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Quelques remarques autour de la légitime défense

Paroles de juge - Parolesdejuges, 2/04/2015

Par Michel Huyette

rem : Cet article a été mis en ligne en septembre 2013. Une actualité récente incite à le publier à nouveau, avec quelques ajouts.
 

Si les journalistes parlent ou écrivent sur la légitime défense, à l'occasion de faits parfois dramatiques, souvent quand une personne agressée tue son agresseur, rares sont ceux qui prennent le temps de consulter notre loi pour éviter les malentendus, les approximations, voire parfois les erreurs.

La légitime défense n'est pas une notion floue laissée à l'appréciation des juges. Si tel était le cas, ce serait le domaine de l'arbitraire, chacun utilisant la notion comme cela lui convient. Il faut donc, avant tout commentaire autour d'une affaire pouvant impliquer la notion de légitime défense, plonger quelques brefs instants dans notre code pénal.

La légitime défense apparaît dans un chapitre du code pénal intitulé : "Des causes d'irresponsabilité ou d'atténuation de la responsabilité" (textes ici). 

Quand une cause d'irresponsabilité juridique (la maladie mentale en est une autre) est retenue, les juges dans un premier temps constatent qu'une infraction a bien été commise, puis, dans un second temps, que l'auteur de cette infraction n'est pas juridiquement coupable. L'intéressé n'est donc ni déclaré coupable ni bien sûr condamné.

C'est plus précisément l'article 122-5 du code pénal, qui n'a pas été modifié depuis longtemps, qui, dans son premier alinéa, définit les contours de la légitime défense des personnes :

"N'est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d'elle-même ou d'autrui, sauf s'il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l'atteinte."

La lecture de ce texte permet de préciser les conditions juridiques qui doivent être réunies pour que la légitime défense puisse être retenue :

- Une atteinte injustifiée

L'usage de la force contre une personne peut être justifié. C'est, notamment, le cas du policier qui arrête un malfaiteur qui se débat et qui, sans excès, utilise la force nécessaire pour le maîtriser. Le malfaiteur ne peut évidemment pas prétendre qu'il avait le droit de violenter le policier parce que ce dernier utilisait la force contre lui. L'atteinte du policier contre le malfaiteur étant justifiée, il n'y a pas place, au bénéfice de ce dernier, pour une défense légitime si en réaction il a frappé et blessé ce policier.

- La défense de soi-même ou d'autrui

Une personne est autorisée à utiliser la violence non seulement pour se défendre, mais elle l'est tout autant, quand bien même rien n'est dirigé contre elle, pour défendre un tiers. La défense violente est admise pour soi-même mais aussi pour la protection d'une autre personne. 

On ne pourrait pas à la fois reprocher à celui qui voit quelqu'un se faire violenter de rester à ne rien faire, et lui reprocher quand il a le courage d'intervenir d'avoir usé de violences pour défendre cette personne.

- Une défense

Pour qu'il y ait une défense éventuellement légitime, il faut qu'il y ait un réel mécanisme de défense.

Se défendre c'est, par définition, se protéger contre une attaque en cours pour la limiter, la contenir, et y mettre fin. La loi permet l'usage de la violence pour faire cesser une violence qui est en train de se produire.

C'est ce que confirme une expression de l'article 122-5 : "dans le même temps". Il ne peut pas y avoir de décalage de temps entre l'agression et la défense. Les deux doivent se produire dans une même action, dans ce "même temps". C'est une autre façon de dire qu'il ne peut pas y avoir de défense légitime quand il n'y a plus réellement attaque.

Par exemple, il n'est pas nécessaire, pour l'individu qui est frappé par une personne qui est aussitôt attrapée et bloquée par ses amis, et qui sait alors qu'il ne risque plus rien, d'aller vers son agresseur maintenu et devenu inoffensif et de le frapper à son tour. Le geste n'est plus nécessaire puisque comme l'individu bloqué par les tiers n'attaque plus, il n'y a plus d'agression et donc il ne peut plus y avoir de nécessité de défense.

Régulièrement aussi, des personnes sont poursuivies pour avoir tiré dans le dos d'un individu qui, après l'agression, s'enfuit à pied ou en moto. Lors du tir, celui qui était auparavant l'agresseur est loin de l'agressé, de plusieurs dizaines ou centaines de mètres. De fait, il n'y a plus, à ce moment là c'est à dire au moment du tir, aucune agression. Dès lors, conformément au code pénal, il ne peut pas y avoir de défense "dans le même temps", car lors du tir il n'y a plus aucune agression.

Pourtant la légitime défense est parfois invoquée. Mais, dans de telles circonstances, il est juridiquement difficile si ce n'est impossible de l'admettre.

Sinon, faudrait-il admettre tout autant comme une défense légitime le fait pour l'agressé, s'il a reconnu son agresseur, qu'il le poursuive jusque chez lui et, une ou deux heures après l'agression, aille à son tour le violenter ?

Toutefois, cela n'empêche en rien les magistrats et les jurés de tenir compte des circonstances dans le choix de la peine. 

- La proportion entre l'attaque et la défense

Il s'agit là d'une notion souple laissée, pour partie, à l'appréciation des juges.

La notion de proportionnalité est assez simple à comprendre et ne mérite pas d'amples explications. Mais elle est parfois délicate à mettre en oeuvre.

Pour prendre un exemple, contre une personne qui se contente uniquement de donner un coup d'épaule,
on n'est pas autorisé à se défendre par un coup de couteau en plein coeur. La défense (le coup de couteau) est manifestement disproportionnée par rapport à l'attaque (le coup d'épaule). La défense doit être d'une ampleur raisonnable par rapport à l'agression.

Mais très vite l'analyse devient plus complexe.

