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Transposition de la directive Paquet Marque : adoption de l’ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019 relative aux marques de produits ou de services

K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Laurent Badiane, Laetitia Basset, 5/12/2019

L’ordonnance n°2019-1169 du 13 novembre 2019 relative aux marques de produits ou de services (l’ « Ordonnance ») a été publiée au « Journal Officiel » le 14 novembre 2019. Cette Ordonnance, prise sur le fondement de l’article 201 de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises dite « Loi Pacte » transpose en droit interne la directive (UE) 2015/2436 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2015 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques.
L’Ordonnance devra être complétée d’un décret pris en Conseil d’Etat dont l’entrée en vigueur est prévue au plus tard le 15 décembre 2019.

L’Ordonnance modifie et instaure de nouvelles dispositions de deux ordres :

- Matériel : modification de l’article L.711-1 du Code de la Propriété Intellectuelle (le « CPI ») et allégement de l’obligation de représentation graphique des marques, multiplication des droits antérieurs invocables à l’appui d’une opposition à une demande de marque devant l’INPI, multiplication des motifs de refus d’une demande de marque par l’INPI etc. (I) ;

- Procédural : L’INPI devient compétent pour les actions en annulation et en déchéance et la procédure d’opposition est modifiée, avec, notamment, une multiplication des droits invocables au soutien d’une opposition (II).

Les dispositions de cette Ordonnance contribueront à renforcer la protection des titulaires de droits.

I- Les changements d’ordre matériel
- Suppression de l’exigence de représentation graphique – Au terme de l’article L.711- 1 du CPI dans sa version actuelle, pour être valablement enregistrée, la marque doit être susceptible de représentation graphique, exigence introduite en droit français par la loi du 4 janvier 1991 (1).

A cet égard, souvenons-nous du célèbre arrêt Sieckmann (2) dans lequel la Cour de Justice de l’Union Européenne avait considéré qu’une odeur balsamique fruitée avec une légère note de cannelle ne pouvait être considérée comme une marque olfactive et a encadré de façon exigeante les modes de représentation graphique : une représentation « qui soit claire, précise, complète par elle-même, facilement accessible, intelligible, durable et objective ».

L’Ordonnance met fin à cette l’exigence de représentation graphique.

Le nouvel article L.711-1 du CPI dispose que le signe « doit pouvoir être représenté dans le registre national des marques de manière à permettre à toute personne de déterminer précisément et clairement l’objet de la protection conférée à son titulaire ».

Cette suppression vise à permettre à des signes pour lesquels la représentation graphique est impossible d’être valablement enregistrés à titre de marque, comme les marques sonores et, dans une certaine mesure, les marques olfactives et gustatives.

- Suppression de la taxe de dépôt uniformisée de 1 à 3 classes de produits ou services – Au terme du régime actuel, la taxe de dépôt d’une marque auprès de l’INPI est de 210 € de 1 à 3 classes.

Les nouveaux tarifs seront déterminés par un arrêté ministériel applicables à compter de la date dudit arrêté (3).

L’objectif est de favoriser les dépôts « ciblés », c’est-à-dire, qui visent uniquement les produits et services destinés à être effectivement exploités sous la marque concernée. Une telle mesure pourrait être également de nature à faciliter la preuve de l’usage de la marque au terme du délai de cinq ans (5).

- Elargissement et renforcement des motifs de refus – L’Ordonnance modifie également les articles L.711-2 et L.711-3 du CPI qu’elle réunit en un seul article, à savoir l’article L.711-2 du CPI (4).

L’Ordonnance ajoute de nouveaux motifs de refus : dans sa nouvelle rédaction, l’article L.711-2 du CPI exclut les indications géographiques, les appellations d’origine et les marques consistant en la dénomination d’une variété végétale antérieure, les mentions traditionnelles pour les vins et les spécialités traditionnelles garanties et, enfin, les demandes effectuées de mauvaise foi par le déposant.

II- Les changements d’ordre procédural
- Modification de la procédure d’opposition – Tout d’abord, l’Ordonnance multiplie les droits invocables au soutien d’une opposition. Ainsi, au terme de l’article L.712-4 du CPI (5) dans sa version actuelle, une opposition devant l’INPI peut uniquement être formée par (i) le titulaire d’une demande de marque ou d’une marque enregistrée, (ii) le licencié exclusif, (iii) les collectivités territoriales sur la base d’une indication géographique ou (iv) un organisme de gestion d’une indication géographique.

