Droits des enfants : un changement de cap positif assumé (586)
Planète Juridique - admin, 9/11/2014
A la veille du 25 anniversaire de l'adoption de la Convention des internationale relative aux droits de l’enfant (CIDE) la France s’apprête donc à signer, puis à ratifier, son Troisième protocole additionnel [1] adopté le 11 décembre 2011 par l’ONU qui ouvre des recours devant le Comité des droits des enfants. Admettons qu’il n’y pas de quoi galvaniser les foules, ni même les intéresser. Dépassera-t-on les trois lignes dans Le Monde rubrique Société ? Pourtant on aurait tort de négliger l’événement.
Force est de constater que malgré les interventions développées par le réseau associatif et le Défenseur des droits sur les autorités publiques avant et après le 12 mai 2012, en faveur ce geste politique, la France n’avait pas toujours pas répondu présente. Rien de surprenant de la part du président Sarkozy qui refusait, en violation de la loi, de recevoir chaque 20 novembre date anniversaire de la CIDE, journée des droits de l'enfant, le rapport du Défenseur des enfants. Plus déroutant de la part des pouvoirs publics actuels qui estimaient jusqu’à peu que ce texte était insuffisant et ne faisait pas l’unanimité ! En vérité il les inquiétait par ses enjeux.
Nous appelions encore à cette ratification dans notre rapport « De nouveaux droits pour les enfants ? Oui, dans l’intérêt des adules et de la société » remis, à sa demande, en janvier 2014, à Mme Bertinotti ministre de la famille. Nous tenions cette décision comme un préalable indispensable à une réelle évolution du statut des enfants dans notre pays.[2]
On se réjouira donc de voir Mme Laurence Rossignol, actuelle secrétaire d'Etat à la famille, se rendre à New York pour apposer la signature du gouvernement français sur ce texte après avoir singulièrement œuvré pour obtenir cette avancée
Certes on regrettera certes pour le crédit de notre pays que la France patrie autoproclamée des droits de l’homme n’ait donc pas été dans les dix premiers Etats à signer et à ratifier ce protocole lui permettant ainsi d’entrer en application. La 10° ratification a donc été acquise le 14 janvier 2014 grâce … au Costa-Rica. Le protocole est donc entré en application le 14 avril 2014. C’est ce que l’on retiendra.
Micro événement dira-t-on que la signature à New York de ce traité. De fait il est des sujets bien plus prégnants et préoccupants au quotidien pour nos concitoyens.
Reste que les mêmes sont toujours prêts à s’enflammer, sinon s’indigner - parfois d’une manière sélective - contre de mauvaises coups portés aux plus fragiles.
Reste aussi que dans une période difficile sur le plan économique qui conduit aux recroquevillements sur soi nous ne devons pas céder sur nos valeurs, sur ce qui donne aussi du sens à la vie individuelle et/ou collective. Or, indéniablement la CIDE constitue une avancée planétaire pour les droits de l’homme. La mondialisation n’est pas qu’économique, mais culturelle et politique.
Sur les droits humains en général, pour reprendre l’expression non sexiste nord-américaine à préférer à droits de l’homme, nous ne disposons pas de l’équivalent. Les Pactes internationaux de l’ONU relatif l’un aux droits économiques, sociaux et culturels, l’autre aux droits civils et politiques ne forment pas un tout cohérent offrant un projet – démocratique - de société avec une dynamique propre et la force juridique et politique liée à cette cohérence. La CIDE trace la route à suivre. Il faudra en arriver demain à un seul texte contraignant pour les Etats sur les droits humains, adultes comme enfants. Devant la mauvaise conscience universelle à l’égard du sort fait aux enfants du monde, les droits des enfants auront service de Cheval de Troie.
