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Le procès Agnelet comme si vous y étiez…

Actualités du droit - Gilles Devers, 31/01/2013

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Grand moment judiciaire ce jeudi 31 janvier devant la Commission de réexamen de la Cour de cassation, qui se prononce dans l’affaire Agnelet suite à l’arrêt de la CEDH du 10 janvier. Un troisième procès ordonné et Maurice Agnelet remis en liberté ? Rien n'est fait. Voici les éléments du débat.  

I – L’histoire

1 – Les faitsagnelet, cedh, cour de cassation, Innocence

Dans le contexte sulfureux de la gestion du Palais de la Méditerranée au cours des années 1970, Agnès Le Roux, marginalisée par sa mère, gérante, disposait d’actions de garantie lui accordant un vote qui pouvait faire basculer la gestion de ce Palais-de-la-Monnaie-qui-ne-sent-pas-bon.

Alors que la vente de vote est une infraction, elle a vendu son vote une première fois à sa mère, pour pas trop cher, et une second fois au groupe rival, le philosophe Fratoni, pour assez cher. Lors de l’assemblée générale cruciale, la mère a perdu la gestion, assignant aussitôt sa fille devant le tribunal en la qualifiant d’ « affidée de la mafia », ce qui n’est ni très maternel, ni très gentil. Agnès le Roux avait récupéré une belle somme, qu’elle avait confiée à Maurice Agnelet, qui était l’avocat du Palais de le Méditerranée et son amant. L’argent a été mis  l’abri en Suisse, où il se trouve toujours.

Agnès Le Roux a disparu entre le 26 octobre et le 2 novembre 1977, alors qu'elle devait se rendre à Paris pour y rencontrer une amie et un journaliste. Malgré de nombreuses recherches, son corps n'a jamais été retrouvé, pas plus que son véhicule et ses effets personnels.

2 – La procédure pénale

A la suite de plaintes déposées par Renée Le Roux, deux informations ont été ouvertes au tribunal de grande instance de Nice, pour séquestration arbitraire puis homicide volontaire.

Maurice Agnelet a été inculpé le 8 août 1983 de meurtre, mais le  30 septembre 1985, a été prononcé un non-lieu, confirmé en appel et en cassation.

Le 20 février 1995, Renée Le Roux a déposé une nouvelle plainte pour recel de cadavre et complicité, visant notamment le caractère mensonger d'un témoignage.

Maurice Agnelet a été mis en accusation pour l’assassinat d’Agnès Le Roux par un arrêt de la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence du 26 octobre 2005.

Il a été acquitté par la Cour d’assises des Alpes-Maritimes le 20 décembre 2006.

Sur appel du Ministère public, il a été condamné par la Cour d’assises des Bouches du-Rhône le 11 octobre 2007, à une peine de 20 ans de réclusion criminelle.

Donc, deux arrêts de Cour d’assises, parfaitement contradictoires. Le premier acquitte, le second condamne, et pour savoir le pourquoi du comment, ce n’est pas facile. N’ont été posées que deux questions :

« 1 -  L’accusé Maurice Agnelet est-il coupable d’avoir à Nice (département des Alpes Maritimes), entre le 26 octobre et le 2 novembre 1977, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription de l’action publique, volontairement donné la mort à Agnès Leroux ?

« 2 -  L’accusé Maurice Agnelet avait-il, préalablement à sa commission, formé le dessein de commettre le meurtre ci-dessus spécifié ? »

A Nice, la réponse est non ; à Aix, la réponse est oui, et 20 ans sous clé.agnelet, cedh, cour de cassation, Innocence

Maurice Agnelet a formé un pourvoi en cassation, rejeté par la Chambre criminelle par un arrêt du 15 octobre 2008.

3 – L’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme

Il a alors saisi la Cour européenne des droits de l’homme, qui s’est prononcée par un arrêt du 10 janvier 2013 (n° 61198/08), au terme duquel elle a jugé à l’unanimité de ses membres qu’il y avait eu violation de l’article 6§1 de la Convention européenne.

La motivation décisive de la Cour se trouve au § 69 :

« 69. La Cour ne peut que constater, dans les circonstances très complexes de l’espèce, que ces deux questions [sur le meurtre et sa préméditation] étaient non circonstanciées et laconiques. La Cour note en effet, d’une part, que le requérant avait été acquitté en première instance et, d’autre part, que les raisons et les modalités de la disparition d’A.R., y compris la thèse de l’assassinat, ne reposaient que sur des hypothèses, faute de preuves formelles, qu’il s’agisse par exemple de la découverte du corps ou d’éléments matériels établissant formellement les circonstances de lieu, de temps, ainsi que le mode opératoire de l’assassinat reproché au requérant. Partant, les questions ne comportaient de référence « à aucune circonstance concrète et particulière qui aurait pu permettre au requérant de comprendre le verdict de condamnation » (Taxquet, § 96). »

4 – La saisine de la Cour de cassation, en formation de Commission de réexamen

Maurice Agnelet, sous la signature de son avocat François Saint-Pierre, a saisi la Cour de cassation en application des dispositions de l’article 626-1 du code de procédure pénale, que tout le monde connait par cœur, mais que je rappelle quand même.

