Le Parquet, la tribune, et le procès équitable
Paroles de juge - , 9/06/2012
Par Michel Huyette
Alors que l'on débat depuis des mois autour du statut du ministère public, le "Parquet", (lire not.
ici et ici), voici qu'un récent arrêt de la cour européenne des droits de l'homme (CEDH, son site) relance l'un des aspects du débat : la place du représentant du ministère public à l'audience.
La plupart des français le savent, y compris ceux qui ont eu la chance de ne pas avoir à entrer
dans un palais de justice, dans les salles d'audience pénales le ministère public est presque toujours installé sur la même estrade que les juges, alors que les autres parties au procès sont au
niveau du sol.
Et il en va de même dans d'autres pays.
Dans l'affaire qui vient d'être jugée à Strasbourg, un citoyen turc poursuivi pour homicide volontaire
(meurtre) et tentative d'homicide par arme à feu, et qui a été condamné à 30 années de prison et à une forte amende, a saisi la CEDH en faisant valoir, entre autres griefs (qui ne seront pas
abordés ici) qu'il a été victime "d’une atteinte au principe d’égalité des armes dans la mesure où le procureur avait pris place sur une estrade surélevée alors que lui-même et son avocat étaient placés, comme c’est la règle, en contrebas dans la salle d’audience" et par ailleurs que "le
procureur entre en même temps que les juges dans la salle d’audience, par la même porte, alors que l’avocat utilise l’accès public."
La CEDH a statué en ces termes le 31 mai 2012 (décision intégrale ici) :
"La Cour rappelle avoir estimé, dans de précédentes décisions, que la circonstance
dénoncée ne suffisait pas à mettre en cause l’égalité des armes, dans la mesure où, si elle donnait au procureur une position « physique » privilégiée dans la salle d’audience, elle ne
plaçait pas l’accusé dans une situation de désavantage concret pour la défense de ses intérêts (Chalmont c. France (déc.),
no72531/01, CEDH, 9 décembre 2003 ; Carballo et Pinero c. Portugal (déc.), no31237/09, 21 juin 2011). Elle considère que les circonstances de
l’espèce ne présentent aucune particularité permettant de se départir de la jurisprudence établie. Partant, le grief est irrecevable en vertu de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention, pour
défaut manifeste de fondement."
Dans l'affaire Chalmont précitée (décision ici), la CEDH avait déjà jugé que :
"Selon la Cour, la circonstance dénoncée ne suffit pas à mettre en cause l’égalité des armes, dans la mesure où, si elle donne au ministère public
une position « physique » privilégiée dans la salle d’audience, elle ne place pas l’« accusé » dans une situation de désavantage concret pour la défense de ses intérêts".
Et elle renvoyait encore à un autre arrêt Morillon, de la même année, et dans lequel apparait la même courte motivation (décision ici).
Nous ne trouverons donc pas dans la jurisprudence de la CEDH un argumentaire détaillé et élaboré en réponse à ceux qui soutiennent qu'il est inacceptable que le ministère public soit situé
en hauteur, à proximité des juges, alors qu'eux mêmes sont en face et en bas, ce qui, selon eux, les place dans une situation désavantageuse.
Faut-il en conclure que pour la CEDH la question est dépourvue d'intérêt ? Et en regardant d'un peu plus près ses arrêts qu'une position "physique privilégiée" est acceptable dans une
procédure pénale ? La réponse à cette dernière question n'est pourtant pas évidente.
Il existe dans le code de procédure pénale en vigueur un article préliminaire (texte ici)
dont la toute première phrase, qui contient donc une règle les plus essentielles, est ainsi rédigée :
"La procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l'équilibre des droits des
parties."
Il n'est pas discutable qu'au procès le ministère public est une "partie". Ses droits sont définis comme ceux des autres parties par les
règles procédurales régissant le procès. Et il y a presque totalement identité de droits (et d'obligations) entre le Parquet, la partie civile et la défense : droit de citer des témoins et des
experts, droit de poser des questions, droit de verser des documents, droit de solliciter des actes etc... La seule différence est au moment des plaidoiries et réquisitions puisque l'ordre est
fixé par le code et que c'est toujours la défense qui doit s'exprimer en dernier.
En dehors de cette particularité, le juge a en face de lui trois parties qui alimentent le débat et qui, une fois celui-ci terminé, lui proposent chacune sa thèse. Le juge doit alors se
faire sa propre opinion en retenant parmi les arguments des trois parties ceux qu'il estime les plus plausibles, auxquels il ajoutera les éléments issus de sa propre réflexion.
D'un point de vue purement théorique, il est donc plausible de revendiquer une organisation de l'espace qui montre que les trois parties sont face au juge sur un pied d'égalité. C'est
pourquoi il pourrait êre envisagé qu'en face des juges et au même niveau se trouvent trois espaces, l'un à côté de l'autre, correspondant aux trois parties au procès. L'organisation géographique
serait alors plus en adéquation avec le droit.
