Arche de Zoé : « Ni voyous ni bandits, mais coupables », selon le procureur
Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 29/11/2013
S'il existait dans le code pénal une condamnation à la réflexion et à l'humilité, ce serait sans doute celle que l'avocat général Etienne Madranges aurait requise contre les deux fondateurs de l'Arche de Zoé, Eric Breteau et Emilie Lelouch, qui répondent devant la cour d'appel de Paris de la tentative d'exfiltration vers la France de 103 enfants présumés "orphelins du Darfour" en octobre 2007. L'opération s'était soldée par l'arrestation retentissante de toute l'équipe au moment où celle-ci s'apprêtait à embarquer les enfants à bord d'un avion sur l'aéroport d'Abéché au Tchad.
C'est en effet la personnalité des deux fondateurs de l'association qui, pour Etienne Madranges, explique largement le fiasco humanitaire qu'a constitué l'opération Arche de Zoé. "Avez-vous reçu des appels au secours ? Non. Avez-vous été sollicités par d'autres ONG ? Jamais !, a poursuivi Etienne Madranges. Vous auriez pu participer à des tas de choses. Mettre votre énergie et votre charisme à mieux nourrir ou mieux soigner les enfants. Couple d'humanitaires autoproclamés, vous décidez seuls de ce qui est bien pour l'ONU, pour la France, pour les familles et pour les enfants. C'est l'arbitraire le plus total !"
Cette attitude, a-t-il souligné, s'est encore manifestée à l'audience. "Vous vous enfermez dans le déni juridique. Vous vous reconnaissez une responsabilité morale, mais vous n'admettez pas vos erreurs et vous restez aimantés par la médiatisation", a relevé l'avocat général.
Si, pour le représentant de l'accusation, Eric Breteau et Emilie Lelouch ne sont "ni des voyous, ni des bandits, ni des escrocs au sens où le grand public entend ce terme", ils se sont cependant bien rendus coupables des trois délits qui leur sont reprochés : "exercice illicite de l'activité d'intermédiaire pour l'adoption ou le placement en vue de l'adoption", "aide à l'entrée ou au séjour irrégulier des mineurs" et "escroquerie". "On peut commettre des délits de bonne foi", a observé l'avocat général avant d'ajouter : "Ce qui frappe dans ce dossier, c'est le bricolage. Vous vouliez montrer qu'avec une toute petite équipe très motivée, on pouvait faire plier les instances internationales. Mais vous n'êtes pas des stratèges. Vous vous êtes arrogés le droit d'agir au nom de l'Etat, à la place de l'Etat. Ce n'est pas une imprudence, c'est une faute."
L'avocat général s'est en revanche montré beaucoup plus compréhensif à l'égard du troisième prévenu, Alain Peligat, qui avait lui aussi fait appel de sa condamnation en première instance. Ce bénévole, qui a consacré plus de trente années de sa vie à l'humanitaire, a longtemps dirigé une association qui s'occupe d'orphelinats au Cambodge et a élevé avec son épouse sept enfants, dont trois sont adoptés, fait partie de ceux qui ont été arrêtés et condamnés au Tchad. "Vous n'êtes ni l'instigateur ni l'organisateur, vous êtes un brave homme, Monsieur Peligat !", a déclaré Etienne Madranges en demandant au tribunal de prononcer contre lui une condamnation de principe pour sa participation à l'opération mais de le dispenser de peine.
Contre Eric Breteau et Emilie Lelouch, il a requis une peine de deux à trois ans d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve. "Il n'est ni utile ni opportun de vous renvoyer en prison, vous avez été assez châtiés dans cette affaire", a souligné l'avocat général en évoquant leur condamnation pour enlèvement d'enfants par la justice tchadienne et leur incarcération pendant quelques mois en France. Mais à l'adresse des deux prévenus, qui l'écoutaient, serrés l'un contre l'autre, dresser le tableau cruel de leur dérive humanitaire, il a ajouté : "Je vous souhaite l'interrogation et l'introspection sur votre ambition et ses conséquences sur la vie des autres."
Jugement le 14 février.