La condamnation de Twitter : un avertissement lancé à tous les acteurs du numérique
K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Matthieu Bourgeois, Marion Moine, 11/10/2018
Dans un long jugement daté du 7 août 2018 (près d’une centaine de pages), les juges du tribunal de grande instance de Paris ont analysé clause par clause, l’ensemble des dispositions contenues dans les documents contractuels régissant les relations entre Twitter et les utilisateurs de sa plateforme numérique d’échanges et de communication en ligne (ci-après les « Utilisateurs » et le « Contrat d’Utilisation »). Assigné par UFC Que Choisir sur le fondement – notamment – du droit de la consommation (clauses abusives), Twitter a tenté d’écarter son application aux Contrats d’Utilisation publiés entre 2012 et 2016, lesquels sont à titre gratuit, arguant de ce fait, qu’il n’agit pas en qualité de « professionnel » au sens dudit droit . (1)
I. L’APPLICATION DU DROIT DE LA CONSOMMATION AUX RESEAUX SOCIAUX
Le caractère onéreux – ou non – des contrats n’est pas une condition d’application du droit de la consommation.
C’est en tout cas ce qu’a jugé le tribunal de grande instance de Paris dans sa décision du 7 août 2018, rejetant la principale argumentation de Twitter face à UFC Que Choisir.
A titre de rappel, l’article liminaire du Code de la consommation définit le professionnel soumis au droit de la consommation comme une « (…) personne physique ou morale, publique ou privée, qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité́ commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, y compris lorsqu'elle agit au nom ou pour le compte d'un autre professionnel »
C’est sur le fondement de cet article, et sur l’absence de contrepartie monétaire aux services mis à la disposition de ses Utilisateurs, que Twitter a tenté de justifier qu’elle n’agissait pas à des « fins entrant dans le cadre de son activité commerciale », et en conséquence, que les dispositions du Code de la consommation ne lui étaient pas applicables.
Malgré cette argutie, la cession et/ou l’exploitation de données à caractère personnel est bien une activité commerciale entrant dans le champ d’application de la notion de « professionnel » du Code de la consommation.
Les juges de première instance ont en effet, considérés que la cession et/ou l’exploitation ultérieure des informations personnelles collectées auprès de ses Utilisateurs, sont une source de revenus pour Twitter, et ne permettent pas de considérer que celle-ci agit de façon totalement désintéressée.
La portée de ce raisonnement est considérable : en admettant que la fourniture de données à caractère personnel constitue une « contrepartie » cette décision induit que ces dernières constituent des « biens » dans le commerce juridique. Ainsi, le paiement des services fournis par un réseau social s’effectue en « numérique », et non plus en « numéraire ».
Ce raisonnement pourrait avoir de vastes conséquences sur la base légale d’un traitement de données à caractère personnel réalisé par l’exploitant de toute service fourni sans contrepartie monétaire mais rémunéré par la fourniture de données : alors qu’il est aujourd’hui unanimement admis que l’exploitation publicitaire des données des utilisateurs doit s’appuyer sur leur consentement (lequel doit être libre, c’est-à-dire disjoint de toute contrepartie comme l’accès au service par exemple), la reconnaissance d’une « contrepartie » dans la transmission de ces données pourrait permettre, à l’avenir, à ces exploitants de fonder leur traitement sur les nécessités de « l’exécution » du « contrat auquel la personne concernée est partie » (article 6.1, b) du RGPD).
Ceci serait tout à fait novateur : l’exploitant n’aurait alors plus à solliciter le « consentement » de l’utilisateur, pour l’utilisation de ces données, puisse que celui-ci serait noyé dans le consentement au contrat (l’un ne pouvant pas laissant l’autre, puisqu’à défaut de pouvoir utiliser les données, l’exploitant peut refuser de fournir le service qui en constitue la contrepartie). C’est une thèse qui pourra, en tout cas, être soutenue, et il sera alors intéressant d’examiner la réponse qui y sera apportée par la jurisprudence.
