« Un enfant quand je veux et et comme je veux ! Je paie cash. »
Planète Juridique - admin, 6/09/2014
La décision de juge des enfants de Nancy de confier un très jeune enfant au couple qui l'a acheté à sa naissance ne manquera pas d'interroger. Décision exceptionnelle certes ; justifiée par des circonstances particulières, on l'entend, mais on voit bien dans quelle voie, si on n’y rend pas garde, on peut s'engager avec la caution des magistrats.
L'histoire telle que nous la restitue une dépêche AFP du 6 septembre est simple.
Une femme déjà mère de six enfants accouche en mai 2013 à Marseille d'un enfant qu'elle pense ne pas pouvoir assumer. Avec l'aide d'intermédiaires la maman vend son bébé pour quelques milliers d'euros à un couple lorrain de 26 et 27 ans qui, à son grand dam, ne pouvait pas avoir d'enfant.
A la découverte de la transaction dont il est évident pour tout un chacun qu'elle était fondamentalement illégale et condamnée par la loi pénale, des poursuites seront donc engagées. Les intermédiaires sont mis en examen et incarcérés. On ne sait pas si la mère est également poursuivie, mais il y a tout lieu de penser que cela est le cas. Pour sa part le couple acheteur est lui-même mis en examen et placé sous contrôle judiciaire
Le nourrisson se retrouve confié à l'ASE et pris en charge par la pouponnière.
Las, avance l'avocat du couple, "l'enfant qui était jusqu'alors vif et éveillé, a rapidement dépéri. Il s'est tellement renfermé que les services sociaux ont craint que cela ne touche (sic) son développement psychomoteur".
Au point où le juge les enfants de Nancy sollicité par le couple lui accorde un droit de visite avant, fin août, de l’autoriser à le récupérer à plein temps dans le cadre d'un "hébergement long". "L’intérêt de l'enfant a primé, la décision du juge des enfants est particulièrement courageuse" avance l'avocate du couple.
On ne sait pas si le juge a donné main-levée de l'accueil à l'ASE ou a purement et simplement remis l'enfant au couple.
En tous cas l’homme et la femme se proposent désormais d'adopter l'enfant pour parachever leur démarche. On ne sait pas si la mère biologique à reconnu son enfant à la naissance. Il y a tout lieu de le penser.
Les dispositions sur l’assistance éducative (art. 375 et s. du code civil) permettent au juge des enfants de confier l'enfant à toute personne qu'il estime digne de confiance au regard de ses besoins l Cette personne peut être un proche de la famille, mais pas nécessairement. Informée, l'Aide sociale à l'enfant, service sous l'autorité du président du conseil général, se doit de lui apporter aide et soutien, spécialement de l'aider financièrement si la charge de l'enfant est trop lourde. La statut de tiers digne de confiance ne confère aucun droit particulier sur l’enfant : il l’autorisation d’accueillir l’enfant et de gérer les questions de la vie quotidienne. Avec la caution du juge des enfants on ne peut pas être accusé d’être dans l’illégalité quant à cet accueil.
En d'autres termes la décision du juge des enfants - avec ou sans l'aval du procureur de la République, on l'ignore là-encore - est parfaitement légale.
Elle se comprend en l’espèce au regard de l'analyse faite de la situation de cet enfant. On s'interroge quand même simplement sur le diagnostic très très surprenant fait pour cet enfant en très bas-âge, mais ici il faut faire confiance aux professionnels de l'action sociale et au magistrat qui l'ont posé et aux constats qu'ils ont effectué.
Reste que cette décision doit bien demeurer exceptionnelle, sinon il est évident qu’une brèche majeure s'ouvrirait dans notre dispositif de protection de l'enfance. Il serait facile de jouer de ce dispositif.
Entre la situation d'une mère qui estime - et son point de vue doit être respectée - ne pas pouvoir élever l'enfant dont elle vient ou va accoucher et celle de la femme qui acceptera de porter volontairement un enfant pour autrui, la marge est faible.
En l'espèce, sans fantasmer sur les quelques milliers d'euros reçus - demandés ? - il est évident qu'on est dans une tractation. Il était facile à la mère de remettre - gracieusement - son enfant à l'ASE qui aurait alors veillé à rechercher une famille d'accueil avec vocation à adopter l'enfant. Vu les milliers de couples demandeurs l’enfant ne serait pas resté pupille très longtemps. Pourquoi cette voie normale et légale n'a-t-elle pas été suivie ? Il serait intéressant d’approfondir ce point avant de fustiger cette mère. C'est une filière mercantile, appelons les choses par leurs mots, de traite de la personne humaine, qui a été utilisée. La justice ne peut pas la cautionner.
Comment imaginer que la mère, les intermédiaires, le couple accueillant et acheteur soient tous condamnés en justice et dans le même temps le couple autoriser à adopter. Pas d’état d’âme pour les intermédiaires. Mais pour la mère et les accueillants ? On imagine mal une peine de prison ferme. Du sursis simple ? Un coup d'épée dans l'eau ! Une amende? Un vulgaire surcoût à l'achat !
Dès lors, demain rien n'empêchera des couples de commander un enfant, de l'accueillir, de plaider que l'enfant dépéri à la pouponnière pour se le voir remettre. Donc, d'accéder à ses fins et pour un coût, somme toute, relatif.
Une nouvelle fois l'intérêt de l'enfant est détournée de son objectif. L'enfant est pris en otage de sa propre situation ? On crée le fait en violation de la loi d'om va découler le droit.
Il suffit d’avoir les moyens financiers. Au passage : malheur aux pauvres qui seraient stériles !
J’ai conscience que ces propos sont durs car ces gens doivent être tout à fait honorables et leur quête d'enfant respectable. Et l’enfant évoluera certainement positivement. Nous ne sommes dans la Veillée des chaumières : une nouvelle fois la fin doit elle justifier les moyens ?
Si la société à travers la justice, mais aussi les médias et les politiques, ne condamnait pas ces pratiques avec des arguments de bons sens référés à l'intérêt général, on ne voit pas pourquoi tout un chacun ne souhaiterait pas à l’avenir répondre à son attente personnelle. « Un enfant quand je veux et de qui je veux et comme je veux ! Et je paie cash. »
Bref, une affaire exceptionnelle, mais que l'on ne peut pas banaliser. La justice via le juge des enfants a protégé un enfant ; elle se doit aussi d’envoyer un message fort. Sans doute le jour du jugement des acteurs de la transaction.