Taubira - Minute : Pas si simple…
Actualités du droit - Gilles Devers, 13/11/2013
Et nous voilà obligés de nous intéresser à l’hebdo Minute… Ce soir, c’est la curie, et c’est rarement bon signe… Alors ?
La Une de Minute pue…
Oui, mais c’est Minute…. Ce journal n’est pas tombé de la dernière pluie, et il a évidemment ajusté sa Une avec les conseils d’un avocat rompu à ce si particulier droit de la presse, pour arriver à un risque réel, mais faible. Le journal Minute a fait un bilan avantages/inconvénients et fonce. Avec toute cette agitation, ce vieux papy d’extrême droite se paie la petite érection dont il rêvait. C’est touchant…
Taubira a dit ne vouloir rien faire…
C’est un point de vue bien compréhensible. Attaquer celui qui vous attaque a pour effet réflexe de lui donner de l’importance. On hésite toujours entre le procès et la chasse d’eau. Les deux sont efficaces.
Mais Ayrault a saisi le procureur…
Pour comprendre cette affaire, il faut se rappeler que toutes les problématiques liées à des publications racistes ou xénophobes passent par la loi sur la presse. On ne peut pas raisonner simplement comme « voilà ce que j’en pense ». Il faut poser la question « que permet la loi sur la presse ? »
L’action d’office du Parquet est-elle possible ?
On va bientôt le savoir, mais il faut trancher une question très sérieuse.
S’agissant d’un membre du gouvernement, joue l’article 48-1° bis : « Dans les cas d'injure et de diffamation envers un membre du Gouvernement, la poursuite aura lieu sur sa demande adressée au ministre de la justice ». Donc, seule la personne concernée peut prendre l’initiative de la plainte.
Ensuite, on trouve dans le même article 48, le 6° ainsi rédigé : « 6° Dans le cas de diffamation envers les particuliers prévu par l'article 32 et dans le cas d'injure prévu par l'article 33, paragraphe 2, la poursuite n'aura lieu que sur la plainte de la personne diffamée ou injuriée. Toutefois, la poursuite, pourra être exercée d'office par le ministère public lorsque la diffamation ou l'injure aura été commise envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ».
Ainsi, quand un particulier est victime d’une injure ou d’une diffamation, et qu’il ne veut pas agir, l’affaire en reste là. Si l’injure ou la diffamation qui vise ce particulier a un caractère xénophobe, le Parquet peut agir d’office, au motif que toute la société est atteinte par le racisme.
Est-ce que ce pouvoir du Parquet joue pour un membre du gouvernement ? A la lecture du texte, ça ne me parait pas évident, car le rôle d’office du Parquet concerne le 6° pour les particuliers, et on ne retrouve pas au 1° bis la même disposition pour les membres du gouvernement. Bref, si un ministre fait l’objet d’une injure ou d’une diffamation raciale et qu’il refuse de porter plainte, le Parquet peut-il agir d’office ? Seuls les spécialistes du droit de la presse peuvent répondre. Peut-être existe-t-il une jurisprudence sur ce point, mais c’est loin d’être évident, car le cas – attaque xénophobe contre un ministre qui refuse de porter plainte – ne sont pas si fréquent.
Alors cette plainte d’Ayrault ?
C’est surtout de la com’. Ayrault utilise l’article 40 alinéa 2 du Code de procédure pénale : « Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ». Ce n’est pas une plainte mais une dénonciation de faits, qui ne change pas grand-chose, car le procureur de Paris n’a pas attendu le fax d’Ayrault pour savoir que Minute avait sorti sa Une pourave. C’est une forme d’appel solennel, mais ça n’engage pas l’action en justice.
Alors ?
C’est au Parquet d’estimer la suite qu’il convient de donner, par un examen d’opportunité prévu à l’article 40-1… ce sous réserve que le Parquet puisse agir d’office, sans la plainte de la ministre. Le Parquet a sûrement de bonnes interprétations de la loi sous le coude, et on sera bientôt fixé.
Admettons que l’action d’office du Parquet soit possible… Doit-il l’utiliser ?
S’agissant d’une attaque qui touche tant à l’intimité, et avec un procès qui aurait beaucoup d’impacts politiques, il ne me parait pas bien bon qu’un ministre, haut représentant de l’Etat, et qui plus est Garde des Sceaux, puisse se faire forcer la main, en se retrouvant engagé dans un procès sans le vouloir.
Après une attaque aussi vicieuse, et dans la mauvaise ambiance du moment, un petit temps de réflexion ne serait peut-être pas de trop. Car le problème n’est pas Minute, mais le racisme, sous toutes ses formes.
SOS Racisme avait annoncé dans l’après-midi l’engagement d’une procédure…
Sans plainte personnelle de Taubira, l’association ne peut pas enclencher les poursuites. Quelle précipitation…
Injure raciale ?
Il y a beaucoup de ruse dans cette Une, avec trois éléments qui, pris isolément, ne sont pas problématiques. La photo de Taubira n’est pas flatteuse, mais elle est correcte, et les deux phrases « maligne comme un singe » et « Taubira retrouve la banane» ne sont pas xénophobes en elles-mêmes. Pour entrer dans la condamnation, il faut associer les trois éléments et les interpréter dans le contexte de l'actualité générale. Un tribunal peut le faire, en retenant que Minute sait très bien pourquoi il fait ce montage aujourd’hui, mais la défense de Minute ne serait pas sans argument, sur le terrain de l’humour de provocateur et mauvais goût. Minute se régalerait à mettre en avant le niveau de tolérance admis pour d’autres hebdos…
Le ministre de l’intérieur envisage l’interdiction à la vente…
C’est hors de propos, car le ministre de l’Intérieur n’a aucune compétence en la matière. C’est pour lui une occasion de faire oublier la plainte très solide déposée contre lui par le MRAP hier matin, pour incitation à la haine raciale à l’encontre des Roms.
Les interdictions de diffusion sont exceptionnelles, car il faut se situer dans le registre du dommage non réparable. Mais surtout, seule la personne concernée peut agir, et par la voie civile du référé (Code de procédure civile, art. 808 et 809).