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Adoption de la directive européenne n°2019/770 relative à la fourniture de contenus et services numériques : acte de naissance d’un droit de la consommation numérique

K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Marion Moine, Matthieu Bourgeois, 29/08/2019

Un texte longuement débattu. Né du souhait de « stimuler l’économie numérique ainsi que sa croissance globale » (1) , ce nouveau texte est le fruit de la volonté, faite par les autorités, d’exploiter au mieux le potentiel de croissance du commerce électronique. Ecartant le « règlement » - jugé trop intrusif et difficile à rédiger en l’absence d’un droit communautaire des contrats -, c’est l’instrument de la « directive » qui a été privilégié par les autorités communautaires pour s’attaquer à ce vaste chantier. Ainsi, cela fait trois ans et demi maintenant que la commission européenne a présenté deux projets de directives relatives (i) aux contrats de vente en ligne et de toute autre vente à distance de biens et (ii) aux contrats de fourniture de contenus et services numériques. Leur contenu a fait l’objet de nombreux débats, notamment dans le cadre de plusieurs trilogues (parlement et conseil européen ainsi que la commission européenne). Elles ont finalement été adoptées le 15 avril 2019, et peuvent être consultées en cliquant ici. C’est plus particulièrement à la seconde de ces deux directives (dont le délai de transposition donné aux Etats membres est de deux ans) que nous allons nous intéresser.

La directive relative aux contenus numériques, au cœur des débats. En effet, l’analyse contextuelle de son adoption souligne les difficultés rencontrées par les organes européens quant à son contenu. L’EDPS (« European Data Protection Supervisor ») s’est par exemple ému de ses dispositions qui admettent à - demi-mots - que les données à caractères personnel puissent être la contrepartie de contenus et services numériques, en apparence gratuits (V. infra).

Une protection des consommateurs insuffisante dans le cadre de la fourniture de contenus numériques défectueux. Face au développement exponentiel des technologies de l’information et des communications, ainsi que des contenus et services numériques qu’il est désormais possible de fournir aux consommateurs, les modes de consommations changent. La directive a pour objet de « trouver le bon équilibre entre atteindre un niveau élevé de protection des consommateurs et promouvoir la compétitivité des entreprises » (2) .

Une harmonisation nécessaire dans un contexte transfrontalier. Constatant que la disparité des règles nationales pouvait être un frein au développement économique de certains professionnels, et que les consommateurs devaient disposer d’un cadre juridique européen rassurant, la commission a souhaité que des règles uniformes s’appliquent sur tout le territoire de l’Union. Une fois transposée par les Etats membres, cette directive devrait permettre d’étendre la garantie de conformité aux éléments incorporels et de définir notamment les modalités d’exercice des « recours en cas de défaut de conformité ou de défaut de fourniture et les modalités d’exercice de ces recours » . (3)

Une transposition au plus tard le 21 juillet 2021. Le législateur communautaire laisse deux ans aux Etats membres pour transposer cette Directive, prévoyant comme date butoir le 1er juillet 2021, pour une application de ces dispositions à partir du 1er janvier 2022 . (4)

I. CHAMP D’APPLICATION DE LA DIRECTIVE
Seuls les contrats de fourniture de contenus ou services numériques à des consommateurs sont concernés. Il résulte de l’article 3.1. de la directive n°2019/770 dans sa version finale (ci-après la « Directive »), que celle-ci a vocation à s’appliquer aux contrats par lesquels « un professionnel fournit ou s’engage à fournir un contenu numérique ou un service numérique au consommateur». En conséquence, seuls les contrats conclus avec une « personne physique (…) qui agit à des fins qui n’entrent pas dans son activité commerciale, artisanale ou libérale » (5) sont concernés par la Directive.

Une Directive qui s’applique aux contrats conclus à titre onéreux, dont le prix est soit payé en argent (numéraire), soit réglé en données (numériques). C’est sans aucun doute le débat qui est actuellement sur toutes les lèvres : la patrimonialité des données à caractère personnel. Sans toutefois trancher sur leur sort, le législateur européen a pris en compte cette hypothèse, et l’a expressément intégrée dans le champ d’application de la Directive. En effet, les contenus et services numériques fournis – en apparence – gratuitement, ont bien une contrepartie : les données à caractère personnel collectées et traitées – ou valorisées – à des fins autres que celles strictement nécessaires à leur fourniture ou au respect d’une obligation légale. Le législateur communautaire prend en compte cette réalité en prévoyant que cette directive s’applique « à tout contrat » de fourniture d’un contenu numérique ou d’un service numérique en échange duquel « le consommateur s’acquitte ou s’engage à s’acquitter d’un prix » (6) . En conséquence, les professionnels qui ont une activité biface (d’une part, de fournisseur de contenus et d’autre part, de services et de régie publicitaire, devront redoubler d’attention quant à la qualité de leurs services et contenus qu’ils fournissent puisque, les droits de leurs utilisateurs seront considérablement renforcés.

