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Le domaine public, une peau de chagrin ?

Paralipomènes - Michèle Battisti, 27/01/2012

Ayant assisté hier, 26 janvier 2012, à une conférence organisée par Wikimédia, Communia et Creative Commons pour fêter le domaine public, j’ai voulu retrouver ce que j’avais pu écrire sur la question. Ce fut notamment, en septembre 2002 (donc à remettre dans le contexte de l’époque, mais dont certains éléments, 10 ans après, restent d’actualité), [...]

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Ayant assisté hier, 26 janvier 2012, à une conférence organisée par Wikimédia, Communia et Creative Commons pour fêter le domaine public, j’ai voulu retrouver ce que j’avais pu écrire sur la question. Ce fut notamment, en septembre 2002 (donc à remettre dans le contexte de l’époque, mais dont certains éléments, 10 ans après, restent d’actualité), ce dossier rédigé pour Actualités du droit de l’information, la lettre d’information juridique de l’ADBS, repris ici dans son intégralité.

Certaines œuvres sont exclues de la protection par le droit de la propriété intellectuelle car elles appartiennent au “domaine public”, un concept flou qui recouvre des situations très diverses. On y trouve : 1. des documents ou des informations dénués d’originalité ou de nouveauté ; 2. des œuvres dont les droits patrimoniaux sont parvenus à expiration ; 3. des œuvres qui y appartiennent par nature (les textes de loi, les décisions judiciaires, les hymnes nationaux, les éléments du folklore) ; 4. des œuvres mises par leurs auteurs à la disposition du public [1] .

MAIS DANS LES FAITS, PEU D’ŒUVRES SONT LIBREMENT DISPONIBLES

L’originalité, notion subjective, examinée pour définir si l’œuvre est protégée, implique la marque de la personnalité de son auteur. Le concept de simple apport intellectuel, qui semble s’y substituer aujourd’hui, en abaisse le seuil.

Les œuvres du domaine public par expiration des droits, postérieures aux soixante-dix années exigées après la mort de l’auteur, voire de chacun des co-auteurs, ou de l’année de publication pour les œuvres collectives, ne concernent pas les adaptations [2] qui font naître de nouveaux droits.

Les œuvres du domaine public par nature posent la question de la notion de document public, et si des textes [3] prévoient que les documents administratifs soient communiqués au public, cette communication se fait sous réserve des droits de propriété littéraire et artistique [4], généralement attribués à l’État. La domanialité publique n’exclut pas l’exploitation industrielle et commerciale ni une demande d’autorisation pour une exploitation commerciale. En outre, la qualification d’actes officiels [5] ne figure pas dans la loi, mais s’est imposée progressivement par la jurisprudence. Dans un autre domaine, des bâtiments, des sculptures ou d’autres œuvres situées dans des lieux publics, qui appartiennent du domaine public, ne sont pas toujours exempts de protection, notamment quant aux photographies.

L’abandon des droits par décision des auteurs, pour les logiciels en freeware [6], des photographies libres de droits, etc., se limite généralement à ne pas exiger de rémunération lorsque l’utilisateur est de bonne foi. Il peut n’être que temporaire. L’auteur peut, s’il le souhaite, décider ensuite de modifier le statut de l’œuvre, de la retirer de la circulation, d’exiger une rémunération de l’usager pour l’avenir. Toute renonciation définitive aux droits d’auteur est nulle dans un contrat conclu avec un utilisateur de l’œuvre, et sans effet juridique en l’absence de contrat écrit.

UN RÉTRÉCISSEMENT QUI SE POURSUIT

Un allongement de la durée des droits
La protection a été portée, par la transposition d’une directive européenne en 1997, de cinquante à soixante-dix ans après le décès du créateur, ce qui a permis un retour à la protection d’œuvres qui avaient déjà rejoint le domaine public. En France, l’ajout des années de guerre, appliqué à certaines œuvres, leur accorde près de quinze ans supplémentaires [7]. Aux États-Unis, le Sonny Bono Act accorde près de quatre-vingt-quinze ans de protection dans certains cas.

L’élargissement de l’objet
L’éventail des créations et du domaine protégés par le droit d’auteur semble  désormais sans limites. On peut évoquer, à titre d’exemple, la chorégraphie, les artistes-interprètes, l’informatique, la mode, le design, le parfum, etc., et même le folklore.

Le droit des marques
Il peut être utilisé, plus fréquemment sans doute qu’autrefois, pour protéger les noms des personnages ou leur image et fait naître un droit quasi-perpétuel car il est renouvelable, par dépôt successif de dix ans.
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Le droit des bases de données
Institué également par une directive européenne, transposée dans le droit français en 1998, il accorde des droits subordonnés à l’importance de l’investissement humain et matériel consacré à la réalisation d’une base de données. En outre, si la sélection de données, même banales ou publiques, et si leur mise en forme sont considérées comme étant originales, elles sont protégées par le droit d’auteur. Le nouveau régime permet de s’approprier des données qui échappaient à la propriété intellectuelle.

