Réforme du droit des contrats : la révision pour imprévision - mieux vaut être prévoyant (fiche n°8)
K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Matthieu Bourgeois, Pauline Krzisch, 17/09/2015
I. CONTEXTE
1. « L’imprévision désigne une situation dans laquelle un contrat a été déséquilibré par la survenance d’un événement que les parties n’avaient pas prévu au moment de l’échange des consentements » (M. Latina, Blog Dalloz, sur la Réforme du droit des obligations).
2. L’imprévision se distingue de la lésion, en ce que le bouleversement de l’économie doit être tel, qu’il entraîne une excessive onérosité d’exécution pour celui qui l’invoque. De plus, le déséquilibre en résultant doit être survenu postérieurement à la conclusion du contrat (Ph. Dupichot, « Regards (bienveillants) sur la réforme du droit français des contrats », Dossier Projet de réforme du droit des contrats : Regards croisés, in Droit et patrimoine, n°247, mai 2015).
3. La théorie de l’imprévision a été élaborée par le Conseil d’Etat (CE, Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux, 30 mars 1916, n° 59.928), dont le Vocabulaire juridique de Cornu donne la définition suivante : «théorie prétorienne en vertu de laquelle le juge a le pouvoir de réviser un contrat à la demande d’une partie lorsque, par suite d’un événement extérieur, étranger à la volonté des parties, l’exécution de celui-ci devient pour l’un des contractants non pas impossible (distinction d’avec la force majeure), mais tellement onéreuse qu’elle risque de le ruiner ».
4. Cette théorie n’a d’intérêt que dans le cadre des contrats à exécution successive et à durée déterminée, dès lors que dans les contrats à durée indéterminée, le contractant peut, sous réserve du respect d’un délai de préavis, résilier le contrat sans indemnités.
2. L’imprévision se distingue de la lésion, en ce que le bouleversement de l’économie doit être tel, qu’il entraîne une excessive onérosité d’exécution pour celui qui l’invoque. De plus, le déséquilibre en résultant doit être survenu postérieurement à la conclusion du contrat (Ph. Dupichot, « Regards (bienveillants) sur la réforme du droit français des contrats », Dossier Projet de réforme du droit des contrats : Regards croisés, in Droit et patrimoine, n°247, mai 2015).
3. La théorie de l’imprévision a été élaborée par le Conseil d’Etat (CE, Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux, 30 mars 1916, n° 59.928), dont le Vocabulaire juridique de Cornu donne la définition suivante : «théorie prétorienne en vertu de laquelle le juge a le pouvoir de réviser un contrat à la demande d’une partie lorsque, par suite d’un événement extérieur, étranger à la volonté des parties, l’exécution de celui-ci devient pour l’un des contractants non pas impossible (distinction d’avec la force majeure), mais tellement onéreuse qu’elle risque de le ruiner ».
4. Cette théorie n’a d’intérêt que dans le cadre des contrats à exécution successive et à durée déterminée, dès lors que dans les contrats à durée indéterminée, le contractant peut, sous réserve du respect d’un délai de préavis, résilier le contrat sans indemnités.
II. TRAITEMENT ACTUEL
5. La Cour de cassation refuse cette théorie, faisant prévaloir la force obligatoire du contrat, principe fondateur du Code civil actuel (arrêt Canal de Craponne, Chambre civile, 6 mars 1876 ; Dalloz 1876, 1, 193, note Giboulot). Ainsi, cette dernière fait primer l’autonomie de la volonté, les parties ayant dû prévoir l’imprévisible et - si elle reste fidèle à l’adage selon lequel le juge ne se préoccupe pas des insouciants - elle se refuse surtout à ériger le juge en justicier du contrat.
6. Il est néanmoins permis de constater certains assouplissements de cette jurisprudence de principe, au fil du temps et sur divers fondements :
• Com. 3 nov. 1992, Huard, n° 90-18.547 tout d’abord, qui, sur le fondement de la bonne foi, pose le devoir de renégocier pour les cocontractants mais limite la sanction à l’allocation de dommages-intérêts.
