Garde-à-vue : Les avocats font progresser vers l’égalité des armes
Actualités du droit - Gilles Devers, 31/12/2013
Le droit plus fort que la loi… A nouveau, la prophétie de Victor Hugo éclaire nos pas, à savoir ceux des vaillants avocats du Barreau de Paris qui viennent d’obtenir une belle victoire devant la 23° chambre du TGI de Paris : le principe est le respect des droits de la défense dès que commence l’accusation,… et la conséquence est que l’avocat doit avoir accès au dossier d’enquête avant les interrogatoires.
L’accès au dossier dès le début de la garde-à-vue… C’est une belle victoire, fruit d’une action concertée du Barreau de Paris depuis ce mois d’octobre… et très logique dès lors que l’on accepte de rompre avec les fantasmes bonapartistes : les droits de la défense ne sont pas les ennemis du pouvoir d’Etat, mais les conditions de la justice, et donc de la paix sociale.
C’est une très bonne décision, mais très fragile. Elle a été obtenue devant la chambre des comparutions immédiates, pendant la période des vacations. Ce n’est donc pas la formation habituelle, et ceci explique largement cela…. Pierre-Olivier Sur, le nouveau bâtonnier de Paris, à l’AFP : « Ces magistrats du civil sont généralement plus sensibles aux libertés publiques que leur collègues pénalistes. Bien sûr, le parquet devrait faire appel et la 10e chambre de la cour d'appel qui rejugera le dossier ne devrait pas, selon sa jurisprudence, confirmer le jugement de première instance. Mais, c'est un premier pas, celui qui ouvre les portes ». Et oui, c’est là du vrai droit, celui qui pousse par la racine…
Alors, comment ça marche ?
La toile de fond est marquée par un double mouvement : des enquêtes de police qui sont de plus en plus fouillées, et l’impact de la jurisprudence de la CEDH. Du côté des forces de l’immobilisme, la double tradition de l’avocat centré sur le Palais de justice, mais étranger à la phase policière, et des droits de la défense comme obstacle à la procédure pénale.
La France aurait pu d’elle-même se débarrasser de ces arguments dépassés, mais elle ne l’a fait que contrainte par la jurisprudence de la CEDH, et elle a adopté le régime minimal, ce qui l’amènera inéluctablement à reformer sous la contrainte par la jurisprudence de la CEDH.
En droit interne
En droit interne, la question est réglée par la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011.
La personne gardée à vue peut s’entretenir avec un avocat pendant une durée qui ne peut excéder 30 minutes et sans que ce dernier n’ait accès au dossier de la procédure. « Sans accès au dossier » ? Eh oui, explique l’article 63-4-1 :
« A sa demande, l'avocat peut consulter le procès-verbal établi en application du dernier alinéa de l’article 63-1 (Il s’agit de la notification des droits) constatant la notification du placement en garde à vue et des droits y étant attachés, le certificat médical établi en application de l'article 63-3, ainsi que les procès-verbaux d'audition de la personne qu'il assiste. Il ne peut en demander ou en réaliser une copie. Il peut toutefois prendre des notes ».
Ainsi, l'avocat consulte les procès-verbaux d'audition de la personne qu'il assiste, mais pas le dossier – auditions d'autres personnes mises en cause, témoins, PV de constatations matérielles, expertises… – ce qui donne quand il rencontre son client :
- Bonjour, camarade gardé-à-vue, le moral est bon ?
- Lâche-moi avec le moral… Je suis accusé, et j’aimerais bien savoir de quoi, parce que se défendre sans savoir de quoi tu es accusé, c’est coton.
- Oui, certes, mais ne t’inquiète pas, je suis avocat et je suis là.
- Super, mais je ne te demande pas de me défendre. Je veux juste que tu défendes mes droits, mis en cause par l’accusation.
- Bon, alors je vais te dire ce que tu as déclaré, car j’ai eu accès à ces PV.
- Laisse tomber. Je sais très bien ce que j’ai dit, mais ce que je veux pour me défendre, c’est savoir de quoi on m’accuse.
- Eh pépère, cool, je ne peux pas te dire de quoi tu es accusé, car je n’en sais rien.
- Ben alors on fait quoi ?
