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A quel prix mieux repondre à la delinquance des plus jeunes ?

Planète Juridique - admin, 25/01/2014

Avant de réagir aux analyses et préconisations du rapport rendu public cette semaine du sénateur Jean Pierre Michel sur la place de la protection judiciaire de la jeunesse  (PJJ) dans le dispositif de protection de l'enfance, je crois opportun de … Continuer la lecture

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Avant de réagir aux analyses et préconisations du rapport rendu public cette semaine du sénateur Jean Pierre Michel sur la place de la protection judiciaire de la jeunesse  (PJJ) dans le dispositif de protection de l'enfance, je crois opportun de restituer ici quelques pistes avancée la mission en novembre 3013

La PJJ, administration du ministère de la justice, affiche deux objectifs : la  réécriture de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante et le doublement des centres éducatifs fermés. On peut s’interroger sur l’enjeu de ces objectifs et avancer des pistes plus en phase avec les besoins réels des juridictions et des jeunes (1)

Admettons la la nécessité de toiletter et de moderniser une ordonnance tenue pour obsolète et inadaptée au seul prétexte qu’elle date de 1945. Plusieurs années de pilonnage politique et médiatique ont contribué à lui donner cette image alors même qu’elle a été revue et complétée régulièrement ; encore dix fois depuis 2002. Condamne-t-on le code civil au seul prétexte de sa publication en 1804 ? Est-elle inappropriée aux besoins ? Elle permet tout. Veut-on revenir sur l’exigence d'un droit pénal spécialisé et des institutions judiciaires dédiées aux mineurs ? Non. Sur la priorité éducative pour répondre à une carence éducative de base ? Non. Qui contestera que le mineur d’âge soit confronté à la peine, disposition d’ordre public certes, mais aussi à dimension éducative ? Non. En forçant le trait, on changera la datation et les formulations - avertissement remplacera admonestation-avec une référence à la convention des droits de l’enfant, on forme le projet de fondre nombre de mesures éducatives en un mesure de base la protection judiciaire, on entend garantir une décision  rapide sur la culpabilité pour ensuite une fois le temps éducatif écoulé se prononcer sur une mesure,  mais on n’ira pas au-delà.

Une première écriture serait rédigée et soumise après les municipales aux critiques des associations avec pour objectif nous dit-on un  passage en Conseil  des ministres avant l'été.Acceptons en l'augure.

jugeenfants4Doubler les CEF ? On n’a pas encore évalué d’une manière rigoureuse et scientifique leur efficacité. On s’est contenté d’analyser les cadres institutionnels et administratifs de leurs (dys)fonctionnements par une approche technocratique [2]. On sait déjà que la construction d'un CEF revient à 3 millions d'euros et une reconversion d'un foyer en CEF s'élève à 2 millions avec un coût de fonctionnement par jour et par mineur de 600 à 700 euros..

La vraie question n’a pas été posée publiquement : quelle place donner à la contrainte éducative dans la prise en charge des jeunes en grande difficulté qu’on ne détachera pas de la délinquance en quelques mois. Les CEF, comme la prison, ne sont pas une fin en soi, mais un élément d’une stratégie inscrite dans la durée et la cohérence qui intègre la nécessité du sur-mesure quand pour certains il suffit de placer un jeune dans une structure coercitive éloignée pour résoudre ses problèmes et ... les nôtres ! Le mythe des murs, toujours et encore ! Cette erreur a déjà été commise dans les champs médical, psychiatrique ou social. Les structures ne font pas une prise en charge ; elles sont au service de l’accompagnement humain.

On reste toujours aussi incapable de valoriser aux yeux de l’opinion publique et des politiques le travail quotidien des juridictions et des services éducatifs, publics comme privés, au service de la prévention de la récidive. 86% des jeunes suivis comme mineurs par ce dispositif en se retrouvent pas délinquants une fois majeurs [3]. On peut et on doit faire mieux, mais la marge de progression est étroite. 

Dans ce contexte que peut-on avancer pour cette administration d’une taille modeste dotée d’un petit budget [4], de peu d’agents [5], mais qui peut s’appuyer sur un réseau privé habilité conséquent. Après trois décennies d’interpellations et de doutes elle a un avenir si, pour repérer les marges de progression, elle entend les reproches, plus ou moins fondés qu’elle peut supporter.