Désormais, l’article L.712-4 du CPI dispose que : « Art. L. 712-4-1.- Peuvent former opposition sur le fondement d'un ou de plusieurs des droits mentionnés à l'article L. 712-4, sous réserve que ces droits appartiennent au même titulaire, les personnes suivantes :
« 1° Le titulaire d'une marque antérieure mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 712-4 ;
« 2° Le bénéficiaire d'un droit exclusif d'exploitation d'une marque antérieure enregistrée mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 712-4, sauf stipulation contraire du contrat ;
« 3° Toute personne morale agissant sur le fondement de sa dénomination ou de sa raison sociale mentionnée au 3° de l'article L. 712-4 ;
« 4° Le titulaire d'un nom de domaine mentionné au 4° de l'article L. 712-4 ;
« 5° Toute personne agissant au titre du 4° de l'article L. 712-4 sur le fondement du nom commercial sous lequel elle exerce son activité ou de l'enseigne désignant le lieu où s'exerce cette activité ;
« 6° Toute personne qui, agissant au titre du 5° de l'article L. 712-4, est autorisée à exercer les droits découlant de l'indication géographique concernée et notamment d'en assurer la gestion ou la défense ;
« 7° Une collectivité territoriale ou un établissement public de coopération intercommunale au titre du 5° de l'article L. 712-4 dès lors que l'indication géographique comporte leur dénomination, ou au titre du 6° du même article ;

« 8° Toute personne morale de droit public agissant au titre du 7° de l'article L. 712-4 sur le fondement du nom sous lequel cette personne, ou ses services, exerce son activité ;
« 9° Le titulaire de la marque déposée sans son autorisation au nom de son agent ou de son représentant, en application du III de l'article L. 711-3. »


L’Ordonnance assure donc une protection plus efficace aux titulaires de droits.

Ensuite, l’article L.712-5 du CPI, dans sa nouvelle rédaction, instaure une procédure contradictoire comprenant une phase d’instruction avant que le directeur de l’INPI ne statue. Les modalités d’exécution de la phase d’instruction seront précisées en décret pris en Conseil d’Etat.

Cet article sera applicable aux oppositions formées à l’encontre d’une demande d’enregistrement déposée à compter de l’entrée en vigueur de l’Ordonnance, c’est-à-dire à la date d’entrée en vigueur du décret pris pour application de l’Ordonnance et au plus tard le 15 décembre 2019.

- Instauration d’une procédure d’annulation et de déchéance administrative :

En droit français, l’article R.712-17 du CPI donnait compétence à l’INPI uniquement pour traiter les questions de déchéance pour défaut d’usage et dans les seuls cas où la demande était introduite en défense dans une procédure d’opposition par le titulaire d’une marque en cours d’enregistrement. Outre ce cas particulier, les demandes de déchéance ou de nullité de marques étaient traitées par les neuf (9) tribunaux de grande instance compétents en la matière.

Au terme de l’article L.716-1 du CPI, l’INPI aura compétence exclusive pour les actions formées à titre principal et pour des motifs de nullité absolue (conditions de fond/forme) ou pour des motifs de nullité relative relevant de l’existence des droits antérieurs suivants : marque, dénomination sociale ou raison sociale, indication géographique, nom de collectivité territoriale et nom d’organisme public.

En conséquence, les tribunaux resteront compétents pour les actions en nullité formées à titre reconventionnel ou à titre principal pour des motifs autres que ceux relevant de la compétence de l’INPI (noms commerciaux, noms de domaine et droit d’auteur).

Pour les actions en déchéance, l’INPI aura compétence exclusive pour toutes les actions formées à titre principal, les tribunaux restants compétents pour les demandes formées à titre reconventionnel.

Ces nouvelles dispositions ne s’appliqueront qu’à compter du 1er avril 2020.

L’ensemble de ces mesures, tant attendues, ont pour objectif de renforcer la protection des titulaires de droits tout en minimisant les coûts afférents à la protection des marques, et notamment les coûts de procédure. Cette réforme pourrait également, dans une certaine mesure, « assainir » le registre des marques.

