La requalification du CDD en CDI : panorama des évolutions jurisprudentielles récentes
K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Patrick Berjaud, Cindy Boulenger, 14/03/2018
Plusieurs décisions rendues en matière de requalification de contrat à durée déterminée (CDD) en contrat à durée indéterminée (CDI) en ce début d’année nous donnent l’occasion de faire un focus sur cette action, souvent pratiquée, pas toujours bien maîtrisée.
1. L’action en requalification
La requalification du CDD en CDI est une action-sanction prévue par l’article L 122-3-13 du code du travail qui permet au juge prud’homal, saisi directement en bureau de jugement sur demande du salarié, de faire requalifier de manière quasiment systématique en CDI un CDD qui aurait été conclu en violation des dispositions légales applicables à ce contrat dit « d’exception », le CDI étant la forme « normale » du contrat de travail.
Pourtant, les dernières décisions rendues en la matière permettent d’entrevoir quelques variables d’assouplissement.
Pourtant, les dernières décisions rendues en la matière permettent d’entrevoir quelques variables d’assouplissement.
2. Sur la requalification pour absence de mention obligatoire
Pour être valide et ne pas se voir requalifié en CDI, le CDD doit répondre à des exigences de forme bien précises et comporter des mentions obligatoires définies par l’article L 1242-12 du code du travail mais aussi précisées par la jurisprudence. Pour n’en citer que quelques-unes, le contrat à durée déterminée doit notamment, mais non exclusivement, être écrit, comporter la définition précise de son motif, la date du terme, la durée de la période d’essai, le montant de la rémunération, etc.
Si certaines de ces mentions ne sont pas insérées au contrat à durée déterminée, il peut alors être requalifié en contrat à durée indéterminée par le juge prud’homal sur demande du salarié. Aussi fait-il l’objet d’un abondant contentieux devant les juridictions sociales afin qu’il soit tranché sur sa possible requalification en CDI suivant les omissions de forme soulevées par le salarié.
Cependant, si la requalification ne fait quasiment pas de doute en cas « d’oubli » d’une mention obligatoire édictée par le code du travail, la solution n’est pas toujours aussi évidente en cas d’absence au contrat d’une mention pourtant non prévue par la loi. C’est alors au juge de déterminer si cette omission cause au salarié un préjudice lui permettant d’obtenir la requalification de son CDD en CDI.
Ainsi, dans un arrêt du 20 décembre dernier (n°16-25.251), la Cour de cassation s’est prononcée sur l’impact de la mention manquante de la date de conclusion d’un CDD, la salariée dans cette affaire arguant qu’il lui était impossible, sans mention de cette date, de prouver que le contrat lui avait bien été remis dans les deux jours suivant son embauche, obligation encore en vigueur à la date du contentieux. La Cour en a décidé autrement, rappelant que le défaut de mention de la date de conclusion du contrat ne faisant pas parties des obligations imposées par l’article L 1242-2 du code du travail, son omission ne saurait entraîner la requalification du CDD en CDI.
Cet arrêt permet par ailleurs de rappeler et souligner que l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 met fin à la jurisprudence antérieure sur la remise tardive du CDD au salarié, celle-ci ne lui permettant plus de demander la requalification en CDI mais lui donnant uniquement droit à une indemnité dont le montant ne peut être supérieur à un mois de salaire (article L 1245-1 du code du travail).
Si certaines de ces mentions ne sont pas insérées au contrat à durée déterminée, il peut alors être requalifié en contrat à durée indéterminée par le juge prud’homal sur demande du salarié. Aussi fait-il l’objet d’un abondant contentieux devant les juridictions sociales afin qu’il soit tranché sur sa possible requalification en CDI suivant les omissions de forme soulevées par le salarié.
Cependant, si la requalification ne fait quasiment pas de doute en cas « d’oubli » d’une mention obligatoire édictée par le code du travail, la solution n’est pas toujours aussi évidente en cas d’absence au contrat d’une mention pourtant non prévue par la loi. C’est alors au juge de déterminer si cette omission cause au salarié un préjudice lui permettant d’obtenir la requalification de son CDD en CDI.
Ainsi, dans un arrêt du 20 décembre dernier (n°16-25.251), la Cour de cassation s’est prononcée sur l’impact de la mention manquante de la date de conclusion d’un CDD, la salariée dans cette affaire arguant qu’il lui était impossible, sans mention de cette date, de prouver que le contrat lui avait bien été remis dans les deux jours suivant son embauche, obligation encore en vigueur à la date du contentieux. La Cour en a décidé autrement, rappelant que le défaut de mention de la date de conclusion du contrat ne faisant pas parties des obligations imposées par l’article L 1242-2 du code du travail, son omission ne saurait entraîner la requalification du CDD en CDI.