Contenus et services numériques : des notions devant être entendues largement. Afin de s’adapter aux progrès technologiques rapides et de préserver le caractère évolutif du concept de contenu numérique, ces derniers doivent être entendus largement. Ainsi, le «contenu numérique» désigne très largement des « données produites et fournies sous forme numérique » (7) . Les « services numériques » : désignent quant à eux :
« a) un service permettant au consommateur de créer, de traiter ou de stocker des données sous forme numérique, ou d’y accéder; ou
b) un service permettant le partage ou toute autre interaction avec des données sous forme numérique qui sont téléversées ou créées par le consommateur ou d’autres utilisateurs de ce service » (8).
La Directive prévoit également de s’appliquer aux « supports matériels» (DVD, CD, etc.), pouvant contenir les contenus numériques (9) .

Toutefois, certains domaines ou professionnels sont exclus du champ d’application de la Directive (10) . C’est notamment le cas des services de jeux d’argent et de hasard ou encore les services financiers. Le considérant 27 précise quant à lui que sont exclus du champ d’application de la Directive les services qui « portent principalement sur la fourniture de services professionnels, tels que les services de traduction des services d’architecture, des services juridiques ou d’autres services de conseils professionnels, qui sont souvent assurés par le professionnel lui-même, que celui-ci utilise ou non des moyens numériques pour créer le produit du service ou le livrer ou le transmettre au consommateur ».

II. REGIME A VENIR DE LA FOURNITURE DE CONTENUS ET SERVICES NUMERIQUES
A. CONTENU DE LA GARANTIE DE CONFORMITE :

La garantie de conformité bientôt étendue aux contenus et services numériques. Le régime actuel de la garantie légale de conformité est encadré par les dispositions des articles L.217-4 et suivants du Code de la consommation, lequel prévoit que les produits achetés soient conformes à l’usage attendu et à la description qui en a été faite par le vendeur (11) . Toutefois, ce régime ne s’applique qu’aux biens meubles corporels (12). Poursuivant l’objectif d’encourager un marché unique en matière numérique, le législateur européen a souhaité étendre une telle garantie pour les contenus et services numériques.

Une garantie de conformité personnalisée aux caractéristiques des contenus et services numériques. La garantie de conformité des contenus et services numériques supposera certes une livraison (article 5 de la Directive) qui soit conforme (qualité, fonctionnalité, durée, quantité) et non défectueuse, mais également, une livraison « interopérable » dans des conditions de performance suffisantes assurant leur accessibilité, continuité, et sécurité. En effet, l’une des conditions sine qua non pour qu’un contenu numérique fonctionne est son interopérabilité, ce qui « renvoie à la question de savoir si le contenu numérique ou le service numérique peut fonctionner avec un matériel ou des logiciels qui sont différents de ceux avec lesquels des contenus numériques ou des services numériques de même type sont normalement utilisés, et dans quelle mesure il le peut » (13) . Les contenus et services numériques devront également être régulièrement mis à jour, afin d’assurer tout au long du contrat – si celui a vocation à s’étendre dans le temps – son bon fonctionnement. Devront également être intégrés à la garantie légale de conformité – à l’instar des dispositions centrales que l’on retrouve dans la majorité des contrats informatiques – (i) la bonne intégration des contenus numériques (que celle-ci soit effectuée par le fournisseur lui-même ou sur ses instructions ) (14) mais également (ii) une garantie « légale » d’éviction, contre « la violation de tout droit de tiers, en particulier de droits de propriété intellectuelle » . (15)

B. DUREE DE LA GARANTIE

Une garantie de conformité étendue à la durée des contrats de fourniture.
Souvent, la fourniture de contenus ou services numériques qui ne s’usent pas par l’usage, s’étend sur une certaine période de temps, et n’est pas ponctuelle (16) . En conséquence, dans un tel cas, le contenu numérique devra être conforme au contrat pendant sa durée. (17)

C. DISTINCTION ENTRE DEFAUT DE LIVRAISON ET DE « CONFORMITE NUMERIQUE »

Une distinction nécessaire. Mettant à la charge des fournisseurs deux obligations distinctes (i) de fournir le contenu numérique sans retard injustifié après la conclusion du contrat (18) , et (ii) de délivrer un produit conforme, la Directive ne règle pas leurs manquements avec les mêmes remèdes. Or, dans l’environnement numérique, leur distinction pourtant essentielle, peut être mise à mal. Ainsi par exemple, ne devra pas être considéré comme un défaut de livraison mais comme une non-conformité, l’indisponibilité ou l’inaccessibilité temporaire (« sur une courte période ») du contenu ou service numérique. (19)

