Le « Djihad » va me tuer !
Planète Juridique - admin, 29/09/2014
En août dernier, nous apprenions par la presse l’arrestation à Tarbes et à Vénissieux de deux adolescentes âgées de 14 et 17 ans, leur mise en examen pour «association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste» et leur placement sous contrôle judicaire, en fait dans un centre éducatif fermé.
Non seulement ces jeunes filles s’étaient mises en danger, mais en plus, par leur connexion aux réseaux sociaux, elles avaient recruté une jeune de 14 ans qui se serait mystérieusement rendue en Syrie pour y faire le «Djihad» (terme impropre pour justifier la guerre dans la doctrine coranique).
L’inculpation de participation à une «entreprise terroriste» était-elle bien adaptée à ce coup de folie ? Le transfert de ces jeunes filles, dont l’une n’a que 14 ans, à la division anti-terroriste de Paris était-il vraiment judicieux ? Ne faudrait-il pas réserver cette qualification aux gens dangereux, au risque de la banaliser… et de la voir appliquer à des engagements quelque peu inconscients ?
Dans un communiqué, la Ligue des droits de l’Homme s’inquiétait : ««La Convention Internationale des Droits de l’Enfant, ratifiée par la France, a été complètement bafouée et réduite à néant avec ces deux interpellations de mineurs et leur garde à vue de 48h !».
De fait la Convention des droits de l’enfant de l’ONU en ses article 37 et 40, ou les lignes directrices pour une justice adaptée aux enfants du Conseil de l’Europe, ces instruments appellent à la bienveillance de la justice à l’égard des jeunes auteurs d’infraction et à prendre toute mesure favorisant leur réinsertion sociale.
Mais le protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant, concernant l'implication d'enfants dans les conflits armés, ratifié par la France, prévoit d’ailleurs que États Parties doivent tout faire pour empêcher l'enrôlement et l'utilisation de personnes en dessous de 18 ans dans les armées et les groupes armés. Mais on ne chasse pas le lapin avec un bazooka…
Ceux qui s’enfoncent dans ce délit, ce délire - qu’ils ne savent pas encore meurtrier - à l’insu de leurs parents cherchent peut être à se faire souffrir pour un idéal fantasmé, ou faire souffrir celui ou celle à qui on annoncera un jour «ton fils/ta fille est parti(e) à la guerre…». On retombe dans un roman que l’on croyait oublié et qui a tant parcouru les siècles qui ont précédé.
Sans doute n’ont-ils pas vu les signes annonciateurs, parfois si peu perceptibles à cet âge de maturation de l’enfant, faute de communiquer, d’avoir ressenti les douleurs et les ruptures de l’adolescence, et s’en voudront-ils toujours que l’idée ne les ait pas effleuré, tant il sort de notre imagination que le rejeton puisse se passionner pour un conflit aussi mortifère.
L’inquiétude des autorités est légitime. Elle ne fait que relayer celle de parents, dont certains sont abasourdis par la décision inattendue de leur enfant et paniqués à l’idée de ce qui se passe au Proche Orient. On dénombre quelques jeunes, mineurs d’âge, parmi ceux qui se sont engagés dans l’action des combattants en Syrie, certains étant embrigadés dans les groupes les plus dangereux, responsables des actes les plus infâmes. Qui n’a vu cette image tweetée par son père, fier de son petit de sept ans tenant la tête d’un soldat décapité ?
Si l’on a raison de tout faire pour empêcher nos citoyens de rejoindre ces bandes de fous sanguinaires, les efforts doivent encore être redoublés pour retenir des enfants qui veulent s’y associer. Et l’appel de familles angoissées à l’annonce du départ d’enfants, dont on a perdu la trace en Turquie fait frémir.
Une question se pose : comment ont-ils pu sortir de France aussi facilement, ou du moins de l’espace Schengen - qui regroupe les pays voisins sauf le Royaume uni - pour se rendre dans un pays tiers - la Turquie - sans être contrôlés… et retenus par les polices aux frontières ?
Certes, nos enfants, même mineurs, voyagent seuls, à l’occasion des vacances. Ils y gagnent en autonomie, ils y apprennent l’esprit d’initiative. Néanmoins, l’autorité que les parents exercent sur eux, de par la loi civile, les soumet à leur autorisation pour entreprendre un périple; la sortie du territoire n’est pas un acte usuel comme un autre.