Oui la PJJ publique institution et ses agents ont une mauvaise image. Elle est vécue comme rarement disponible. Elle avance le manque de moyens quand elle ne s’oppose pas carrément. Ainsi elle a longtemps refusé d’admettre que certaines mesures modernes ordonnées dans le cadre pénal ne s’inscrivaient pas dans un registre répressif, mais étaient porteuses d’une dimension éducative : en laissant volontairement de côté le contrôle judiciaire et le SME on pense aux TIG et à la réparation. Pas question d’y participer ! Avant d’y être conduite devant la concurrence privée. Que dire du refus dans les années 2002 des (anciens) éducateurs PJJ de s’installer en prison alors même qu’y sont les mineurs les plus en difficulté ?

JP RosenczveigSes résistances au nom de l’esprit de 1912 et de 1945 n’étaient pas toujours mal fondées : les enfants délinquants ne sont pas des délinquants comme les autres.

Constatons qu’elle s’est auto-anesthésiée. Où est la dimension éducative de faire gérer par la PJJ le port du bracelet électronique par certains jeunes ? Est-ce sa mission ? Il y a 20 ans les personnels seraient descendus dans la rue sur un tel projet. Encore groggy debout, l’institution a digéré.

Ajoutons un mode de gestion catastrophique au regard des enjeux : les mutations hiératiques de ses agents en fonction de l’intérêt des personnels et non pas du service font que souvent des mesures ne sont pas exercées ou s’effondrent et les équipes régulièrement démantelées. On cherche souvent la cohérence éducative dans la durée quand ces jeunes en sont initialement privés par une déshérence parentale.

Plus grave : le vide des structures collectives est anxiogène ; comment s’y investir ? Ces lieux de vie sont rarement appropriés par les agents ; comment le seraient-ils par des jeunes ? D’où l’idée en 2010 de faire appel à des vigiles pour contenir le contenant ou encore le recours au contrôle judiciaire pour garantir l’acceptation de l’accueil. Le lieu et le projet offert aux jeunes n’apparaissent plus en tant que tels contenants.

La PJJ était singulièrement menacée. En 2011 on formait encore le projet de la fondre avec l’administration pénitentiaire.

Les politiques l’ont conduit à admettre publiquement - le plan stratégique 2008-2011 - qu’elle exerçait mal son cœur de métier : prendre en charge les jeunes délinquants. On en a donc profité pour masquer les problèmes économiques en élaguant les branches : les jeunes majeurs, et les enfants en danger sauf les mesures d’investigation. On imaginait même en 2008 –commission Varinard - de confier aux maires les délinquants de moins de 13 ans et les primo-délinquants.

Bref, elle a été « recentrée ». Cette démarche a été coûteuse aux personnels, interpellés dans leurs valeurs. Pour beaucoup, à juste titre, un mineur délinquant est d’abord un enfant en danger et tout ne s’arrête pas brutalement à la majorité. Constatons qu’ils retrouvent petit à petit une identité professionnelle en s’investissant sur les jeunes aux parcours fracassés ou en passe en de l’être.

Pas question de faire vivre à ces agents un nouveau traumatisme en revenant aux temps jadis, mais il faut corriger à la marge et les doter des moyens réels de leurs missions en libérant leur énergie.

avocat_jeuneQuelques pistes peuvent être avancées dont la première est une gageure majeure et incontournable : au 1er janvier 2014 la PJJ aura pour obligation de recevoir dans les 5 jours les jeunes faisant l’objet d’une mesure (art. 12-3 de l’ordonnance). Une vraie révolution puisque aujourd’hui en moyenne nationale il faut 40 jours entre la décision du juge et l’intervention de l’équipe éducative. Il ne doit pas s’agir d’un rendez vous de façade, mais d’une première évaluation du risque de réitération ou tout simplement de danger dans lequel se trouve le jeune, pouvant enclencher une prise en charge immédiate.

En tenant ce pari la PJJ intégrera enfin la gestion de l’urgence. Au tribunal, à l’hôpital, à l’ASE on gère déjà l’urgence. Ce n’est pas un problème de moyens, mais de culture. Elle y gagnera en crédibilité vis-à-vis de ses partenaires institutionnels, mais aussi auprès des familles. L’expérimentation menée depuis juillet est de bon augure. Sans doute faudra-t-il une mission d’accompagnement de cette réforme tant l’enjeu est important.