(1) Selon l’Article liminaire du Code de la consommation, un professionnel est une « (…) personne physique ou morale, publique ou privée, qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité́ commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, y compris lorsqu'elle agit au nom ou pour le compte d'un autre professionnel »
C’est en tout cas ce qu’a jugé le tribunal de grande instance de Paris dans sa décision du 7 août 2018, rejetant la principale argumentation de Twitter face à UFC Que Choisir.
A titre de rappel, l’article liminaire du Code de la consommation définit le professionnel soumis au droit de la consommation comme une « (…) personne physique ou morale, publique ou privée, qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité́ commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, y compris lorsqu'elle agit au nom ou pour le compte d'un autre professionnel »
C’est sur le fondement de cet article, et sur l’absence de contrepartie monétaire aux services mis à la disposition de ses Utilisateurs, que Twitter a tenté de justifier qu’elle n’agissait pas à des « fins entrant dans le cadre de son activité commerciale », et en conséquence, que les dispositions du Code de la consommation ne lui étaient pas applicables.
Malgré cette argutie, la cession et/ou l’exploitation de données à caractère personnel est bien une activité commerciale entrant dans le champ d’application de la notion de « professionnel » du Code de la consommation.
Les juges de première instance ont en effet, considérés que la cession et/ou l’exploitation ultérieure des informations personnelles collectées auprès de ses Utilisateurs, sont une source de revenus pour Twitter, et ne permettent pas de considérer que celle-ci agit de façon totalement désintéressée.
La portée de ce raisonnement est considérable : en admettant que la fourniture de données à caractère personnel constitue une « contrepartie » cette décision induit que ces dernières constituent des « biens » dans le commerce juridique. Ainsi, le paiement des services fournis par un réseau social s’effectue en « numérique », et non plus en « numéraire ».
Ce raisonnement pourrait avoir de vastes conséquences sur la base légale d’un traitement de données à caractère personnel réalisé par l’exploitant de toute service fourni sans contrepartie monétaire mais rémunéré par la fourniture de données : alors qu’il est aujourd’hui unanimement admis que l’exploitation publicitaire des données des utilisateurs doit s’appuyer sur leur consentement (lequel doit être libre, c’est-à-dire disjoint de toute contrepartie comme l’accès au service par exemple), la reconnaissance d’une « contrepartie » dans la transmission de ces données pourrait permettre, à l’avenir, à ces exploitants de fonder leur traitement sur les nécessités de « l’exécution » du « contrat auquel la personne concernée est partie » (article 6.1, b) du RGPD).
Ceci serait tout à fait novateur : l’exploitant n’aurait alors plus à solliciter le « consentement » de l’utilisateur, pour l’utilisation de ces données, puisse que celui-ci serait noyé dans le consentement au contrat (l’un ne pouvant pas laissant l’autre, puisqu’à défaut de pouvoir utiliser les données, l’exploitant peut refuser de fournir le service qui en constitue la contrepartie). C’est une thèse qui pourra, en tout cas, être soutenue, et il sera alors intéressant d’examiner la réponse qui y sera apportée par la jurisprudence.
(1) Selon l’Article liminaire du Code de la consommation, un professionnel est une « (…) personne physique ou morale, publique ou privée, qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité́ commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, y compris lorsqu'elle agit au nom ou pour le compte d'un autre professionnel »
II. LES NOMBREUX MANQUEMENTS DE TWITTER RELEVES PAR LA DECISION
Le format contraint du présent article ne permet pas d’aborder l’ensemble des manquements relevés par le tribunal dans cette décision. Nous en avons examiné les principaux ci-après.
A. Les manquements au droit de la consommation
Ce sont près de 265 clauses des versions successives du Contrat d’Utilisation qui ont été déclarées non écrites et/ou illicites par le TGI de Paris.
