Mein Kampf, l’un des livres les plus lus de 2013
Actualités du droit - Gilles Devers, 12/01/2014
Mein Kampf , l’ouvrage de base du nazisme, a fait un carton sur Internet en 2013, en se plaçant dans les très fortes ventes de livres en ligne. Ce succès est un fait, à regarder en face, et ce d’autant plus qu’au 1° janvier 2016, le droit d’exploitation tombera dans le domaine public. Tout éditeur pourra traduire et publier Mein Kampf… Alors ? On publie, on prépare et on affronte les débats, ou on censure ?
On trouve sur le Net plus d’une centaine de versions de Mein Kampf, en format papier, audio et numérique et de nombreuses versions téléchargeables en PDF sur tout un tas de plateformes. Sur Amazon.com, il est 20ème dans la catégorie «politique et sciences sociales», 7ème de la rubrique «politique et gouvernance», 4ème du rayon «idéologie et doctrines». Selon Vocativ, Mein Kampf été téléchargé plus de 100.000 fois sur la librairie ouverte Internet Archive.
Un éditeur californien, Elite Minds Inc, a lancé début 2013, sur la liseuse Kindle d’Amazon, une version du livre à 99 cent, environ 70 centimes d’euro. Montecristo Editora, une entreprise brésilienne basée à Sao Paolo, a suivi le mouvement. Vendu chez Apple à 2,99 $, le livre est numéro 16 des meilleures ventes d'e-books dans la catégorie «politique et actualité» sur iTunes.apple.com.
Rédigé par Hitler alors qu’il était détenu à Landsberg entre 1923 et 1924, après le putsch raté, Mein Kampf a été publié initialement en deux volumes les 18 juillet 1925 et 11 décembre 1928. Le livre, qui pose les fondements de l'idéologie nazie, a été diffusé à 12 millions d'exemplaires en Allemagne entre 1930 et 1940.
Mein Kampf a alors été publié en France et en français, sans autorisation de l’auteur, et l’éditeur d’Hitler a engagé un procès civil en contrefaçon. L’éditeur français expliquait que c’était un devoir que de faire connaitre ces funestes théories, et le Maréchal Lyautey avait apporté son soutien à l’intuitive, ajoutant en exergue de cette édition : « Tout français doit lire ce livre ».Mais tout livre est, en droit, une œuvre de l’esprit, et la première chambre du tribunal de commerce de la Seine, le 18 juin 1934, jugeant que « cette œuvre représente un effort de création », a donné raison à l’éditeur d’Hitler (Gazette du Palais 1934, 2ème sem. pp. 176-178).
Après l’effondrement du régime nazi, les droits d’auteur ont été dévolus au Land de Bavière qui s’oppose à sa réédition. Aux États-Unis, le 1er amendement de la Constitution protège une totale liberté d’expression, et le livre est publié par l’éditeur Houghton-Mifflin, titulaire du droit pour l’avoir acquis avant-guerre.
En France, la société Nouvelles Editions Latines dispose des droits de traduction française de l’ouvrage, et a re-publié le livre. La LICRA a attaqué l’éditeur, sur le fondement de l’incitation à la haine raciale, demandant d’interdiction à la vente, mais la Cour d’appel de Paris, par un arrêt du 11 juillet 1979, a maintenu la vente, soulignant qu’il s’agit d’un « document historique indispensable pour la connaissance de l’époque contemporaine ». Seule limite : l’éditeur doit insérer un avertissement de huit pages expliquant qu’« aucun acte de propagande en faveur des thèses imaginées par Hitler ne peut être toléré en France » et rappelant les « crimes contre l’humanité auxquels a conduit cette doctrine ». L’éditeur annonce quelques centaines de ventes par an.
Mais une nouvelle échéance attend les éditeurs. Le droit moral de l’auteur est perpétuel, et le Land de Bavière conservera la maîtrise intellectuelle sur l’œuvre, pouvant agir si des traductions trahissent le texte d’origine. Mais le droit d’exploitation, lui, est limité à soixante-dix ans après la mort par le droit communautaire (Directive 2006/116/CE du 12 décembre 2006, modifiant la directive 93/98/CEE du 29 octobre 1993 ; en France, art L 123-1 Code de la Propriété Intellectuelle). La date reconnue d’Hitler étant le 30 avril 1945, le droit d’exploitation tombera dans le domaine public le 1er janvier 2016. Tout éditeur pourra alors traduire et publier le livre.
Les accros de la censure ont commencé à manœuvrer les autorités politique, mais Wolfgang Heubisch, le ministre des Sciences et de la Recherche de Bavière, s'est prononcé en faveur d'une réédition : «S'il faut que l'ouvrage d'Hitler soit édité, le danger existe que des charlatans et des néo-nazis se saisissent de cette œuvre ignoble lorsque la Bavière n'aura plus les droits. Je suis donc de l'opinion qu'une édition critique et bien documentée soit préparée». Bien d’accord avec toi, Wolfgang. Interdire, qui a toujours idiot et contreproductif, est devenu dérisoire avec le Net.
Et puis, c’est vraiment une grande tradition, que lire et étudier les livres de feu. Voici un texte qui n’a pas de force juridique, mais que j’aime bien ; la Charte des bibliothèques, adoptée par le Conseil supérieur des bibliothèques le 7 novembre 1991, et j’offre deux articles offerts à nous amis les censeurs affolés…
Article 3. – La bibliothèque est un service public nécessaire à l’exercice de la démocratie. Elle doit assurer l’égalité d’accès à la lecture et aux sources documentaires pour permettre l’indépendance intellectuelle de chaque individu et contribuer au progrès de la société.
Article 7. – Les collections des bibliothèques des collectivités publiques doivent être représentatives, chacune à son niveau ou dans sa spécialité, de l’ensemble des connaissances, des courants d’opinion et des productions éditoriales. Elles doivent répondre aux intérêts de tous les membres de la collectivité à desservir et de tous les courants d’opinion, dans le respect de la Constitution et des lois. Elles doivent être régulièrement renouvelées et actualisées. Les collections des bibliothèques universitaires et spécialisées doivent également répondre aux besoins d’enseignement et de recherche des établissements en cohérence avec les fonds existants et avec ceux des bibliothèques appartenant au même ensemble ou à la même spécialité ».
Comment lire, savoir, apprendre, critiquer peut-il faire peur ? Combattons les censeurs.