Arafat : La procédure qui peut tout changer
Actualités du droit - Gilles Devers, 8/11/2013
Arafat a-t-il été empoisonné ? Si oui, par quelle substance ? Si oui, par qui ? Si oui, avec quels commanditaires, quels complices et quels exécutants ? Les questions de fond sont redoutables mais le vrai enjeu résulte de la procédure.
Le décès en 2004
Arafat est décédé à l’hôpital d’instruction des armées Percy, à Clamart, le 11 novembre 2004. Depuis la mi-octobre, il souffrait de troubles digestifs, justifiant des soins à Ramallah puis un transfert urgent en France, via la Jordanie. En vain : les médecins français ont été impuissants pour traiter cette maladie, et même pour la qualifier. A ce jour encore, nous n’avons que des doutes et des questions, car l’épouse s’était opposée à l’autopsie.
La plainte en 2013
En 2013, l’épouse a changé de point de vue, et elle a déposé plainte pour empoisonnement, plainte recevable car enregistrée dans le délai des dix ans de la prescription des crimes. Une plainte pour crime avec constitution de partie civile conduit de facto à l’ouverture d’une instruction, et oblige le juge d’instruction à faire toutes diligences pour la recherche de la vérité.
De fait, une instruction judiciaire a été ouverte au TGI de Nanterre, compétent par le lieu du décès, et les juges d’instruction ont ordonné des expertises, ce qui est la pratique dans ce genre d’affaires. Pour vérifier que tout se passait bien, ils se sont même rendus à Ramallah pour l’exhumation du corps. C’est donc du sérieux.
Les expertises
Depuis quelques jours, la presse publie des infos sur un rapport effectué par une équipe suisse, contredisant les infos sur un rapport russe, antérieur de quelques mois. Les « experts » divers et variés se précipitent dans les médias, sans que l’on sache très bien qui parle en ayant été mandaté par les juges, et qui parle parce qu’il a trouvé un micro charitable...
Le plus grand doute
A ce stade, aucune information sur le fond n’est fiable, et les manips sont au max. Je me garde bien de tout commentaire. Si on voulait une procédure sérieuse, il fallait déposer la plainte pénale juste après le décès, faire pratiquer une autopsie, saisir le dossier, entendre tous les professionnels de santé, et ordonner une expertise complète confiée à deux collèges d’experts chevronnés. Rien n’a été fait.
Les réactions du côté palestinien
Toutes les réactions palestiniennes accréditent l’hypothèse de l’empoisonnement, ce qui ne peut laisser les juges indifférents.
L’épouse a bondi, manifestant sa volonté de savoir la vérité, sur l’air « je vous l’avais bien dit… ».
L’OLP est sur la même ligne ou presque. Selon une dépêche de l’AFP, Wassel Abou Youssef, porte-parole du Fatah et membre du Comité exécutif de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), a appelé à la formation d'une « commission d'enquête internationale sur le meurtre du président Arafat ».
Alors, ça va chauffer ?
Nous verrons, et rien n’est moins sûr car les expertises semblent aussi faibles que contradictoires. Et sans autopsie ni audition des témoins de l’époque, on fonce dans le brouillard.
De plus, admettons que l’empoisonnement soit prouvé, il faudrait encore l’imputer à des auteurs… Et sur la base de quelle enquête et de quelles preuves ?
Mais…
Oui, « mais », car il y a un « mais » d’importance.
Avant de classer l’affaire par un non-lieu, les juges de Nanterre seront nécessairement interpelés par la réaction de l’OLP, estimant que les faits sont graves au point de demander une « commission internationale » pour « meurtre ». Il serait donc logique qu’ils cherchent à entendre, comme témoins ceux qui étaient des collaborateurs de Yasser Arafat à l’époque. Pas pour accuser, mais pour savoir.
Mahmoud Abbas était un proche collaborateur de Yasser Arafat, et son audition serait logique. C’est là que tout va se compliquer,… ou au contraire se simplifier.
L’immunité des chefs d’Etat
Un chef d’Etat bénéficie de l’immunité de juridiction, et il ne peut être entendu par un juge, et surtout pas par un juge d’un Etat étranger.
Alors, si les juges de Nanterre convoquent Mahmoud Abbas, que se passe-t-il ?
Si la convocation est délivrée…
En droit, les juges de Nanterre peuvent convoquer Mahmoud Abbas comme témoin, car la France n’a pas reconnu l’Etat de Palestine (ce qui est lamentable).
Mais force est de constater que Mahmoud Abbas n’a pas fait grand-chose, depuis le vote de l’Assemblée générale de l’ONU reconnaissant la Palestine comme « Etat observateur non membre » pour imposer la souveraineté palestinienne, notamment en revendiquant le libre usage des eaux territoriales à Gaza ou en multipliant les signatures de traités internationaux. C’est un constat.
Aussi, une convocation comme témoin, selon le droit français, serait légale, et logique au regard de l’avancement de la procédure et des déclarations de l’OLP.
… ce serait un tremblement de terre
Si Mahmoud Abbas obtempérait à une telle convocation, il signerait que la Palestine n’est pas un Etat, et il se soumettrait au Code de procédure pénale,... et aux pouvoirs des juges. Cela parait injouable, alors que 127 Etats ont reconnu la Palestine comme Etat…
La seule attitude serait de refuser de répondre à la convocation, et pour éviter la délivrance d’un mandat d’amener, la seule solution serait de revendiquer – enfin – la qualité de chef d’Etat.
Les juges et l’Etat français devraient alors prendre position. Mais quels arguments auraient-ils pour dénier la réalité d’un Etat Palestinien de plein exercice, fondé sur la souveraineté inaliénable du peuple palestinien ?
Ce serait une entrée par la petite porte, mais la seule chose qui compte est d’être entré, alors que le peuple palestinien attend depuis si longtemps.