Bien évidemment, par son approche même, la CIDE est dans tous les sens du terme remarquable. Déjà et enfin, l’enfant n’est plus considéré comme un objet fragile qu’il faut protéger contre autrui, voire contre lui-même. Tenu pour une personne il doit déjà être respecté dans son intégrité physique et psychique. Et l’on sait que même dans un pays comme la France il y a encore beaucoup à faire pour garantir ce droit quand encore trop d’enfants sont maltraités ou violentés, quand tout simplement, nous nous avérons incapables à condamner la violence comme méthode éducative en ratifiant le programme du Conseil de l’Europe condamnant les châtiments corporels alors que 27 Etats du Conseil de l‘Europe l’ont déjà fait. Mais avec la CIDE, plus qu’objet de protection, l’enfant est aussi identifié comme un être humain et spécialement comme ayant une sensibilité, des affects, une âme, une pensée, des sentiments, des convictions, une volonté, d’où l’importance des articles 12 à 15 qui font le cœur novateur de ce traité.
Selon son développement et sa maturité l’enfant peut donc désormais être acteur de sa vie et des décisions qui le concernent. Bien sûr, cette capacité de faire et d’entreprendre dépendra de la nature des faits et il ne s’agit pas de nier que les parents aient des responsabilités pour former, accompagner, assister, soutenir, relever leur enfant dans l‘exercice de leurs droits. C’est le bébé qui appelle l’attention de ses parents car son biberon est trop chaud, qui à 12 ans manifeste contre la mal-bouffe de l’école ou, à 17 ans, descend dans la rue quand il est inquiet de son avenir.
Comme nous l'écrivions en 1989 la CIDE est tournée vers le XXI° siècle en reconnaissant l’enfant comme sujet de droit, et non plus comme objet de protection. Cette idée est centrale pour évaluer l’impact historique de la CIDE.
Un sujet doit donc disposer des droits propres à la condition humaine
Tous les pays de la planète sont peu ou prou concernés. Constatons que nous sommes loin en France d’avoir reconnu à l’enfant la capacité de faire à la hauteur de sa personnalité. On peut le tenir pour délinquant à 7-8 ans et le punir comme un majeur à partir de 16 ans, y compris par la réclusion criminelle à perpétuité (conf. la décision historique de la cour d’assises d’appel de Riom le 30 septembre 2014), mais il ne peut toujours pas demander son émancipation. Il est grand temps de lui reconnaître une capacité juridique à la hauteur de ses responsabilités civile et pénale.
Reste, à réunir les conditions pour ce que ces droits théoriques se concrétisent. Trois pistes sont offertes toutes bonnes à suivre.
1) Parfois il faut adapter la loi. On l’a fait (ex. en complétant l’article 371 du code civil dans la loi du 4 mars 2002 qui incite les parents à recueillir son avis sur les décisions le concernant). Il faudra encore le faire (par ex. passer de l’autorité parentale la responsabilité parentale, identifier les adultes en charge de responsabilités sur les enfants, reconnaître le droit d’association des enfants). [3]
3) Il faut aussi être pro-actif en créant un climat favorable à la reconnaissance concrète de la citoyenneté active des enfants. Déjà en ne considérant plus les enfants comme source de tous les dangers. Sans pour autant succomber dans l’angélisme : un enfant peut aussi se tromper pour lui et pour les autres ; certains mineurs peuvent être dangereux. Ne tombons pas dans le mythe de la parole jeune. Pour autant, soyons pour, et pas contre !
3) Mais symboliquement l’essentiel est ailleurs : un vrai droit est bien celui qui peut se consacrer en justice. Sinon il s’agit d’une pétition de principe
C’était un axe majeur des 120 propositions de notre rapport que de reconnaitre aux enfants la possibilité de faire consacrer leurs droits en justice si, au quotidien, les adultes qui les environnent ou la société en général, les dénient.
L’accès au droit est le premier des droits : le droit d’être informés sur ses droits et le droit d’être entendu, mais encore le droit de saisir un juge sans nécessaire être en danger comme c’est la loi aujourd’hui. Il faut donc permettre aux enfants qui estiment leurs droits violés de saisir une juridiction, d’abord nationale et à défaut d’obtenir satisfaction internationale comme va le permettre le Troisième protocole additionnel au traité de 1989 qui en vérité est très exigeant pour les Etats malgré les compromis, là encore acceptés, pour qu’il franchisse le cap de l’approbation politique. On comprend que nombre de pays hésitent à le ratifier.
1 - Le protocole ouvre droit aux plaintes individuelles d’enfants et de leurs représentants devant le Comité des droits de l’enfant.
2 - et organisme pourra désormais se saisir directement de violations des droits de l’enfant.
