers le box, puis se replace face à la cour. « J’ai dit et je le répète : Nicolas Bonnemaison n’est pas un assassin. » Mais il ajoute, et ses mots parlent mieux que personne ne l’a fait jusqu’ici de celui qui est dans le box : « Je crois pour autant qu’il faut que les choses soient dites, écrites, partagées, discutées. L’homme est fragile, il l’est encore plus face à la mort de l’autre. Face à la mort, on doit être dans l’empathie retenue, pas dans la compassion fusionnelle. Parce que dans le regard de l’autre, à ce moment-là, si je suis seul, je lis ma propre détresse. »