• Com. 24 nov. 1998, Chevassus-Marche, n° 96-18357 ensuite, dans lequel la Cour de cassation reproche à la cour d’appel de n’avoir pas recherché si, des mandants, qui consentaient des prix inférieurs au moyen de ventes parallèles, « avaient pris des mesures concrètes pour permettre à leur mandataire de pratiquer des prix concurrentiels... et de le mettre ainsi en mesure d’exercer son mandat ».
• Com. 29 juin 2010, Soffimat, n° 09-67369 enfin, qui permet la remise en cause des obligations d’un prestataire fournissant une maintenance de matériels et dont les conditions ont tellement changé en raison de l’augmentation des coûts des matières premières, qu’elles ont conduit à supprimer toute contrepartie réelle de l’engagement souscrit par le client cocontractant - et par conséquent à priver ce dernier de cause…
6. Il est néanmoins permis de constater certains assouplissements de cette jurisprudence de principe, au fil du temps et sur divers fondements :
• Com. 3 nov. 1992, Huard, n° 90-18.547 tout d’abord, qui, sur le fondement de la bonne foi, pose le devoir de renégocier pour les cocontractants mais limite la sanction à l’allocation de dommages-intérêts.
• Com. 24 nov. 1998, Chevassus-Marche, n° 96-18357 ensuite, dans lequel la Cour de cassation reproche à la cour d’appel de n’avoir pas recherché si, des mandants, qui consentaient des prix inférieurs au moyen de ventes parallèles, « avaient pris des mesures concrètes pour permettre à leur mandataire de pratiquer des prix concurrentiels... et de le mettre ainsi en mesure d’exercer son mandat ».
• Com. 29 juin 2010, Soffimat, n° 09-67369 enfin, qui permet la remise en cause des obligations d’un prestataire fournissant une maintenance de matériels et dont les conditions ont tellement changé en raison de l’augmentation des coûts des matières premières, qu’elles ont conduit à supprimer toute contrepartie réelle de l’engagement souscrit par le client cocontractant - et par conséquent à priver ce dernier de cause…
III. LES APPORTS DE LA REFORME
7. Le Projet de réforme du droit des obligations admet la révision du contrat pour imprévision si les parties en sont d’accord. En l’absence de consensus, le juge ne pourra que résilier le contrat.
8. La partie qui subit le changement de circonstances doit tout d’abord solliciter une renégociation auprès de son cocontractant, et doit pendant ce temps continuer l’exécution de ses obligations. Le juge ne pourra intervenir qu’en cas d’échec.
9. En revanche, le Projet, et c’est en cela qu’il innove, brandit une épée de Damoclès en ce qu’il permet à l’une des parties de demander unilatéralement au juge la résiliation du contrat dont le cocontractant aura refusé de renégocier les termes.
8. La partie qui subit le changement de circonstances doit tout d’abord solliciter une renégociation auprès de son cocontractant, et doit pendant ce temps continuer l’exécution de ses obligations. Le juge ne pourra intervenir qu’en cas d’échec.
9. En revanche, le Projet, et c’est en cela qu’il innove, brandit une épée de Damoclès en ce qu’il permet à l’une des parties de demander unilatéralement au juge la résiliation du contrat dont le cocontractant aura refusé de renégocier les termes.
IV. APPRECIATION ET PROPOSITION(S)
10. Contrairement aux effets d’annonce, pas grand-chose ne change avec le Projet d’ordonnance. Les parties peuvent se mettre d’accord, mais « cela est déjà le cas depuis belle lurette » comme le constate le professeur Denis Mazeaud à juste titre (« Droit des contrats : réforme à l’horizon!», Recueil Dalloz 2014 p. 291). En effet, les parties avaient déjà la possibilité de modifier les conditions d’exécution du contrat, par le biais du droit commun de l’avenant.