Il est communément admis que l'exigence de proportionnalité n'impose pas une identité de comportements entre l'attaque et la défense. Par exemple, si une personne au comportement très violent frappe avec ses poings et ses pieds une personne beaucoup plus faible et incapable de se défendre de la même façon avec ses mains et ses pieds, celle-ci pourra légitimement utiliser un moyen plus fort, et notamment une arme, pour se défendre efficacement contre celui qui l'agresse à mains nues.

Une difficulté encore plus importante encore apparaît avec la question de l'appréciation de la nature et de l'importance de l'attaque par l'agressé.

Quand l'agression se produit de nuit, dans un lei sans éclairage, l'agressé peut ne pas bien voir qui est son agresseur et, surtout, de quelle façon se déroule l'agression. L'agressé peut entrapercevoir que l'agresseur a quelque chose dans les mains sans être en mesure de savoir s'il s'agit d'un bâton, d'un couteau, ou d'une arme à feu.

Si l'agressé a lui-même une arme à feu entre les mains, doit-il attendre de découvrir ce que l'agressé a dans la main pour apprécier la meilleure fraçon de se défendre ? Théoriquement c'est envisageable. Mais si l'agresseur a bien une arme à feu, celà lui donne un avantage sur l'agressé. Et si l'agresseur tire sur l'agressé, alors ce dernier n'a plus aucune possibilité de se défendre.

C'est pourquoi il arrive que les cours d'assises décident que quand un agressé a pu raisonnablement penser que l'agresseur avait une arme entre les mains, il peut légitimement se défendre en tirant sur lui, quand bien même il est découvert ensuite que l'agresseur avait dans ses mains un autre objet moins dangereux.

Il sera considéré que c'est l'agresseur qui, en créant une situation très inquiétante pour l'agressé, en sachant que l'agressé ne verra pas bien ce qu'il fait ni ce qu'il transporte, prend le risque d'une réaction de défense théoriquement excessive mais objectivement compréhensible et donc acceptable. Cela quand bien même il était en réalité moins dangereux que ce que pouvait craindre l'agressé.

Au moment du délibéré, les magistrats et les jurés tentent de se mettre à la place de l'agressé pour dire si son attitude était adaptée à la situation, s'il n'y a pas eu excès de défense, cela non seulement d'un point de vue purement théorique mais eu égard aux circonstances particulières du dossier jugé.

En tous cas, au moment de manier cette notion de proportion, chaque affaire est un cas particulier.

Par ailleurs, le deuxième alinéa du même article concerne la légitime défense des biens, c'est à dire quand il n'y a aucune agression contre les personnes. Toutefois, le texte exclut expressément la possibilité de commettre un homicide volontaire.

Autrement dit, il est possible d'intervenir pour faire fuir des personnes qui commettent un cambriolage, quand bien même elles n'exercent aucune violence contre quiconque, mais les violences exercées contre elles doivent être mesurées tant qu'il n'y a pas d'agression physique. Et l'on retrouve la même exigence de proportionnalité.

Enfin, l'article 122-6 édicte deux présomptions de légitime défense :

- Quand une personne repousse, la nuit, des personnes entrées chez elle par effraction, ruse ou escalade.

Il est considéré que l'agression de nuit et dans un domicile génère en elle-même pour ses habitants un contexte particulièrement stressant et dangereux.

Cela se comprend pour deux raisons. L'agression dans le domicile est particulièrement inquiétante et traumatisante pour les habitants qui peuvent tous craindre pour leur intégrité physique. Et la nuit, avec son absence de clarté, augmente encore ces caractères de l'agression.

- Quand l'agressé se défend contre "les auteurs de vols ou de pillages exécutés avec violence".

Encore faut-il qu'il y ait des violences contre les personnes en plus du vol, l'expression "avec violence" ne pouvant pas concerner les seuls biens matériels. Et le texte impose, comme déjà souligné plus haut, qu'au moment de l'acte de défense examiné il y ait encore une attaque.

L'existence d'une présomption a pour effet de dispenser celui qui s'est défendu de démontrer que les conditions de la légitime défense étaient réunies. Mais il ne s'agit que d'une présomption simple, c'est à dire qu'il peut être démontré puis jugé, au final, que la défense n'était pas justifiée, ou en tous cas non légitime comme elle a été mise en oeuvre.


Devant les juridictions pénales, les dossier dans lesquels la légitime défense est plaidée sont de fait peu nombreux. Mais dans ces dossiers les juges, avec les jurés à la cour d'assises, doivent naviguer entre deux écueils : 

- Poser des exigences trop fortes et donc trop restrictives pouvant empêcher des personnes de se défendre à la hauteur de l'agression qu'elles sont en train de subir.

C'est pourquoi, quand la situation est dans un entre deux, la thèse de celui qui se défend est souvent préférée à la thèse de celui qui a agressé. Il est en effet difficilement envisageable qu'en cas de violences réelles des deux côtés ce soit l'agresseur, qui reste le principal responsable de l'enchaînement de violence, qui soit le bénéficiaire de la décision judiciaire.

- Poser des exigences trop faibles et permettre à la vengeance mal contrôlée de prendre le pas sur la justice. On ne peut pas admettre, et c'est tout le sens de la loi jamais remise en cause, que des violences très graves soient justifiées par des agressions de faible intensité, ou que des personnes exercent des violences au moment où elles ne risquent plus rien du tout.

Notons pour finir que le droit de se défendre, pouvant aller jusqu'au droit de donner la mort, est de la même façon prévu dans la convention européenne des droits de l'homme, dans la section consacrée au droit à la vie.

Dans l'article 2 de la convention (texte intégral ici), il est écrit :


"La mort n’est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire (..) pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale."



 


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