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Orsoni: cors’attitudes et marseillaiseries

Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 5/06/2015

Après quatre semaines de procès, on peine à savoir par qui et pourquoi Thierry Castola et Sabri Brahimi ont été assassinés en janvier 2009 à Ajaccio et par qui et pourquoi Francis Castola a fait l’objet d’une tentative d’assassinat quelques … Continuer la lecture

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Après quatre semaines de procès, on peine à savoir par qui et pourquoi Thierry Castola et Sabri Brahimi ont été assassinés en janvier 2009 à Ajaccio et par qui et pourquoi Francis Castola a fait l’objet d’une tentative d’assassinat quelques mois plus tard. Mais au fil des jours, de cette irremplaçable fenêtre avec vue sur un petit pan de monde qu’est une longue audience criminelle, on a appris quelques menues choses de la vie à Marseille et Ajaccio.

• « J’ai un cousin qui travaille à la SNCM » (variante « à la CMN)

Les traversées Marseille-Bastia ou Marseille-Ajaccio et retour remplissent des dizaines de pages du dossier d’instruction. A l’un des accusés particulièrement familier de ces trajets, le président fait observer que cela doit représenter un fameux budget.

- Je ne paie pas souvent.

- Et pourquoi donc ?

- J’ai un cousin qui travaille à la SNCM

- Et alors ?

- Et alors, il me fait monter gratuitement.

- Même avec une voiture ?

- Non, là, c’est un peu plus compliqué. Il faut viser plus haut. Je passe par quelqu’un d’autre, qui est délégué syndical.

« J’ai passé un accord avec lui »

Chemise noire, veste noire, pantalon noir, crâne rasé, Alain Lucchini apparaît sur l’écran de la visio-conférence en direct d’Ajaccio. Une gueule, une allure, une attitude, une biographie. Ancien militant nationaliste, ex patron de l'établissement de nuit Le Privilège à Ajaccio, il présente la particularité pas si particulière dans ce dossier d'avoir été victime d'une tentative d'assassinat. Le dos nonchalamment calé au fond du fauteuil qu'il fait pivoter doucement de droite à gauche, une jambe repliée sur la cuisse de l'autre, les mains glissées dans les poches, Alain Lucchini fixe la caméra d’un regard, disons, grave.

Au président qui vient de lui demander, comme le veut le code de procédure pénale pour les témoins, de faire d’abord une déposition « spontanée », il répond :

- Je n’ai rien à déclarer.

Finalement, il en a beaucoup à dire, surtout sur lui, qui semble être un de ses sujets favoris.

- J’ai été victime d’une tentative d’assassinat sur ma personne. 

Vingt-trois projectiles ont été tirés sur lui, il a riposté et il a eu le temps de reconnaître le visage de l’un de ses agresseurs avant d'être transféré en urgence à l'hôpital, puis en prison. A sa sortie, il a voulu savoir qui était les autres membres de la bande. Il a convoqué un de leurs amis communs.

- J’ai passé un accord avec lui pour qu'il me donne les noms. 

L'avocat général Pierre Cortès intervient:

- Enfin, vous ne lui avez pas vraiment laissé le choix...Vous l'avez sommé de vous dire les noms en échange de quoi, vous lui laissiez la vie sauve.  

- Oui.

• Précepteur Francis Mariani

Franck Tarpinian n’était qu’un petit voyou marseillais, tombé pour une affaire de vol à main armée, quand il a été incarcéré aux Baumettes. A l’école de la prison, il tombe sur le plus réputé des précepteurs, Francis Mariani, l’un des piliers de la Brise de Mer, dont il partage la cellule. Entre les deux hommes, le courant passe. Mariani charge le Marseillais de quelques commissions et l’introduit auprès de ses amis corses.

- C’est à partir de là que commence…

- Ma période ajaccienne, monsieur le président, oui.

Souvent, Franck Tarpinian voyage gratuitement –  son père et lui-même ont travaillé sur les docks de Marseille. Mais le dossier porte aussi la trace d’un billet qu’il a payé. Il ne l’avait pas pris à son nom mais sous l’identité de Luc Brasi.

- C’est qui ?

- C’est le nom du tueur dans le Parrain, monsieur le Président, Luca Brasi.  

