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L’erreur dans l’établissement de la liste des salariés à transférer au titre de l’article L. 1224-1 du code du travail peut coûter cher au nouveau délégataire de service public

K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Weena Laigle, Benjamin Touzanne, 11/07/2013

Dans le cadre des procédures de passation de délégation de service public, qui du délégataire sortant ou du délégataire entrant doit supporter les conséquences financières du licenciement d’un salarié dont le nom ne figurait pas sur la liste du personnel à reprendre établie par le délégataire sortant à l’attention de tous les candidats? C’est la question qui a été posée au le Conseil de prud’hommes de Lille et à laquelle celui-ci a apporté une réponse en demi-teinte par un jugement du 23 mai 2013 (RG n° F 12/00367).
Rappelons que les conventions de délégation de service public sont concluent à l’issue de procédures régies dans le respect des dispositions de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques et codifiées, pour les collectivités territoriales, dans le code général des collectivités territoriales.

Ces procédures, dont l’un des éléments cardinaux est l’égalité entre les candidats (Cons. Constit., 20 janvier 1993, n° 92-316 DC ; TA de Paris, 2 novembre 1994, affaire du « Grand stade », Rec. p. 710), donnent lieu à une concurrence très dure entre les opérateurs qui doivent préparer des offres de qualité à un coût le plus attractif possible. Conformément à la définition légale de ces contrats, la rémunération du délégataire est substantiellement liée au résultat d’exploitation du service (art. 1er, loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier).

Ainsi, dès lors qu’il est acquis, en application de l’article L. 1224-1 du code du travail, d’ordre public, que les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre les salariés et le nouveau délégataire, il est capital, pour les candidats, de calculer au plus juste les charges financières qu’ils auront à supporter durant l’exécution du contrat, en tête desquelles figure la masse salariale.
De ce point de vue, le délégataire sortant dispose, sur les autres candidats, d’un avantage certain. C’est la raison pour laquelle la liste des salariés du délégataire sortant doit être portée à la connaissance de tous les candidats. Cette donnée est à ce point sensible qu’elle justifie, si elle n’est pas fournie par le délégataire sortant, l’annulation de la procédure de passation du contrat pour méconnaissance du principe d’égalité entre les candidats (CE, 13 mars 1998, SA Transports Galiero, req. n° 165238).

Dans l’affaire jugée par le Conseil des prud’hommes de Lille, le nom du salarié concerné ne figurait pas sur la liste du personnel à reprendre qui avait été adressée au mois de mai 2011 à l’ensemble des candidats.

Et pour cause, le salarié avait été recruté par le délégataire sortant pour une durée déterminée de trois mois à compter du mois d’août 2011 jusqu’à fin novembre 2011. Toutefois, le délégataire sortant avait laissé ce contrat se poursuivre au-delà de son terme, de sorte qu’au moment de la passation de la délégation au délégataire entrant, le 16 janvier 2012, le salarié bénéficiait d’un contrat à durée indéterminée non écrit.

Au premier jour de l’exécution de la convention de délégation de service public, le délégataire entrant avait dès lors refusé d’intégrer ce salarié parmi le personnel au motif que sont contrat ne figurait pas sur la liste des salariés dont le contrat avait été transféré par l’effet de l’article L. 1224-1 du code du travail.

Le salarié en question avait donc saisi la juridiction prud’homale en vue d’obtenir la requalification de son contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée ainsi que sa résiliation judiciaire aux torts du nouveau délégataire.

Si l’on peut comprendre la décision du conseil de prud’hommes en ce qu’il a considéré que « D’une façon générale, aucune autorité délégante n’est [d’ailleurs] habilitée à fixer dans un marché public, la liste des personnels relevant de l’article L 1224-1 du code du travail ;tout au plus, elle peut, à titre indicatif, donner, avant la date limite de dépôt des offres, des informations sur le personnel affecté à la prestation concernée, à une date arrêtée, sans préjuger de ce que sera la réalité de l’effectif à reprendre au titre de cette règle de droit public au moment de la reprise effective », l’on peut en revanche s’étonner qu’il ait écarté purement et simplement, sans motivation, l’appel en garantie formulé contre l’ancien délégataire sur les éventuelles condamnations financières en considérant que la liste de salariés n’aurait pas une « valeur juridique » mais simplement indicative.

En effet, le conseil de prud’hommes de Lille indique de façon extrêmement lapidaire « qu’il n’y a pas lieu à condamner » le délégataire sortant sans rechercher la part de responsabilité de ce dernier. Or, il était avéré que le délégataire sortant avait agi avec une légèreté blâmable en recrutant un salarié en contrat à durée déterminée et en laissant ce contrat se poursuivre en contrat à durée indéterminée alors qu’il savait être en procédure de passation de délégation de service public et sans informer, qui plus est, les candidats à la reprise de l’évolution de la liste transmise.

Ce jugement laisse donc perplexe.

Il avalise une solution qui consiste à laisser peser sur l’opérateur qui n’a pas commis la faute initiale, les conséquences financières de cette faute. Il est susceptible de mettre à mal un équilibre financier établi au moment du dépôt des offres par un candidat en lui imposant de faire avec un - ou plusieurs -, salarié dont la présence n’était pas prévue et dont la – ou les – rémunération peut être substantielle.

Cette solution permet donc au délégataire sortant, évincé de la procédure de passation, de laisser un caillou dans la chaussure de son concurrent victorieux, à charge pour ce dernier de se retourner contre le délégataire sortant par une action récursoire afin de tenter d’engager sa responsabilité …

La cour d’appel de Douai est saisie et aura à se prononcer sur cette délicate question.




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