L’analyse du « déséquilibre » menée par les juges, sur certaines clauses, peut servir de « guide-âne » aux praticiens, en posant notamment les règles suivantes :
(i) seule la version du contrat dans une langue comprise par les utilisateurs peut leur être opposée en cas de litige ainsi est « abusive » la clause qui fait prévaloir la version anglaise du Contrat d’Utilisation, excluant ainsi, toute appréhension correcte par les Utilisateurs, de ses dispositions ;
(ii) le consentement au Contrat d’Utilisation ne peut pas être tacite ni implicite : s’inscrivant dans le sillage de la jurisprudence constante de la Cour de cassation (2) , le TGI a considéré que la seule inscription, et par la suite la navigation ultérieure sur un site, n’emporte pas valablement consentement des Utilisateurs au Contrat d’Utilisation ;
(iii) la responsabilité du professionnel doit être clairement définie : ainsi, les clauses doivent être rédigées clairement, de manière à ce que les Utilisateurs aient connaissance du régime de responsabilité applicable à leur cocontractant. Par exemple, le régime de responsabilité applicable aux hébergeurs doit être le cas échéant, développé afin de permettre aux Utilisateurs d’en connaître les conditions.
(2) Cass. Civ. 1ère 31 octobre 2012 (pourvoi n° 11-20.480).
L’analyse du « déséquilibre » menée par les juges, sur certaines clauses, peut servir de « guide-âne » aux praticiens, en posant notamment les règles suivantes :
(i) seule la version du contrat dans une langue comprise par les utilisateurs peut leur être opposée en cas de litige ainsi est « abusive » la clause qui fait prévaloir la version anglaise du Contrat d’Utilisation, excluant ainsi, toute appréhension correcte par les Utilisateurs, de ses dispositions ;
(ii) le consentement au Contrat d’Utilisation ne peut pas être tacite ni implicite : s’inscrivant dans le sillage de la jurisprudence constante de la Cour de cassation (2) , le TGI a considéré que la seule inscription, et par la suite la navigation ultérieure sur un site, n’emporte pas valablement consentement des Utilisateurs au Contrat d’Utilisation ;
(iii) la responsabilité du professionnel doit être clairement définie : ainsi, les clauses doivent être rédigées clairement, de manière à ce que les Utilisateurs aient connaissance du régime de responsabilité applicable à leur cocontractant. Par exemple, le régime de responsabilité applicable aux hébergeurs doit être le cas échéant, développé afin de permettre aux Utilisateurs d’en connaître les conditions.
(2) Cass. Civ. 1ère 31 octobre 2012 (pourvoi n° 11-20.480).
B. Les manquements au code de la propriété intellectuelle
Le Contrat d’Utilisation de Twitter subordonnait l’utilisation de son service à la concession, par l’utilisateur, d’une licence globale, non-exclusive et gratuite sur tous les contenus soumis, posté, publié sur ou par l’intermédiaire des services de Twitter, sans limitation dans le temps ni dans l’espace.
Après avoir constaté que ces stipulations visaient « tous les contenus générés » par les utilisateurs, « y compris ceux d’entre qui seraient susceptibles d’être protégés par le droit d’auteur », le Tribunal a relevé qu’elles ne précisaient pas « de manière suffisante les contenus visés, la nature des droits conférés et les exploitations autorisées ».
Les juges en ont conclu que de telles stipulations étaient « contraires aux prescriptions de l’article L.131-1, L.131-2, L.131-3 du code de la propriété intellectuelle », en rappelant que ces textes « imposent au bénéficiaire de la cession de préciser le contenu visé, les droits conférés ainsi que les exploitations autorisées par l’auteur du contenu protégé ».
Après avoir constaté que ces stipulations visaient « tous les contenus générés » par les utilisateurs, « y compris ceux d’entre qui seraient susceptibles d’être protégés par le droit d’auteur », le Tribunal a relevé qu’elles ne précisaient pas « de manière suffisante les contenus visés, la nature des droits conférés et les exploitations autorisées ».
Les juges en ont conclu que de telles stipulations étaient « contraires aux prescriptions de l’article L.131-1, L.131-2, L.131-3 du code de la propriété intellectuelle », en rappelant que ces textes « imposent au bénéficiaire de la cession de préciser le contenu visé, les droits conférés ainsi que les exploitations autorisées par l’auteur du contenu protégé ».
C. Les manquements à la réglementation informatique et libertés
Malgré le fait qu’elles constituent sa première source de revenus, les traitements de données à caractère personnel effectués par Twitter ne sont pas conformes au droit de la protection des données à caractère personnel. C’est ce qu’a dévoilé l’examen effectué par les juges, dans un contexte législatif mettant à l’honneur la protection des données à caractère personnel (3). Après avoir rappelé que – contrairement à ce qu’elle soutenait – la société Twitter « répond bien à la définition (…) du responsable du traitement de données à caractère personnel », les juges ont relevé une série de manquements dont seule une partie – pour des raisons liées au format de cet article – sera exposée.
