Le lamentable abandon des lois d’amnistie
Actualités du droit - Gilles Devers, 10/05/2012
Sarko en 2007 avait mis fin à une grande tradition, celle des lois d’amnistie, et je regrette profondément qu’Hollande s’inscrive dans cette philosophie sarkozienne : le casier, ça doit te suivre sans répit.
L’amnistie reste dans le Code pénal
Les lois d’amnistie disparues à tout jamais au nom de la merveilleuse répression ? Ca ne sera pas si simple. Eh oui, le Code pénal est plus intelligent que le législateur du moment qui a pour horizon indépassable celui des sondages.
Le régime de l’amnistie est prévu par l’article 133-9 du Code pénal : « L’amnistie efface les condamnations prononcées. Elle entraîne, sans qu'elle puisse donner lieu à restitution, la remise de toutes les peines. Elle rétablit l'auteur ou le complice de l'infraction dans le bénéfice du sursis qui avait pu lui être accordé lors d'une condamnation antérieure ».
Voilà donc une belle aberration : le Code pénal prévoit l’amnistie, mais la loi n’adopte pas de nouvelles amnisties. Ca cloche.
Savoir oublier, pour aller de l’avant
L’idée de l’amnistie est qu’il faut savoir oublier. Les vies ne sont pas simples, et elles ne cse onstruisent pas en ligne droite. Le but de la loi, et même de la loi pénale, n’est pas de punir, mais de permette au mieux la vie en société par le respect des lois. On punit quand c’est nécessaire, quand c’est indispensable. C’est toute la philosophie de l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 : « La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ».
L’amnistie est une idée belle et somptueuse. Des comportements sont jugés fautifs devant la loi, et ils doivent être jugés. Mais quand les faits ne sont pas si graves, la condamnation pénale doit, passé un temps, tomber dans l’oubli. La cicatrice reste pour toi, mais la société n’a pas à la voir. C’est dire toute humanité qu’il y a dans l’amnistie : on reste dans le registre de la loi, et le juge dit que la loi a été violée. Mais la loi donne un encouragement à la personne condamnée : la faute a été reconnue, jugée, mais ça ne doit pas bloquer l’avenir. Avançons ensemble, nous sommes amis. Les lois d’amnistie valorisent le processus judiciaire, car elles reviennent à dire que ce processus – la comparution devant les juges et l’application de loi – compte autant que la sanction prononcée. Bravo.
Chaque loi d’amnistie post-présidentielle faisait passer le message : on efface les petites misères, parce qu’elles sont été reconnues, et on passe à autre chose. C’était excellent sur le plan de la dynamique sociale.
Chaque loi d’amnistie était particulière
Ainsi, chaque loi renvoyait au régime défini par le Code pénal, mais chaque loi était particulière. C’étaient de longs textes, techniques, qui définissaient ce qui pouvait être amnistié et dans quelles conditions. Et si un cas n’était pas prévu par la loi, la sanction restait.
Les lois reposaient sur deux systèmes.
Le premier était celui des amnisties en fonction de l’infraction, pour quelques infractions légères et souvent passées d’époque. Un exemple ? Alors que le débat sur les OGM a beaucoup progressé, les condamnations prononcées contre les militants – qui ont été des éclaireurs de la société – devraient être amnistiées. Il y avait aussi une habitude d’amnistier les contraventions au stationnement, mais on ne touchait pas les amendes liées aux conduites en excès de vitesse. En quoi protège-t-on l’ordre public en refusant d’amnistier les pv de stationnement, et d’alléger d’autant les budgets des familles ?
Le second système traitait des petites peines : peines d’amende et peine de prison en dessous d’un certain seuil. Pour la prison, la barre était parfois à trois mois, parfois à six. Le juge anticipait ces lois, et il en tenait compte : si l’affaire n’était pas si grave, il prononçait une peine en dessous du seuil, pour qu’elle tombe avec l’amnistie ; mais s’il voulait que la sanction reste sur le casier, il prononçait plus de six mois.
L’amnistie pouvait aussi être liée à l’exécution de la peine : la sanction est retirée du casier quand elle avait été exécutée. "
Enfin, cette amnistie si bienfaisante jouait aussi pour les fautes professionnelles. Etaient amnistiées toutes les fautes qui ne constituaient pas des manquements à l’honneur ou à la probité. Les salariés et les fonctionnaires étaient les grands bénéficiaires de la loi.
On adopte la pensée de Sarko ?
Tout ceci a disparu suite à un petit cri de Sarko, et il est grave que Hollande n’ouvre même pas le débat, car cette condamnation de l’amnistie repose sur deux piliers de la pensée de Sarko.
Le premier est que la justice doit faire peur. Non, désolé. Ceux qui font peur, ce sont les bandits en liberté. La justice, elle, est dans une démarche de compréhension. Son but est le respect de la loi, et pas la punition.
Le second est la phobie de la récidive. « Qui a fauté fautera, et il faut le repérer pour le reléguer », nous a enseigné Sarko,… et le PS souscrit sans réfléchir à ce résidu de pensée. Les récidivistes sont une petite minorité, et leurs situations se traitent par le travail socio-éducatif et l’insertion sociale.
Je n’ai pas voté contre Sarko pour voir ses idées reprises par « les forces du changement »… L’abandon des lois d’amnistie est un renoncement politique. C'est le choix d'une politique répressive qui a perdu, et qui perdra toujours.
Et vu que Hollande passe beaucoup de temps ces jours-ci à faire de la gonflette devant les photos de Mitterrand, je lui offre le texte de la loi d’amnistie n° 81-736 du 4 août 1981. Que la lecture lui soit profitable…
C’était un autre monde politique. C’étaient surtout des politiques qui faisaient des choix politiques et les assumaient.
La Justice et la Clémence, Louis Lagrénée (1725-1805)
Château de Fontainebleau.