2°: Mettre fin au monopole de la PJJ dans l’exercice des mesures de liberté surveillée. Si la PJJ ne peut pas faire elle-même, elle doit déléguer  mieux il est important qu’il y ait ici comme ailleurs une concurrence qui stimule les services pour la mise en œuvre de la mission de service public. Elle existe pour les mesures de réparation ou pour l’accueil en institution ; il faut la généraliser spécialement pour la liberté surveillée mesure de base de la prise en charge des jeunes délinquants voire pour les mises à l’épreuve et les TIG.

3) Densifier le suivi en milieu ouvert. Comment un agent peut-il suivre 25 jeunes ? Comment peut-on être efficace en rencontrant un jeune une fois tous les mois ? En le faisant venir, sans aller chez lui ou dans son quartier ? Mettons vraiment les moyens sur les cas les plus difficiles en mobilisant 24 h sur 24 des équipes pluri professionnelles avec une possibilité d’accueil physique en tant que de besoin. L’expérience américaine montre ici qu’on peut éviter l’incarcération des cas les plus lourds. [6] On peut aspirer à plus de moyens ; on ne les aura qu’à la marge. Tenons déjà l’objectif affiché il y a 5 ans : plus un jeune suivi inactif en journée.

5) Mobiliser la société civile. On le fait peu ou prou avec les tuteurs de TIG ou des mesures de réparation. Il faut aller plus loin en restaurant le délégué bénévole à la liberté surveillée qui jadis assistait le délégué, fonctionnaire en titre. Territoire par territoire, les structures de la PJJ doivent s’appuyer sur des citoyens qui l’aident à accompagner ces jeunes. Au professionnel d’être le garant du suivi dans sa cohérence au regard du mandat qu’il a reçu de la juridiction.

De même plutôt que de multiplier des structures qui concentrant des jeunes en grande souffrance s’avèrent autant de cocottes-minute, il faut rechercher des familles d’accueil en les assurant d’un encadrement judiciaire et éducatif adapté. On offrirait aux jeunes une prise en charge réellement à échelle humaine dont ils ont souvent pâti jusqu’alors.

L’accompagnement des enfants délinquants ne doit plus relever des seuls professionnels du social. Les membres de la famille et la société ont des potentialités. Cessons de déléguer aux professionnels la mission d’insertion.

4) Stabiliser d’urgence les équipes éducatives par une autre gestion de personnels avec des contrats pluriannuels et la possibilité comme dans le secteur habilité, sur des emplois fléchés, de réunir des agents autour d’un projet et d’un responsable.

5) Garantir - et au-delà de 18 ans - le suivi d’un jeune qui sans commettre plus de nouveaux délits est encore en grande fragilité sociale. On doit lui donner acte qu’il n’est plus délinquant, mais maintenir une mesure civile exercée par la même équipe. Ne revenons pas à l'avant 1958 où il fallait absolument qu'un jeune soit ou reste délinquant pour être suivi par le même éducateur de la PJJ.[7]

6) Mobiliser plus que jamais l’expertise de la PJJ. A l’échelle des territoires elle a une vision des populations en difficulté et peut contribuer à prévenir de la primo-délinquance. Au cas par cas, elle peut faire émerger un diagnostic, dégager des réponses et garantir la mise en œuvre de la réponse sans nécessairement  la mettre en place..

Sans doute d’autres pistes existent. Celles-ci ont le mérite de relégitimer dans l’action et non pas dans l’incantation une administration essentielle sans laquelle les magistrats munis des seuls codes seraient démunis et renvoyés vers la seule prison.

L’éducatif a encore une grande place à tenir pour l’égard des jeunes. N’accentuons pas leurs difficultés par nos carences. La PJJ a des ressources pour écrire de nouvelles pages. J’ose à peine avancer à ce stade qu’il est urgent de supprimer un TCM chronophage et sans intérêt, les peines-plancher et le retrait automatique de l’excuse atténuante de minorité ! Toutes dispositions qui auraient déjà du être adoptées en mai 2012.

CouvLivreDaloz - CopieJP Rosenczveig

président du TE de BobignyC2livreJPR-CG 900



[A]     Rapport de janvier 2013 des trois inspections sur les CEF

[2]     Rapport du sénateur Lecerf du 4 mai 2011

[3]     785 millions d’euros en 2014 pour quasiment 7 milliards  à l’ASE

[4]     8500 personnels dont environ 4500 éducateurs

[5]              Voir Dominique Youf in Sociétés et jeunesses en difficulté, http://sejed.revues.org/ , numéro 13

[6]              Jean Gabin, juge des enfants à Paris dans «  Chiens perdus sans collier » (1954) : « Dis moi que tu as volé et l’Etat assure ton avenir ! »


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