 Franck Tarpinian est aussi quelqu'un qui a beaucoup parlé pendant l'instruction et qui, depuis, fait tout ce qu'il peut pour affirmer qu'il n'a jamais dit ce qu'il a dit. Dans le box, il se tient à bonne distance des trois autres accusés qui comparaissent détenus. Au jour annoncé de son interrogatoire, un homme est venu s'asseoir au fond de la salle sur les bancs du public et lui adressait ostensiblement des signes de connivence. Les connaisseurs se sont poussés du coude, l'homme en question s'appelle Daniel Bellanger, dit Babar ou le Grand Daniel. Membre de la "Dream Team", une célèbre équipe de braqueurs, il est en libération conditionnelle.  Sa présence vaut message ou avertissement, ont décrypté les experts en voyoucratie.

• Filles à papa

Ce jour là, Serena se promène sur la plage avec une de ses amies et s’approche de la paillotte de Johan, attablé en terrasse avec Priscilla et le copain de celle-ci qui est l’ex de Serena (vous suivez ?). Johan en veut beaucoup à Serena, qui s’est moquée de lui sur Facebook, ce que tous les moins de 40 ans d’Ajaccio ont su. A la vue de Serena, Johan se lève, vient lui demander des explications, la jeune femme l’insulte, il perd ses nerfs et la gifle.

Johan est très ennuyé. Le lendemain « à la première heure » dit le procès-verbal, il se présente devant le stade de l’ACA d’Ajaccio pour demander à rencontrer Alain Orsoni. Car Serena n’est autre que sa nièce et la fille de son frère Guy, assassiné en juillet 1983, et donc la cousine germaine du fils d'Alain, Guy, qui porte ce prénom en mémoire de son oncle. Johan ne voudrait surtout pas qu’il y ait un malentendu.

- Pourquoi allez-vous voir Alain Orsoni «  à la première heure » ?

- Par politesse. Pour lui expliquer la situation.

- Pourquoi lui ?

- Parce que c’est quelqu’un que je respecte. Si demain quelqu’un a un problème avec ma sœur, il va aller voir mon père ou venir me voir à moi.

- Vous redoutiez quelque chose ? [il a été un temps question, dans le dossier, d’un projet d’incendie de la paillote de Johan que Guy Orsoni aurait évoqué devant quelques uns de ses amis, en riposte à l'outrage fait à sa cousine]

- Non ! D’ailleurs Alain a bien compris ma démarche.

C'est que Johan a appris à être prudent car il n'a pas de chance avec les filles. Un jour, dans un embouteillage à Ajaccio, il se prend le bec avec une jeune femme et l’insulte.

Peu de temps après, il voit débarquer sur le parking de sa paillote des gros costauds qui lui brisent les bras. La jeune femme à laquelle il avait eu le malheur de « manquer de respect », était la fille de Francis Mariani.

• « Combien ça coûte un  gilet pare-balles ? »

 Chez l’un des accusés, les enquêteurs envoyés en perquisition mettent la main sur une voiture volée, deux fusils d’assaut, six pistolets automatiques, un détonateur, des munitions, 500 grammes de cocaïne, des gilets pare-balles.

- Que faisiez-vous avec tout cela ? 

- Je les détenais.

-  Ça coûte combien un gilet pare-balles ?

- Je ne sais pas. Moi, on me les offre.        

L’accusé désigne du pouce les gardes qui se tiennent assis dans le box derrière lui :

- Vous devriez leur demander à eux….

• « Profession retraité agricole »

Cheveux blancs immaculés, peau tannée par le soleil, Paul-Roger Orsoni, 75 ans, s’avance à la barre des témoins. Il est l’oncle d’Alain Orsoni et vit comme lui, dans le village de Vero. Quand le président lui a demandé sa profession, il a répondu : « retraité agricole ».

- Vous n’avez pas toujours été retraité agricole, Monsieur… observe l’avocat général Pierre Cortès.

- Oui, c’est vrai, j’ai eu un commerce.

- Quel commerce ?

- Disons un restaurant.

- Où ça ?

- A Paris.

- Un restaurant, vous êtes sûr ?

- Plutôt une discothèque, disons. 

- Ce n’est pas tout, je crois…

- J’ai aussi eu une discothèque à Ajaccio.

Le « retraité agricole » ajoute avant que l’avocat général ne le lui rappelle.

- Bon, j’ai aussi été acquitté de quelques déboires de jeunesse… »

A suivre.

 

 

 

 

 


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