D. LES REMEDES LEGAUX A LA NON CONFORMITE

Le remède radical au défaut de livraison.
En effet, l’article 13.2. de la Directive prévoit que le consommateur puisse résilier immédiatement le contrat notamment lorsqu’il « résulte clairement des circonstances que le professionnel ne fournira pas le contenu numérique ou le service numérique » ou, qu’il était indispensable pour le consommateur que ces derniers soient fournis à u[« un moment spécifique ». ]u Dans d’autres cas, le professionnel pourra disposer d’un délai supplémentaire, qui si il n’est pas respecté justifiera alors d’une résolution par le consommateur. (20)

Le remède en deux temps à la non-conformité. Le consommateur pourra obtenir dans un premier temps que le contenu ou service numérique soit mis en conformité par le fournisseur « dans un délai raisonnable à compter du moment » où il en a « été informé par le consommateur (…) et sans inconvénient majeur pour le consommateur, compte tenu de [sa] nature (…) et de la finalité recherchée » par ce dernier (21) . Toutefois, le fournisseur ne sera pas tenu d’une telle mise en conformité si celle-ci « s’avère impossible, ou si cela risque d’imposer au professionnel des frais disproportionnés » (22) . Dans de tel cas, ou notamment si le fournisseur ne s’exécute pas, le consommateur pourra, en fonction de la nature des non-conformités constatées, soit obtenir une réduction du prix, soit résilier par tout moyen le contrat (23) qui le lie au professionnel (24) .

Les effets de la résolution sont fonctions de la contrepartie au contrat. Instaurant un principe de résolution aménagé du contrat (25), le législateur européen a prévu que le fournisseur rembourse au consommateur le prix payé, sauf « lorsque le contrat prévoit la fourniture du contenu numérique ou du service numérique en échange du paiement d’un prix et pendant une certaine période et que le contenu numérique ou le service numérique a été conforme pendant une certaine période avant la résolution du contrat ». Dans un tel cas, « le professionnel ne rembourse au consommateur que la portion proportionnelle du prix payé qui correspond à la période pendant laquelle le contenu numérique ou le service numérique n’était pas conforme (…) » (26). Cette restitution du prix devra se faire « sans retard injustifié, et, en tout état de cause dans un délai de quatorze jours à compter du jour où le professionnel est informé de la décision » (27). Néanmoins, et dans l’hypothèse où la contrepartie au contrat serait non pécuniaire, le législateur européen impose au fournisseur qu’il prenne toutes les mesures attendues pour s’abstenir de l’utiliser (28) . S’agissant des données à caractère personnel, le fournisseur devra se conformer aux exigences de la règlementation informatique et libertés. Notons toutefois, qu’à ce sujet, les versions précédentes de la Directive étaient plus précises en indiquant dans le considérant 37 ancien, que le fournisseur devait les supprimer ou les anonymiser « de telle sorte que le consommateur ne puisse être identifié par aucun moyen raisonnablement susceptible d’être utilisé par le fournisseur ou toute autre personne » . (29)

(1) Considérant 1 de la Directive
(2) Considérant 2 de la Directive
(3) Article premier de la Directive.
(4) Article 24 de la Directive.
(5) Article 2.6 de la Directive.
(6) Article 3.1, alinéa 2 de la Directive
(7) Article 2. 1) de la Directive.
(8) Article 2. 2) de la Directive.
(9) Article 3.3. de la Directive.
(10) Article 3.5. de la Directive.
(11) Article L217.5 du Code de la consommation.
(12) Fascicule LexisNexis – Garantie de conformité des meubles vendus aux consommateurs – n°12.
(13) Considérant 43 de la Directive.
(14) Article 9 de la Directive.
(15) Article 10 de la Directive.
(16) Considérants 51 et 55 et 57 de la Directive.
(17) Article 8.4 de la Directive.
(18) Article 5 de la Directive.
(19) Considérant 51 de la Directive : « (…)Il convient de considérer les interruptions de courte durée de la fourniture d’un contenu numérique ou d’un service numérique comme des cas de défaut de conformité dès lors que ces interruptions sont plus que négligeables ou qu’elles sont récurrentes. (…)».
(20) Article 13.1 de la Directive.
(21) Article 14.3 de la Directive.
(22) Article 14.2 de la Directive.
(23) Le consommateur ne pourra résilier le contrat que si « le défaut de conformité entrave la fonctionnalité, l’interopérabilité, et les autres principales caractéristiques de performance du contenu numérique, telles que l’accessibilité, la continuité, et la sécurité » (article 12. 5 de la Directive). Nouvel article 14.6 : le consommateur n’a droit à la résolution du contrat que si le défaut de conformité n’est pas mineur et si le contenu numérique ou le service numérique a été fourni en échange du paiement d’un prix.
(24) Article 14.4 de la Directive.
(25) Article 16.1 de la Directive.
(26) Article 16.1. de la Directive.
(27) Article 18.1de la Directive.
(28) Article 13.3de la Directive.
(29) Considérant 69 de la Directive (également mentionné à article 16.2).



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