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CEDH : La France condamnée pour une interpellation violente

Actualités du droit - Gilles Devers, 3/10/2013

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Notre excellent Espagnol naturalisé de Sinistre de l’Intérieur n’imaginant pas que les pandores ne respectent pas la loi lors des interpellations, le blog a l’auguste honneur de lui offrir ce compte rendu d'un arrêt de la CEDH condamnant la France pour violences des pandores lors d’une interpellation (Douet c. France, no 16705/10, 3 octobre 2013). En toute amitié, je précise à Monsieur l’Illuminé des Roms que la lecture consciencieuse de cette note lui valide trois unités de valeur pour sa formation professionnelle d’ex-futur président de la République.

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1/ Les faits

Les faits ont eu lieu le 27 août 2005, à Nonette (63), un peu avant minuit. L’ami Douet rentre chez lui en voiture, avec quatre passagers. Sur le chemin, se trouve un véhicule de gendarmerie. Douet, qui avait bu un coup de trop et le savait, fait demi-tour, et fonce. Les gendarmes le prennent en course poursuite et deux kilomètres plus tard, ils coincent le véhicule.  

L’interpellation est ainsi décrite par la CEDH : « A l’issue de la poursuite, le gendarme B.P. s’était avancé arme au poing vers le requérant, auquel il avait ordonné de mettre les mains sur le volant puis de sortir de la voiture. Le requérant n’ayant pas immédiatement obtempéré, B.P. l’en avait extrait de force avec l’aide de son collègue L.P. La main droite du requérant avait été immédiatement menottée mais, plaqué au sol, il avait résisté et avait refusé de placer ses mains dans le dos afin d’être complètement menotté. Les deux gendarmes l’avaient alors maîtrisé en pratiquant une clé à bras et en frappant son bras gauche avec un bâton de protection télescopique, pendant que les deux autres gendarmes surveillaient les passagers du véhicule. Cela dura plusieurs minutes ».

En fait, les pandores lui ont filé une rouste alors qu’il était au sol. Le dossier comporte trois certificats médicaux, décrivant « environ trente-cinq éléments confusionnels récents sur plusieurs parties du corps un hématome volumineux », et un état incompatible avec la garde-à-vue.

L’un des certificats précise que « les lésions des poignets, et notamment du poignet droit, sont très évocatrices de lésions de menottage », que « les ecchymoses linéaires dorsales gauches sont compatibles avec un choc avec un objet de forme correspondante », et que « l’érosion temporale gauche évoque un ripage vertical contre un plan irrégulier et dur ». Une radio a mis en évidence une fracture non déplacée de l’avant-bras. Donc, les gendarmes ont causé la fracture en frappant l’ami Drouet alors qu’il était immobilisé au sol.

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2/ Les décisions rendues en France

Les décisions rendues contre l’ami Douet

Le tribunal correctionnel de Clermont-Ferrand, le 6 décembre 2005, a condamné Douet à quatre mois d’emprisonnement avec sursis, à la suspension de son permis de conduire durant cinq mois et à une amende de 300 euros pour avoir rébellion, refus d’obtempérer et conduite sous l’empire d’un état alcoolique. 

Appel de Douet, et la cour de Riom, par un arrêt du 10 janvier 2007, a prononcé une relaxe du chef de rébellion, au motif qu’on ne peut confondre une résistance violente et la simple désobéissance aux ordres donnés.  Le fait que l’ami Douet se soit débattu lorsqu’il était au sol pouvait « s’expliquer par une attitude de protection d’un homme à terre ». Cet arrêt a été confirmé par la Cour de cassation le 26 septembre 2007.

La plainte de l’ami Douet contre les amis gendarmes

L’ami Douet a déposé plainte pour violences contre les gendarmes (Violences volontaires par personne dépositaire de l’autorité publique, article 222-13 7°du Code pénal). La plainte vise les coups portés à l’aide de leur bâton télescopique (encore appelée « la gomme à sourires »).

La plainte a été classée par le parquet, et l’ami Douet a formé une plainte avec constitution de partie civile. Là, le juge d’instruction a bien réagi, ordonnant le renvoi des amis gendarmes devant le tribunal correctionnel.

Mais le tribunal a prononcé une relaxe, confirmée par arrêt du 1er avril 2009 de la cour d’appel de Riom. La Cour a reconnu que la fracture non déplacée du bras et l’hématome correspond à des coups donnés avec la matraque alors que l’ami Douet était au sol, mais pour la Cour d’appel, il n’était pas établi que « les gendarmes avaient fait usage disproportionné de la force ». Ah, ah, ah… ils nous feront toujours rire : frapper avec une arme un homme, maîtrisé au sol et ne présentant pas un danger, jusqu’à lui casser le bras est une attitude juste, proportionnée et, pour tout dire, très professionnelle.

Un pourvoi en cassation a été rejeté le 8 juillet 2009.  

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3/ La CEDH

Le droit applicable

Devant la CEDH, l’affaire est jugée sous l’angle de l’article 3 de la Convention, ainsi libellé : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

Pour la Cour rappelle, lorsqu’un individu est privé de sa liberté ou, plus généralement, se trouve confronté à des agents des forces de l’ordre, l’utilisation à son égard de la force physique alors qu’elle n’est pas rendue strictement nécessaire par son comportement porte atteinte à la dignité humaine et constitue, en principe, une violation du droit garanti par l’article 3 de la Convention (Ribitsch, 1995 ; Mete, 2011 et El-Masri [GC] 2012).

Par ailleurs, les allégations de mauvais traitements contraires à l’article 3 doivent être étayées par des éléments de preuve appropriés. Pour l’établissement des faits allégués, la Cour se sert du critère de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable », une telle preuve pouvant néanmoins résulter d’un faisceau d’indices, ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants (Labita, 2000‑IV ; Creanğa [GC], 2012 ; Matko, 2006).

S’agissant de l’usage de la force au cours d’une arrestation, la Cour doit rechercher si la force utilisée était strictement nécessaire et proportionnée. Pour répondre à cette question, elle doit prendre en compte les blessures occasionnées et les circonstances dans lesquelles elles l’ont été. De plus, il incombe normalement au Gouvernement d’apporter des preuves pertinentes démontrant que le recours à la force était à la fois proportionné et nécessaire (Petyo, 2009).

Et l’application dans notre affaire…

On comprend que des agents des forces de l’ordre puissent juger suspect un automobiliste qui fait demi-tour à leur vue, mais cela ne montre pas que l’on a à faire à un individu dangereux. De plus, l’ami Douet a vite été plaqué au sol, et les autres occupants de la voiture étaient tranquilles.

La Cour souligne qu’un seul gendarme à genou sur le dos du requérant suffisait à maintenir l’ami Douet sur le sol, et malgré cela plusieurs coups lui ont été portés. Un coup assez violent pour provoquer une fracture du coude lui a été asséné à l’aide de la matraque, et les hématomes « sur le haut de son bras gauche, l’important œdème sur son coude gauche et les ecchymoses linéaires sur son dos » indiquent qu’il en a reçu d’autres. Ce dans le contexte d’une simple résistance passive, l’infraction de rébellion ayant été écartée.

Ensuite, les certificats médicaux font état de nombreuses lésions, et sept mois après les faits, l’état n’était toujours pas consolidé : « Ces éléments attestent de l’intensité de la force physique dont il a été fait usage contre le requérant alors qu’il n’opposait pas de résistance active à son interpellation ».

Aussi, le recours à la force n’était ni proportionné, ni nécessaire. L’ami Douet obtient 15 000 € pour l’indemnisation et  7 000 € pour les frais de défense. 


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