- Disons que je suis avocat-coach. Je te prépare à la compète, mais je ne sais pas de quelle compète il s’agit.
Bref, ça ne va pas, et il faut se tourner vers notre ami le droit européen.
Le droit européen, flamboyant
On part de la constitution civile des droits de la défense, à savoir l’article 6-1 de la Convention qui consacre le droit à un procès équitable, et l’article 6-3 précise :
« Tout accusé a droit notamment à :
- être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;
- disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;
- se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ».
La CEDH s’est prononcée à maintes reprises, et voici sa motivation de principe (CEDH, Salduz c. Turquie, 27 novembre 2008, n° 36391/02) :
« 54. La Cour souligne l’importance du stade de l’enquête pour la préparation du procès, dans la mesure où les preuves obtenues durant cette phase déterminent le cadre dans lequel l’infraction imputée sera examinée au procès. Parallèlement, un accusé se trouve souvent dans une situation particulièrement vulnérable (…). Dans la plupart des cas cette vulnérabilité particulière ne peut être compensée de manière adéquate que par l’assistance d’un avocat (…). Un prompt accès à un avocat fait partie des garanties procédurales auxquelles la Cour prête une attention particulière lorsqu’elle examine la question de savoir si une procédure a ou non anéanti la substance même du droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination (…).
Pour la Cour, les règles du procès équitable s’appliquent aux « phases qui se déroulent avant la procédure de jugement » (CEDH, 24 novembre 1993, Imbrioscia c. Suisse, n° 13972 § 36; CEDH, 13 oct. 2009, Dayanan c. Turquie, n° 7377/03, § 32). L’exercice des droits de la défense pendant la garde-à-vue suppose pour avocat, la possibilité de consulter les pièces de la procédure, sauf à entraver considérablement la possibilité qui lui est donnée de conseiller son client (CEDH, 20 septembre 2011, Sapan c. Turquie, n° 17252/09, § 21).
Et une bien belle directive…
L’Union européenne est aussi entrée dans la danse, par la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil des ministres du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales, qui doit être transposée en droit français avant le 2 juin 2014.
De cette directive, j’extrais l’article 7 « Droit d’accès aux pièces du dossier ». Vous allez voir que, lorsqu’un principe sain est posé, le droit devient cohérent.
« 1. Lorsqu’une personne est arrêtée et détenue à n’importe quel stade de la procédure pénale, les États membres veillent à ce que les documents relatifs à l’affaire en question détenus par les autorités compétentes qui sont essentiels pour contester de manière effective conformément au droit national la légalité de l’arrestation ou de la détention soient mis à la disposition de la personne arrêtée ou de son avocat.
« 2. Les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies, ou leur avocat, aient accès au minimum à toutes les preuves matérielles à charge ou à décharge des suspects ou des personnes poursuivies, qui sont détenues par les autorités compétentes, afin de garantir le caractère équitable de la procédure et de préparer leur défense.
« 3. Sans préjudice du paragraphe 1, l’accès aux pièces visé au paragraphe 2 est accordé en temps utile pour permettre l’exercice effectif des droits de la défense et, au plus tard, lorsqu’une juridiction est appelée à se prononcer sur le bien-fondé de l’accusation. Si les autorités compétentes entrent en possession d’autres preuves matérielles, elles autorisent l’accès à ces preuves matérielles en temps utile pour qu’elles puissent être prises en considération.
« 4. Par dérogation aux paragraphes 2 et 3, pour autant que le droit à un procès équitable ne s’en trouve pas affecté, l’accès à certaines pièces peut être refusé lorsque cet accès peut constituer une menace grave pour la vie ou les droits fondamentaux d’un tiers, ou lorsque le refus d’accès est strictement nécessaire en vue de préserver un intérêt public important, comme dans les cas où cet accès risque de compromettre une enquête en cours ou de porter gravement atteinte à la sécurité nationale de l’État membre dans lequel la procédure pénale est engagée. Les États membres veillent à ce que, conformément aux procédures de droit national, une décision de refuser l’accès à certaines pièces en vertu du présent paragraphe soit prise par une autorité judiciaire ou soit au moins soumise à un contrôle juridictionnel.
« 5. L’accès, visé au présent article, est accordé gratuitement.