11. De plus, le champ d’application de l’article 1196 du Projet est restreint aux cas où le contractant n’aurait pas accepté d’assumer le risque d’un tel changement de circonstances. Il suffira donc qu’une partie accepte un tel risque pour que l’article ne s’applique pas (« Droit des contrats : le changement c’est demain », Repère par Hugues Périnet-Marquet, Revue Construction – Urbanisme Avril 2015). Or il est aisé pour les parties de prévoir de telles clauses afin d’éviter d’avoir à se soumettre audit article. De fait, la règle instaurée par le Projet n’est que supplétive de volonté, les parties pouvant y déroger par contrat en toute liberté.
11. De plus, le champ d’application de l’article 1196 du Projet est restreint aux cas où le contractant n’aurait pas accepté d’assumer le risque d’un tel changement de circonstances. Il suffira donc qu’une partie accepte un tel risque pour que l’article ne s’applique pas (« Droit des contrats : le changement c’est demain », Repère par Hugues Périnet-Marquet, Revue Construction – Urbanisme Avril 2015). Or il est aisé pour les parties de prévoir de telles clauses afin d’éviter d’avoir à se soumettre audit article. De fait, la règle instaurée par le Projet n’est que supplétive de volonté, les parties pouvant y déroger par contrat en toute liberté.
V. EN PRATIQUE
12. En cas d’échec ou de refus des négociations, le juge pourra être saisi « d’un commun accord » afin de procéder à l’adaptation du contrat. L’on imagine mal néanmoins dans quelles circonstances les parties réussiraient à se mettre d’accord pour saisir le juge alors qu’elles n’ont pas trouvé de consensus, et encore moins pourquoi celles-ci souhaiteraient que le juge modifie le contrat à leur place.
13. Il serait donc plus intelligible, dans une logique d’intégration de l’imprévision, que l’un des contractants puisse saisir seul le juge aux fins de lui demander la révision (M. Latina, Blog Dalloz, sur la Réforme du droit des obligations). Cela semble en effet plus cohérent avec les pouvoirs attribués au juge en matière de clauses abusives.
14. Enfin, il faudrait veiller à ne pas consacrer un « droit à » résiliation unilatérale pour imprévision, sur le modèle de l’exception d’inexécution (Th. Genicon, « Théorie de l’imprévision… ou de l’imprévoyance ? », D. 2010, p. 2485), au risque d’aboutir sur une sorte de « prime au mauvais joueur », comme le craint l’Association française des juristes d’entreprise qui propose que « le juge puisse, à la demande d’une des parties, mettre fin au contrat et en déterminer la date et les conditions, y compris les modalités d’indemnisation de l’autre partie ».
15. En pratique, les contractants pourront utilement intégrer une clause, prévoyant un seuil de déclenchement et/ou les cas dans lesquels le mécanisme d’imprévision pourra être déclenché (par exemple : « au-delà de X% d’augmentation du coût de revient de la fourniture… ») afin d’éviter d’interminables et aléatoires débats en cas de contentieux.
13. Il serait donc plus intelligible, dans une logique d’intégration de l’imprévision, que l’un des contractants puisse saisir seul le juge aux fins de lui demander la révision (M. Latina, Blog Dalloz, sur la Réforme du droit des obligations). Cela semble en effet plus cohérent avec les pouvoirs attribués au juge en matière de clauses abusives.
14. Enfin, il faudrait veiller à ne pas consacrer un « droit à » résiliation unilatérale pour imprévision, sur le modèle de l’exception d’inexécution (Th. Genicon, « Théorie de l’imprévision… ou de l’imprévoyance ? », D. 2010, p. 2485), au risque d’aboutir sur une sorte de « prime au mauvais joueur », comme le craint l’Association française des juristes d’entreprise qui propose que « le juge puisse, à la demande d’une des parties, mettre fin au contrat et en déterminer la date et les conditions, y compris les modalités d’indemnisation de l’autre partie ».
15. En pratique, les contractants pourront utilement intégrer une clause, prévoyant un seuil de déclenchement et/ou les cas dans lesquels le mécanisme d’imprévision pourra être déclenché (par exemple : « au-delà de X% d’augmentation du coût de revient de la fourniture… ») afin d’éviter d’interminables et aléatoires débats en cas de contentieux.