« Le réexamen d'une décision pénale définitive peut être demandé au bénéfice de toute personne reconnue coupable d'une infraction lorsqu'il résulte d'un arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l'homme que la condamnation a été prononcée en violation des dispositions de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou de ses protocoles additionnels, dès lors que, par sa nature et sa gravité, la violation constatée entraîne pour le condamné des conséquences dommageables auxquelles la « satisfaction équitable » allouée sur le fondement de l'article 41 de la convention ne pourrait mettre un terme. »agnelet, cedh, cour de cassation, Innocence

Agnelet n’avait pas demandé d’indemnisation devant la CEDH, ce qui est bien logique : il ne demande pas à être indemnisé, mais à être reconnu innocent.

Devant la Commission de réexamen, l’avocat de la défense forme deux demandes :

- renvoyer l’affaire devant une autre cour d’assises, afin qu’un nouveau procès s’y tienne,

- remettre Maurice Agnelet en liberté, donc prononcer la suspension de l’exécution de la condamnation, car il est détenu depuis 5 ans et 3 mois sur la base d’un verdict déclaré inéquitable par la CEDH.

II – Une audience… et trois questions

1 – Recevabilité

L’arrêt de la CEDH n’est pas définitif aux termes de l'article 44 paragraphe 2 de la Convention EDH dès lors que la France n’a pas déclaré qu’elle ne demanderait pas le renvoi de l'affairedevant la Grande Chambre, et trois mois ne sont pas écoulés depuis l’arrêt.

Le Code de procédure pénale, articles 626-11 et 626-3, alinéa 2 permet de demander le réexamen dans un délai d'un an « à compter de la décision de la Cour européenne des droits de l'homme », sans préciser s’il doit s’agir d’une décision définitive.

Or, en l’état, les trois mois ne sont pas passés, et la France n’a pas dit qu’elle renonçait à saisir la Grande Chambre.

La Commission peut donc retenir une irrecevabilité.

Pourtant, le parquet n’est pas mal placé pour savoir si un recours sera formé, et par ailleurs, il n’y a pas lieu d’ajouter au texte, qui formellement ne prévoit pas le caractère définitif de l’arrêt comme condition de recevable. La Commission peut statuer en l’état.

Au pire, ce serait rendez-vous dans quelques semaines.

2 – La demande de révision

Maurice Agnelet, depuis le premier acte de poursuite, proteste de son innocence.

Il a refusé de demander une indemnisation, et dans ses réquisitions, le parquet souligne qu’en toute hypothèse, l’octroi d'une indemnisation ne suffirait à mettre un terme aux « conséquences dommageables, à savoir l'exécution par un condamné âgé de 75 ans d'une peine de réclusion criminelle de 20 ans ».

Sur le principe de la révision, la défense fait valoir :agnelet, cedh, cour de cassation, Innocence

« La Cour européenne a jugé que Maurice Agnelet n’avait pas bénéficié d’un procès équitable, non seulement parce que les raisons de sa condamnation étaient restées énigmatiques, après qu’il eût bénéficié d’une mesure de non-lieu en 1986 puis qu’il eût été acquitté en première instance en 2006, puisque cette condamnation avait été prononcée en l’absence de toute motivation et que les deux seules questions posées à la Cour d’assises et au jury étaient manifestement trop succinctes pour en comprendre les réponses, mais aussi et surtout parce que l’accusation portée contre lui était substantiellement insuffisante, étant fondée sur des hypothèses et non des preuves formelles établissant les circonstances factuelles du crime qui lui était reproché d’avoir commis ».

Le parquet reconnait que l’analyse faite par la CEDH atteint les bases de la condamnation, ce qui le conduit à admettre la révision du procès.

Précision : le parquet requiert, mais la Commission est libre dans son appréciation.

3/ Demande de remise en liberté

La défense demande la remise en liberté, dès lors que la détention est acquise en fonction d’un arrêt jugé inéquitable, et que Maurice Agnelet, qui a toujours répondu aux convocations de la justice et se présentait libre aux procès d’assises, retrouvera sa maison familiale, en Savoie.

Le parquet demande le maintien en détention, en rappelant que l’arrêt critiqué des assises n’a pas été ipso facto annulé, et redoutant le risque de fuite à l’étranger.

Alors ?

Les débats auront lieu aujourd’hui, et la décision sera connue rapidement. 

Allégorie de la Prudence, Simon Vouet (1590-1649)


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