Pas mal, non ? Cette directive est un texte excellent, très motivé, et en toute logique, ce devrait être l’occasion de procéder – enfin – à une vraie refonte de notre procédure pénale. Hélas on n’en prend pas la voie, et nous sommes donc condamnés à attendre les réformes ponctuelles et minimalistes concédées sous les condamnations de la CEDH…
Alors, ça coince où ?
D’abord, au Conseil constitutionnel. C’est la décision n° 2011-191/194/195/196/197 QPC du 18 novembre 2011, se prononçant par QPC sur la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011. Je vous livre ce chef d’œuvre d’obscure clarté.
« 27. Considérant, en deuxième lieu, que les dispositions de l'article 63-4-1 prévoient que l'avocat de la personne gardée à vue ne peut consulter que le procès-verbal de placement en garde à vue et de notification des droits établi en application de l'article 63-1, le certificat médical établi en application de l'article 63-3 et les procès-verbaux d'audition de la personne qu'il assiste ;
« 28. Considérant, d'une part, qu'en vertu de l'article 14 du code de procédure pénale, la police judiciaire est chargée « de constater les infractions à la loi pénale, d'en rassembler les preuves et d'en rechercher les auteurs » ; que la garde à vue est une mesure de contrainte nécessaire à certaines opérations de police judiciaire ; que, comme le Conseil constitutionnel l'a jugé dans sa décision du 30 juillet 2010 susvisée, les évolutions de la procédure pénale qui ont renforcé l'importance de la phase d'enquête policière dans la constitution des éléments sur le fondement desquels une personne mise en cause est jugée doivent être accompagnées des garanties appropriées encadrant le recours à la garde à vue ainsi que son déroulement et assurant la protection des droits de la défense ; que les dispositions contestées n'ont pas pour objet de permettre la discussion de la légalité des actes d'enquête ou du bien-fondé des éléments de preuve rassemblés par les enquêteurs, qui n'ont pas donné lieu à une décision de poursuite de l'autorité judiciaire et qui ont vocation, le cas échéant, à être discutés devant les juridictions d'instruction ou de jugement ; qu'elles n'ont pas davantage pour objet de permettre la discussion du bien-fondé de la mesure de garde à vue enfermée par la loi dans un délai de vingt-quatre heures renouvelable une fois ; que, par suite, les griefs tirés de ce que les dispositions contestées relatives à la garde à vue n'assureraient pas l'équilibre des droits des parties et le caractère contradictoire de cette phase de la procédure pénale sont inopérants ».
En fait, tout est dans la formule : « La garde à vue est une mesure de contrainte nécessaire à certaines opérations de police judiciaire ». Donc, « contrainte nécessaire », et basta… On remplace le raisonnement par un élastique. C’est évidemment très en retrait de qu’existe le procès équitable, et la jurisprudence de la CEDH, ce qui signifie que, tôt ou tard, ça va tomber.
La Cour de cassation pourrait être le moteur, mais comme elle l’a hélas toujours fait, c’est le plus tard possible et le minimum.
La chambre de l'instruction de la cour d'appel de Montpellier, le 16 janvier 2012, avait jugé : « l'absence de communication de l'ensemble des pièces de la procédure, à ce stade de la procédure, n'étant pas de nature à priver la personne d'un droit effectif et concret à un procès équitable, alors même les pièces sont communiquées, le cas échéant devant les juridictions d'instruction ou de jugement ».
Dans un arrêt du 11 juillet 2012 (n° 12-82136, Publié), la Chambre criminelle de la Cour de cassation se contente d’affirmer que le demandeur a bénéficié de l'assistance d'un avocat au cours de sa garde à vue dans des conditions conformes à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. Ah bon ?
Ce blocage montre le pas fait par la 23° chambre. Se dessine une évolution positive pour nos libertés… et pour la phase de l’enquête policière qui, technique et démonstrative, devient une vraie part du procès. Comme l’ont souligné les trois avocats qui ont plaidé le dossier – Christiane Féral-Schuhl, bâtonnier sortant de Paris, Alexandre Vermynck et Paul Fortin : « Cette décision intervient à un moment clé puisque la chancellerie a annoncé qu'elle travaillait sur une redéfinition de l'enquête pénale pour mettre la France en conformité avec le droit européen ».