(1) L.711-1 du CPI : « La marque de fabrique, de commerce ou de service est un signe susceptible de représentation graphique servant à distinguer les produits ou services d'une personne physique ou morale ».
(2) CJCE 12 décembre 2002, Affaire C-273/00 ;
(3) https://www.inpi.fr/fr/nationales/loi-pacte-l-inpi-pret-pour-l-entree-en-vigueur-des-premieres-mesures-en-matiere-de-marques
(4) Nouvelle version de l’article L.711-2 du CPI : « La marque de produits ou de services est un signe servant à distinguer les produits ou services d'une personne physique ou morale de ceux d'autres personnes physiques ou morales.
« Ce signe doit pouvoir être représenté dans le registre national des marques de manière à permettre à toute personne de déterminer précisément et clairement l'objet de la protection conférée à son titulaire ».

« Art. L. 711-2.-Ne peuvent être valablement enregistrés et, s'ils sont enregistrés, sont susceptibles d'être déclaré nuls :
« 1° Un signe qui ne peut constituer une marque au sens de l'article L. 711-1 ;
« 2° Une marque dépourvue de caractère distinctif ;
« 3° Une marque composée exclusivement d'éléments ou d'indications pouvant servir à désigner, dans le commerce, une caractéristique du produit ou du service, et notamment l'espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique, l'époque de la production du bien ou de la prestation du service ;
« 4° Une marque composée exclusivement d'éléments ou d'indications devenus usuels dans le langage courant ou dans les habitudes loyales et constantes du commerce ;
« 5° Un signe constitué exclusivement par la forme ou une autre caractéristique du produit imposée par la nature même de ce produit, nécessaire à l'obtention d'un résultat technique ou qui confère à ce produit une valeur substantielle ;
« 6° Une marque exclue de l'enregistrement en application de l'article 6 ter de la convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle à défaut d'autorisation des autorités compétentes ;
« 7° Une marque contraire à l'ordre public ou dont l'usage est légalement interdit ;
« 8° Une marque de nature à tromper le public, notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou du service ;
« 9° Une marque exclue de l'enregistrement en vertu de la législation nationale, du droit de l'Union européenne ou d'accords internationaux auxquels la France ou l'Union sont parties, qui prévoient la protection des appellations d'origine et des indications géographiques, des mentions traditionnelles pour les vins et des spécialités traditionnelles garanties ;
« 10° Une marque consistant en la dénomination d'une variété végétale antérieure, enregistrée conformément au livre VI du présent code, au droit de l'Union européenne ou aux accords internationaux auxquels la France ou l'Union sont parties, qui prévoient la protection des obtentions végétales, ou la reproduisant dans ses éléments essentiels, et qui porte sur des variétés végétales de la même espèce ou d'une espèce étroitement liée ;
« 11° Une marque dont le dépôt a été effectué de mauvaise foi par le demandeur.
« Dans les cas prévus aux 2°, 3° et 4°, le caractère distinctif d'une marque peut être acquis à la suite de l'usage qui en a été fait ».

(5) Article L.712-4 du CPI : « Pendant le délai mentionné à l'article L. 712-3, opposition à la demande d'enregistrement peut être faite auprès du directeur de l'Institut national de la propriété industrielle par :
1° Le propriétaire d'une marque enregistrée ou déposée antérieurement ou bénéficiant d'une date de priorité antérieure, ou le propriétaire d'une marque antérieure notoirement connue ;
1° bis Le directeur de l'Institut national de l'origine et de la qualité, dès lors qu'il y a un risque d'atteinte au nom, à l'image, à la réputation ou à la notoriété d'une appellation d'origine ou d'une indication géographique mentionnées aux articles L. 641-5, L. 641-10, L. 641-11 et L. 641-11-1 du code rural et de la pêche maritime ;
2° Le bénéficiaire d'un droit exclusif d'exploitation, sauf stipulation contraire du contrat ;
3° Une collectivité territoriale au titre du h de l'article L. 711-4 ou au titre d'une atteinte à une indication géographique définie à l'article L. 721-2, dès lors que cette indication comporte le nom de la collectivité concernée ;
4° Un organisme de défense et de gestion mentionné à l'article L. 721-4 dont une indication géographique a été homologuée en application de l'article L. 721-3 ou dont la demande d'homologation est en cours d'instruction par l'institut.
L'opposition est réputée rejetée s'il n'est pas statué dans un délai de six mois suivant l'expiration du délai prévu à l'article L. 712-3.
Toutefois, ce délai peut être suspendu :
a) Lorsque l'opposition est fondée sur une demande d'enregistrement de marque ou sur une demande d'homologation d'indication géographique ;
b) En cas de demande en nullité, en déchéance ou en revendication de propriété, de la marque sur laquelle est fondée l'opposition ;
c) Sur demande conjointe des parties, pendant une durée de trois mois renouvelables une fois ».



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