Tout d’abord, en ce qui concerne les mentions d’information contenues dans les Contrats d’Utilisation ; celles-ci se sont révélées incomplètes au regard des exigences de la réglementation informatique et libertés (4) , ne permettant pas aux Utilisateurs de connaître précisément les traitements effectués sur leurs données.
En outre, plusieurs traitements effectués par Twitter se sont avérés être illicites. En effet, certains traitements réalisés par la société - notamment, ceux poursuivant des fins publicitaires – ne peuvent être fondés sur une autre base que le consentement informé et explicite des Utilisateurs. C’est pourquoi l’acceptation du Contrat d’Utilisation ne peut constituer un consentement (implicite) valable au regard de la réglementation informatique et libertés et prive, en conséquence, de tels traitements de base légale.
Ainsi, les Utilisateurs auraient dû être informés de leur faculté de s’opposer aux traitements de leurs données : (5)
(i) sans motifs légitimes pour les finalités de prospection ;
(ii) pour motifs légitimes pour toutes les autres finalités.
Enfin, parmi les manquements pointés par les juges, figure le droit que s’est réservé Twitter de « conserver sans motif légitime pour une période sans lien avec la durée nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont collectées et traitées ». Pour rappel, parmi les principes régissant les traitements de données à caractère personnel, figure celui de la limitation de la durée de conservation, qui oblige que les données ne soient pas conservées pour des durées excédant celles nécessaires à la poursuite des finalités pour lesquelles elles ont été collectées . (6)
(3) Les sanctions du règlement européen sur la protection des données (« RGPD ») sont entrées en application le 25 mai 2018 , et la loi informatique et libertés (« LIL ») a été adaptée au « paquet européen de protection des données » en juin 2018
(4) Articles 13 du RGPD et 32, I de la LIL.
(5) Articles 38 de la LIL et 21 du RGPD.
(6) Article 5, 1. e) du RGPD et 6, 5° de la LIL
Tout d’abord, en ce qui concerne les mentions d’information contenues dans les Contrats d’Utilisation ; celles-ci se sont révélées incomplètes au regard des exigences de la réglementation informatique et libertés (4) , ne permettant pas aux Utilisateurs de connaître précisément les traitements effectués sur leurs données.
En outre, plusieurs traitements effectués par Twitter se sont avérés être illicites. En effet, certains traitements réalisés par la société - notamment, ceux poursuivant des fins publicitaires – ne peuvent être fondés sur une autre base que le consentement informé et explicite des Utilisateurs. C’est pourquoi l’acceptation du Contrat d’Utilisation ne peut constituer un consentement (implicite) valable au regard de la réglementation informatique et libertés et prive, en conséquence, de tels traitements de base légale.
Ainsi, les Utilisateurs auraient dû être informés de leur faculté de s’opposer aux traitements de leurs données : (5)
(i) sans motifs légitimes pour les finalités de prospection ;
(ii) pour motifs légitimes pour toutes les autres finalités.
Enfin, parmi les manquements pointés par les juges, figure le droit que s’est réservé Twitter de « conserver sans motif légitime pour une période sans lien avec la durée nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont collectées et traitées ». Pour rappel, parmi les principes régissant les traitements de données à caractère personnel, figure celui de la limitation de la durée de conservation, qui oblige que les données ne soient pas conservées pour des durées excédant celles nécessaires à la poursuite des finalités pour lesquelles elles ont été collectées . (6)
(3) Les sanctions du règlement européen sur la protection des données (« RGPD ») sont entrées en application le 25 mai 2018 , et la loi informatique et libertés (« LIL ») a été adaptée au « paquet européen de protection des données » en juin 2018
(4) Articles 13 du RGPD et 32, I de la LIL.
(5) Articles 38 de la LIL et 21 du RGPD.
(6) Article 5, 1. e) du RGPD et 6, 5° de la LIL