Les droits moraux
L’attribution d’une œuvre à un auteur et le respect de son intégrité sont incessibles et ne tombent jamais dans le domaine public. Mais il est parfois possible de négocier financièrement toute “déformation” susceptible d’être faite à une oeuvre (exemple : une version abrégée, une adaptation en bande dessinée, etc.).

La concurrence déloyale et parasitaire
Une œuvre non protégée par le droit d’auteur peut bénéficier de la  protection du droit commun de la responsabilité [8], sur le fondement de l’article L. 1382 du code civil.

Le droit à l’image
Attribut du droit de la personnalité, il a été élargi à l’image des biens, y  compris les biens publics financés par la collectivité. Les musées, en outre, exercent souvent sur les collections d’art, même tombées dans le domaine public, un droit d’accès monnayant le droit de photographier selon certaines conditions. On peut évoquer aussi le  droit d’arène au profit des organisateurs d’événements sportifs, les images de la terre par satellite, etc., permettant à ceux qui financent d’alléguer des droits d’accès ou d’usage.

Le droit des brevets
Les idées sont de libres parcours, mais certains souhaiteraient protéger par le brevet des idées commerciales et financières, qui n’ont aucun apport technique, ce qui représenterait une atteinte à la liberté d’expression et au principe de liberté de commerce et d’industrie.

UNE ÉROSION INÉLUCTABLE ?

L’équilibre délicat entre droit de la propriété intellectuelle et domaine public – au sens d’éléments non protégés et utilisables par tous afin de préserver la liberté de pensée et d’expression ainsi que l’accès non discriminatoire à la culture [9] –, semble bien s’être déplacé puisque les critères qualitatifs (originalité, nouveauté) sont progressivement supplantés par des critères économiques (la protection des investissements réalisés pour le traitement de l’information).

Le droit d’auteur, le droit des marques, le droit à l’image, etc., sont susceptibles de s’appliquer à toutes les créations. On évoque la protection des liens hypertextes, des métadonnées, des systèmes de référencement, etc., qui représentent de nouveaux marchés, impliquent des contrats, des rémunérations et des litiges.

La technologie offre des moyens de contrôle plus performants susceptibles d’accorder des droits privatifs accrus aux titulaires de droit, de privilégier les usages et le paiement à la carte, voire de porter atteinte à la vie privée.

L’existence d’un domaine public ne serait-elle plus qu’une illusion, la judiciarisation actuelle de la création l’ayant “réduite à une peau de chagrin” (réf.1) ?

Mais la propriété intellectuelle est flexible, largement liée au contrat, et donne la possibilité de privilégier d’autres schémas fondés sur la diffusion et la notoriété. Elle permet d’affranchir ses clients/usagers de certains droits intellectuels pour proposer, par voie de licence, des modes de diffusion et de développement ouverts. Il n’en reste pas moins que le débat, qui n’est pas uniquement juridique mais également politique, et porte sur l’articulation entre propriété et liberté, est toujours d’actualité.

Plus que jamais, ajouterai-je aujourd’hui

Illustr. La cour du domaine du Gras (Saint-Loup-de-Varennes en Bourgogne) Nicéphore Niepce,1826. Podcast Journal

Notes

[1] Nous avons éludé certains usages librement autorisés (les exceptions au droit d’auteur figurant dans l’article L 122-5 du code de la propriété intellectuelle) pour répondre à un intérêt général. Traités dans d’autres numéros d’Actualités du droit de l’information, ils sont effectivement susceptibles d’élargir le champ du domaine public, mais ils correspondent à une problématique différente. Nous avons également écarté dans ce dossier l’examen de la liberté d’expression et le droit de la presse.
[2] Comme des transcriptions en français moderne, des traductions, l’ajout d’un appareil critique, des glossaires, des notes, une nouvelle mise en page, etc.
[3] Loi 78-753 du 17 juillet 1978 modifiée par la loi de 1979 relative à l’amélioration des relations entre l’administration et le public.
[4] Voir : Les données publiques, In : Le droit de copie en questions, ADBS, 1998
[5] Celle de “données essentielles”, souvent évoquées, le sera sans doute également.
[6] Freeware : logiciel du domaine public ou gratuiciel.
[7] Voir : Le retour des morts-vivants, Daniel Garcia, Livres Hebdo, 2 novembre 2001.
[8] Permettant de protéger, par exemple, le format de livre, un concept de guide, de méthode, etc.
[9] Un concept plus prégnant dans la tradition anglo-saxonne qui considère que les droits exclusifs de l’auteur accordés par la loi ne représentent qu’une exception à la liberté d’expression et à la libre circulation des idées.

Sources
•    Y a-t-il encore un domaine public ? Emmanuel Pierrat, Livres Hebdo, 8 décembre 2000
•    La nécessaire définition d’un bien public mondial. A qui appartiennent les connaissances, Philippe Quéau, Le Monde diplomatique, janvier 2000
•    Le rôle des pouvoirs publics dans l’accès à l’information : une mise à disposition plus large et plus efficace de l’information à caractère public, Elizabeth Longworth, Unesco : Paris, 18 juillet 2000

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