Abordons maintenant très rapidement ce qui est secondaire dans les arrêts de la CEDH mais qui, pourtant, n'est pas complètement anodin. En effet il a également été mis en avant par le
requérant que le représentant du ministère public est entré dans la salle d'audience en même temps que les juges, et par la même porte.
On peut comprendre la surprise d'un justiciable à qui l'on explique avant le début du procès que tout comme le ministère public il va développer sa thèse devant les juges, qui vont ensuite
statuer en fonction notamment des arguments développés par les uns et les autres, et qui voit que les juges entrent dans la salle avec le représentant du Parquet comme si magistrats du siège et
magistrat du Parquet faisaient partie de la même équipe, étaient ensemble et donc parlaient ensemble (de l'affaire ?) dans les minutes et secondes avant le début du procès.
C'est pourquoi il peut sembler judicieux, si ce n'est indispensable, que le représentant du ministère public n'entre pas dans la salle en même temps que les juges, et même qu'il soit
présent dans cette salle au moment de l'entrée des magistrats du siège.
Certains rétorqueront que cela n'a qu'une portée symbolique et ne change pas grand chose à la réalité. Il y a certainement une part de vrai là dedans. Mais il n'empêche que la symbolique est importante et que quand il est possible d'éviter les malentendus, il est préférable de ne pas les laisser s'installer.
Au demeurant, il ne faut pas oublier non plus que magistrats du ministère public et
magistrats du siège sont des collègues, se croisent continuellement, et entretiennent parfois des relations amicales comme toutes personnes travaillant au sein de la même administration. Tout
cela peut avoir une influence sur le processus judiciaire et est peut être plus important que la façon dont les uns et les autres entrent dans la salle d'audience.
Ce à quoi certains répondront que des juges du sièges ont parfois les mêmes relations amicales avec des avocats et que le risque d'une écoute plus attentive de ceux-ci qui sont amicalement
proches existe de la même façon.... Et qu'il n'est pas vraiment envisageable de contraindre
les juges à s'isoler de tout et à détourner la tête chaque fois qu'ils croisent un autre professionnel de la justice dans les couloirs des palais...
Il n'en reste pas moins que la question essentielle est la suivante : la position
géographique "privilégiée" du ministère public a-t-elle une conséquence sur le déroulement et sur l'issue du procès ? Autrement dit, cette position privilégiée permet-elle au ministère public de
mieux faire entendre sa thèse que les autres parties ?
La réponse est plutôt négative parce qu'une décision découle d'une pluralité de paramètres au milieu desquels la place du Parquet n'occupe qu'une place infime.
En effet, il ne faudrait quand même pas l'oublier, la décision judiciaire dépend d'abord et avant tout... du dossier plaidé. Quand un dossier est en faveur de la thèse de l'une des
parties, en ce sens que cette partie énonce les arguments les plus efficaces et surtout produit les éléments de preuve les plus convaincants, peu importe à quel endroit de la salle cette partie
est installée. C'est pourquoi si la position du ministère pubic n'est pas solide, elle ne convaincra pas les juges du siège quand bien même le représentant du Parquet est assis à proximité de ces
derniers.
D'autres paramètres entrent aussi en ligne de compte.
Il en va ainsi de la composition de la juridiction en terme de sexe des magistrats. Depuis des années les femmes sont de plus en plus nombreuses dans la magistrature (lire not. ici , ici) et chacun
s'interroge sur les éventuelles conséquences de cette féminisation sur les décisions rendues, sans que personne ne soit en mesure de présenter des conclusions indiscutables dans un sens ou dans
un autre.
Il n'empêche que cela a probablement un impact même si les contours en sont encore incertains. Cela fût récemment le thème d'un débat sur France Culture (qui peut être écouté en cliquant
ici) au cours duquel ont été mis en avant de nombreux paramètres qui
peuvent avoir une influence sur le processus judiciaire.
Pour finir, repassons par notre case départ.
On peut aisément comprendre que la CEDH n'ait pas considéré que la seule position géographique du représentant du ministère public rend un procès inéquitable. Car l'essentiel n'est
manifestement pas là.
Il est bien plus dangereux pour le fonctionnement du processus judiciaire, et au final pour tous les justiciables, de tolérer des audiences surchargées au cours desquels les dossiers sont
abordés trop rapidement par manque de temps, d'accepter que parfois la collégialité ne soit plus qu'une apparence quand par manque de temps et du fait d'un trop grand nombre de dossiers en
attente les décisions sont de fait prises par un seul des trois magistrats qui ne fait qu'informer ses collègues et non délibérer véritablement avec eux, ou de laisser place à des décisions
insuffisamment motivées faute de temps disponible pour les magistrats qui sont matériellement dans l'incapacité de faire plus et mieux. Et bien d'autres choses encore.
Le risque, à traquer l'acessoire, c'est de passer à côté de l'essentiel.
La CEDH n'est pas tombée dans ce piège et c'est tant mieux.