Cet arrêt permet par ailleurs de rappeler et souligner que l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 met fin à la jurisprudence antérieure sur la remise tardive du CDD au salarié, celle-ci ne lui permettant plus de demander la requalification en CDI mais lui donnant uniquement droit à une indemnité dont le montant ne peut être supérieur à un mois de salaire (article L 1245-1 du code du travail).
3. Sur le recours aux CDD successifs de remplacement : assouplissement de la requalification systématique
L’article L 1244-2 du code du travail permet à l’employeur de recourir à des CDD de remplacement successifs avec le même salarié.
Dans ce cas, au-delà des règles de forme qui doivent être respectées, il faut également veiller à ce que l’objet du CDD n’ait pas en réalité pour motif et objet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise ainsi qu’en disposent l’article L 1242-1 du code du travail et une jurisprudence constante.
Toutefois, les décisions dégagées par les contentieux occasionnés à ce sujet ont largement démontré que ce cas de recours masque bien souvent un besoin structurel de main-d’œuvre, notion définie par la Cour de cassation dans un arrêt du 26 janvier 2005 (n°02-45.342), les CDD étant conclus en lieu et place d’emplois durables et permanents au sein de l’entreprise, et pouvant dès lors être requalifiés en CDI.
Néanmoins, dans un arrêt du 14 février 2018 (n°16-17.966), la Cour de cassation a assoupli sa position en cassant un arrêt de Cour d’appel par lequel les juges avaient fait droit à la demande d’une salariée de requalification de ses 104 CDD cumulés sur trois années pour motif de remplacement de salariés absents, ainsi qu’au paiement du salaire correspondant aux périodes interstitielles. La Cour retenait en effet que le remplacement prévisible des salariés constituait un équivalent temps plein pour faire face à des besoins structurels de main-d’œuvre de l’association employeur, dont le nombre de salariés impliquait nécessairement qu’elle soit confrontée à des périodes de congés, maladie, maternité, etc., donnant lieu à des remplacements prévisibles.
Au contraire, pour la Haute juridiction, qui s’appuie en en reprenant les termes sur une décision rendue par la CJUE du 26 janvier 2012 (affaire C‑586/10) en vertu de la clause 5, point 1, a de la Directive 1999/70/CE du 28 juin 1999 sur le contrat de travail à durée déterminée, le recours à des CDD de remplacement de manière récurrente n’est pas forcément synonyme d’abus.
Elle précise que le seul fait qu’un employeur, pour garantir à ses salariés le droit aux congés payés, congés maladie ou maternité imposés par la loi, ait recours à des CDD de remplacement de manière récurrente, voire permanente, ne saurait caractériser un recours systématique aux CDD ayant pour fin de faire face à des besoins structurels de main-d’œuvre et masquer en réalité des emplois liés à son activité permanente.
Aussi, le juge du fond est-il invité, avant toute requalification systématique en CDI, à prendre en considération tous les paramètres ayant conduit à recourir à des CDD de remplacement afin de démontrer qu’ils avaient, ou non, pour objet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise et seraient constitutifs d’un abus.
Dans ce cas, au-delà des règles de forme qui doivent être respectées, il faut également veiller à ce que l’objet du CDD n’ait pas en réalité pour motif et objet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise ainsi qu’en disposent l’article L 1242-1 du code du travail et une jurisprudence constante.
Toutefois, les décisions dégagées par les contentieux occasionnés à ce sujet ont largement démontré que ce cas de recours masque bien souvent un besoin structurel de main-d’œuvre, notion définie par la Cour de cassation dans un arrêt du 26 janvier 2005 (n°02-45.342), les CDD étant conclus en lieu et place d’emplois durables et permanents au sein de l’entreprise, et pouvant dès lors être requalifiés en CDI.
Néanmoins, dans un arrêt du 14 février 2018 (n°16-17.966), la Cour de cassation a assoupli sa position en cassant un arrêt de Cour d’appel par lequel les juges avaient fait droit à la demande d’une salariée de requalification de ses 104 CDD cumulés sur trois années pour motif de remplacement de salariés absents, ainsi qu’au paiement du salaire correspondant aux périodes interstitielles. La Cour retenait en effet que le remplacement prévisible des salariés constituait un équivalent temps plein pour faire face à des besoins structurels de main-d’œuvre de l’association employeur, dont le nombre de salariés impliquait nécessairement qu’elle soit confrontée à des périodes de congés, maladie, maternité, etc., donnant lieu à des remplacements prévisibles.
