Flics : Les grattes de l’outrage et de la rébellion
Actualités du droit - Gilles Devers, 21/01/2014
Bon, je précise : flic est un métier difficile, comme infirmière, enseignant, postier, boulanger, banquier, agent d’accueil à pôle emploi, pasteur, conducteur de bus, réceptionniste à l’hôtel, standardiste au Medef, président de la République… Euh non ? Oui, t’as raison, pas président. Donc, flic c’est un métier difficile car on se fait outrager, et qu’on risque à tout moment la rébellion.
Mais – ne pleurez pas – l’Etat est brave. Quand tu te fais injurier ou agresser à l’occasion de ton travail, donc parce que tu as cherché à remplir au mieux la fonction que t’as confiée l’Etat, eh bien l’Etat te donne les moyens de défendre tes droits, en payant les notes de l’avocat qui plaidera pour toi, et les dommages et intérêts seront pour toi. C’est l’article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, qui est le statut des fonctionnaires : « Les fonctionnaires bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions et conformément aux règles fixées par le Code pénal et les lois spéciales, d'une protection organisée par la collectivité publique qui les emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire au fonctionnaire ».
Parfait : la protection fonctionnelle un droit très utile.
Le problème est que ce truc est devenu un fromage, qui tourne au véreux. Les juges et les avocats habitués de la correctionnelle (simples passages professionnels…) vous décriront le lamentable spectacle des outragés d’habitude et des victimes de la rébellion d’habitude... Les juges s’agacent, mais la marge est mince : face à un flic en service, la seule habitude est le respect ; tout mot de travers, tout geste hostile est déplacé, et les éléments formels des infractions sont vite réunis.
Problème : entre un droit et l’abus de droit, le passage se fait en douceur, mais ce n’est pas en douceur qu’un rapport de l’Inspection Générale de l’Administration (IGA) dénonce ce petit commerce scandaleux. L'IGA cite quelques exemples spectaculaires, comme un brave flic « victime » 28 fois pour la seule année 2012. Pas de chance l’ami, mais en fin de mois, quelques centaines d’euros ainsi mendiées aident pour payer les crédits…
Selon le rapport, il y a eu 20.000 dossiers de recours de protection fonctionnelle dans la police en 2012, pour environ 110 000 policiers, soit plus de 13 millions d'euros de dépenses d’honoraires d’avocat. En 2006, on en était à 9,6 millions d'euros en 2009, soit 40 % de croissance. Pas mal !
Le rapport note : « Il est étonnant de constater que les montants sont près de 30 fois supérieurs dans la police par rapport à la gendarmerie pour des effectifs comparables ».
On poursuit ?
« Faut-il assurer la protection fonctionnelle d’un policier qui se poste devant un local de dégrisement et reçoit alors des injures et outrages de la part d’une personne en état d’ébriété et qui souvent regrette ses propos une fois dégrisée ? Faut-il assurer la protection fonctionnelle d’un policier qui va contrôler l’identité d’un SDF, apparemment alcoolisé, qui stationne sur la voie publique sans autre comportement répréhensible, et qui réagit en prononçant des injures ? Certains policiers, certes peu nombreux, se sont même faits une spécialité de ce type d’intervention au point que les juges les aient repérés et aient substantiellement réduit les dommages et intérêts accordé ».
Toujours le rapport : « A Paris, cinq cabinets d’avocats, choisis au fil du temps, sans aucune mise en concurrence, se partagent 'un marché' d’environ 2,5 M€ annuel, qui leur garantit un revenu d’environ 40.000€ par mois et par cabinet » (Je rectifie : CA, pas revenus).
Le rapport de l'IGA met en lumière des « habitués de la protection fonctionnelle », à savoir des policiers qui utilisent par abus de droit les services d’un avocat afin de réclamer des dommages et intérêts : « Certains policiers, certes peu nombreux, se sont même fait une spécialité de ce type d'intervention, au point que les juges les ont repérés et ont substantiellement réduit les dommages et intérêts accordés », ce que je confirme tout à fait.
En droit, mais il ne faudrait pas que le droit dérange ces beaux services, les chefs de services doivent émettre un avis sur la demande de protection fonctionnelle, mais le rapport constate « une absence quasi générale ».
Le syndicat Alliance a qualifié ce rapport de « honteux », ce qui est un gage de qualité.
Rien n'est simple,... et tout se complique (Sempé)