Que l’on songe que pour se rendre en Angleterre en embarquant sur l’Eurostar, le mineur ne pénètre pas dans le train s’il n’est pas muni d’un formulaire valant autorisation parentale Alors, comment quelques-uns ont-ils pu pénétrer en Syrie en s’y rendant via la Turquie ?
L'autorisation de sortie de territoire (AST) qui était exigée pour un enfant voyageant à l'étranger, seul ou non accompagné par ses parents, et muni d’une seule carte d’identité est supprimée depuis 2013 (circulaire du 20 novembre 2012 du ministère de l’intérieur). (1) Était-ce bien le moment pour le faire ? Au minimum on peut relever que, qu’elles qu’aient été leurs intentions louables à l’égard des enfants pour faciliter leur mobilité, les pouvoirs publics n’ont pas eu la vision anticipatrice de l’histoire qu’on peut attendre d’eux. Ils vont devoir corriger leur copie.
En effet, les règles de Schengen, prévoient «dans le cas de mineurs qui voyagent non accompagnés, les garde-frontières s’assurent, par une vérification approfondie des documents de voyage et des autres documents, que les mineurs ne quittent pas le territoire contre la volonté de la ou des personne(s) investie(s) de l’autorité parentale à leur égard».
Pour la France, il ne subsiste plus que deux règles particulières de précaution qui ne peuvent prévenir les départs inopinés et inattendus :
- celles prises au contentieux par le juge aux affaires familiales d’»ordonner l'interdiction de sortie de l'enfant du territoire français sans l'autorisation des deux parents» (art. 373-2-6 du Code civil).On voit bien que cette voie ne peut qu’être exceptionnellement pertinente pour ces jeunes happés par le « Djihad ».
- de son coté, le juge des enfants, et pourquoi pas le procureur de la République en cas d’urgence et d’indisponibilité du juge, lorsqu’il prend une mesure d’assistance éducative, peut assortir sa décision d’une interdiction de sortie du territoire de l’enfant pour une durée de deux ans (art. 375-7 du Code civil). Dès lors des parents inquiets pourraient saisir le juge des enfants. On observera ici que dans les cas connus les parents n’ont rien vu venir : ils ont été lis devant le fait accomplis, à savoir le départ de leur enfants du domicile familial, d’ou leur impossibilité de saisir préalablement le juge des enfants. (2)
Les départs vers le «Djihad» inquiètent tous les pays de l’Union européenne, celui des enfants relève du scandale. Au risque de compliquer les voyages de nos enfants, ne conviendrait-il pas que les pays «Schengen» (3) renforcent le contrôle des frontières de leur espace aux mineurs d’âge ? Militer pour les droits des enfants ne veut pas dire démissionner de nos responsabilités d’adultes et les laisser se mettre en danger.
D’autres pays voisins, comme la Belgique, exigent toujours que l’enfant voyageant à l’étranger sans ses parents soit porteur d’une telle autorisation.
Ne conviendrait-il pas que le ministère de l’intérieur rétablisse provisoirement l’autorisation de sortie du territoire pour tous les enfants ? Les quelques situations dramatiques ne valent-elles pas que l’on impose quelques complications administratives ?
Restera bien sûr à s'interroger plus avant sur les causes profondes de la démarche de ces jeunes tentés par cette "aventure". On peut mettre en cause l'offre. Cette réponse qui offre l'avantage de mettre en exergue des responsabilités extérieures serait courte; il faut aussi s'interroger sur pourquoi elle intéresse. On peut voir une nouvelle fois l'illustration du nihilisme qui caractérise une partie , une faible partie peut être, mais réelle de la jeunesse de nos pays qui se pense sans avenir et sans espoir.
avec Jean-Luc Rongé, directeur du Journal du droit des Jeunes (www.droitdesjeunes.com) dans lequel vous pourrez prendre connaissance, chaque mois, d’autres informations et analyses.
- Le passeport vaut autorisation de sortie de territoire
- Il est essentiel d’observer que le juge des enfants n’est compétent que pour les enfants présents sur le territoire national. Dès lors qu’ils l’auraient quittés il ne peut plus intervenir … jusqu’à leur retour.
- Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Islande, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Malte, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République tchèque, Slovénie, Slovaquie, Suède, Suisse.