Au contraire, pour la Haute juridiction, qui s’appuie en en reprenant les termes sur une décision rendue par la CJUE du 26 janvier 2012 (affaire C‑586/10) en vertu de la clause 5, point 1, a de la Directive 1999/70/CE du 28 juin 1999 sur le contrat de travail à durée déterminée, le recours à des CDD de remplacement de manière récurrente n’est pas forcément synonyme d’abus.
Elle précise que le seul fait qu’un employeur, pour garantir à ses salariés le droit aux congés payés, congés maladie ou maternité imposés par la loi, ait recours à des CDD de remplacement de manière récurrente, voire permanente, ne saurait caractériser un recours systématique aux CDD ayant pour fin de faire face à des besoins structurels de main-d’œuvre et masquer en réalité des emplois liés à son activité permanente.
Aussi, le juge du fond est-il invité, avant toute requalification systématique en CDI, à prendre en considération tous les paramètres ayant conduit à recourir à des CDD de remplacement afin de démontrer qu’ils avaient, ou non, pour objet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise et seraient constitutifs d’un abus.
4. Sur la requalification du CDD en CDI : l’action interprétée à la lumière de la prescription de droit commun
Il est communément admis que l’action en requalification en CDI d’un CDD, dont l’indemnité qui en découle présente un caractère indemnitaire, est soumise à un délai de prescription de deux ans à compter de la rupture du dernier CDD. En effet, l’article L 1471-1 du code du travail tout récemment modifié, indique : « Toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit. »
Cependant, l’article du code du travail relatif à cette action ne l’enferme finalement dans aucun délai particulier et il existe depuis toujours une incertitude sur le fait de savoir si le délai de prescription de droit commun ne pourrait pas également lui être applicable.
C’est par le biais d’une instance traitant de l’aménagement conventionnel de la prescription, prévu à l’article 2224 du code civil, que la Cour de cassation a retenu cette solution dans un arrêt du 20 novembre 2017. La Cour d’appel avait accueilli favorablement une demande de requalification en CDI de 89 CDD, certains étant soumis à une prescription aménagée conventionnellement d’un an, décision assortie de rappels de salaire subséquents.
La Haute Cour, dans un arrêt du 20 novembre 2017 (Cass. soc. 22-11-2017, n° 16-16.561) rendu au visa des articles 2224 et 2254 combinés du code civil, a cassé la décision de la Cour d’appel, rappelant que les actions en requalification de CDD en CDI :
• ne sont pas des actions en paiement de salaire mais des actions à caractère indemnitaire ;
• que par conséquent rien n’empêche que le délai de prescription auquel elles sont soumises soit conventionnellement réduit ou allongé en vertu de l’article 2254 du code civil.
Si ces précisions sont utiles, la décision est surtout intéressante en ce qu’elle indique subtilement, au moyen de son visa, que l’action en requalification puisse être soumise au délai de prescription de droit commun mentionné à l’article 2224 du code civil et non au délai prévu par l’article L 1471-1 du code du travail.
Cette solution n’est certes pas un revirement de jurisprudence, mais elle offre néanmoins une analyse du délai de prescription applicable à ce type d’action qui ne saurait être négligée dans les contentieux de ce type.
Cependant, l’article du code du travail relatif à cette action ne l’enferme finalement dans aucun délai particulier et il existe depuis toujours une incertitude sur le fait de savoir si le délai de prescription de droit commun ne pourrait pas également lui être applicable.
C’est par le biais d’une instance traitant de l’aménagement conventionnel de la prescription, prévu à l’article 2224 du code civil, que la Cour de cassation a retenu cette solution dans un arrêt du 20 novembre 2017. La Cour d’appel avait accueilli favorablement une demande de requalification en CDI de 89 CDD, certains étant soumis à une prescription aménagée conventionnellement d’un an, décision assortie de rappels de salaire subséquents.
La Haute Cour, dans un arrêt du 20 novembre 2017 (Cass. soc. 22-11-2017, n° 16-16.561) rendu au visa des articles 2224 et 2254 combinés du code civil, a cassé la décision de la Cour d’appel, rappelant que les actions en requalification de CDD en CDI :
• ne sont pas des actions en paiement de salaire mais des actions à caractère indemnitaire ;
• que par conséquent rien n’empêche que le délai de prescription auquel elles sont soumises soit conventionnellement réduit ou allongé en vertu de l’article 2254 du code civil.
Si ces précisions sont utiles, la décision est surtout intéressante en ce qu’elle indique subtilement, au moyen de son visa, que l’action en requalification puisse être soumise au délai de prescription de droit commun mentionné à l’article 2224 du code civil et non au délai prévu par l’article L 1471-1 du code du travail.
Cette solution n’est certes pas un revirement de jurisprudence, mais elle offre néanmoins une analyse du délai de prescription applicable à ce type d’action qui ne saurait être négligée dans les contentieux de ce type.