Enfin, et j’ajouterai surtout, les Etats pourront porter plainte devant le Comité pour des violations commises par un Etat-membre. En vérité c‘est sans doute ce risque politique qui retenait la France.
Le saut qualitatif est donc majeur dans le mécanisme de contrôle du respect des droits de l’enfant sur la planète qui à terme permettra une réelle prise en compte des droits de l’enfant.
L’esprit de 1990, quand le président Mitterrand poussait à la ratification sans réserve de la CIDE même si cela pouvait s’avérer difficile, doit être retrouvé. La France n’a pas plus de complexes ou de craintes à avoir aujourd’hui. Comment reconnaître des recours internes aux enfants en les privant de ce dispositif international de plainte ? Et réciproquement.
Ces dispositions enrichissent sensiblement le dispositif acquis en 1989 au moment où la prudence dominait devant l’incertitude de voir jamais la CIDE exister juridiquement. Une nouvelle dynamique va en résulter.
On l’aura compris l’adhésion de la France au Troisième protocole additionnel est donc bien doublement symbolique.
Symbolique car ce texte ne débouchera pas sur des recours à tous propos à Genève, mais il vient dire qu’il n’est pas de droits qui ne soient pas consacrés par un recours. Quand sur un sujet majeur comme l’accès aux origines un jeune français saisira l’ONU on peut parier qu’il y aura en France une chambre d’amplification du problème posé. Cette interpellation politique fera progresser la reconnaissance concrète des droits des personnes en France dans un registre différent mais complémentaire des décisions de la Cour Européenne de justice qui incite directement les Etats à modifier leur droit interne.
Symbolique surtout car la décision de ratifier inverse la logique qui prévalait depuis une dizaine d’années : elle remet le cap sur la primauté des droits dont découle ensuite des devoirs quand on nous bassinait que des devoirs respectés découlaient éventuellement des droits. C‘est une option politique majeure qui est concrétisée le gouvernement Valls.
Mme Bertinotti en nous confiant la réflexion sur « De nouveaux droits pour les enfants « avait déjà pressenti que le statut de l’enfant devait être la colonne vertébrale de la reflexion sur les formes de vie familiales. Mieux, la ministre avait compris combien ce statuait lui-même devait être en phase avec le statut fait aux enfants dans la société. On sait que qu’il est devenu formellement de cette démarche après que le projet de projet de loi famille ait volé en éclat avant même d’être rédigé à la suite de manifestations dont le slogan majeur était … de garantir les droits des enfants.
Mme Rossignol a réussi à franchir le pas. A l’occasion du débat politique autour de la mise à plat du dispositif de protection de l’enfance qui s’engage à l’initiative la ministre Mme Rossignol il fallait de rappeler que la première ligne de protection de l’enfance est de le reconnaitre dans ses droits[4], spécialement dans sa parole. On croisera dans la consultation qui s’engage la question des violences à enfants et donc celle des châtiments corporels, celles des responsabilités croisées sur l’enfant, de la pré majorité ou encore du statut des jeunes majeurs,
Avec ce geste politique qui vient d’être décidé par le gouvernement le chantier « droits des enfants « peut s’ouvrir à nouveau et plus que plus que jamais si l’on veut bien y réfléchir … dans l’intérêt des adultes et de la société.
Bref, cette décision vaut plus que trois lignes ….
[1] Les deux premiers protocoles additionnels touchent l’un à l’engagement de l’enfant dans les conflits armés ; l’autre à l’exploitation sexuelle des enfants. Ils ont été ratifiés par la France.
[2] Téléchargeable sur www.rosencczveig.com
[3] Question aussi sotte que grenue : quel est l’avenir du texte adopté le 27 juin 2014 sur l’autorité parentale après l’explosion au décollage de la loi famille ? Ce texte est largement perfectible sur le statut du tiers véritable usine à gaz technocratique mais contient des avancées comme la réécriture du vieux 371 du code civil « A tout âge l’enfant doit honneur et respect à ses parents « .
[4] Comme l’affirmait l’ex-bâtonnier de Lyon Paul Boucher en 1989, devenu conseiller d’Etat dans son rapport au conseil d’Etat sur l’état des droits des enfants