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Sarko/Taubira : Le feuilleton se précise

Actualités du droit - Gilles Devers, 13/03/2014

Celle-là, on s’en rappellera longtemps. La ministre qui agite devant la...

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Celle-là, on s’en rappellera longtemps. La ministre qui agite devant la presse deux documents censés prouver sa bonne foi, sauf que les journalistes photographient tranquillement ces documents, qui à l’analyse, montrent l’inverse de ce que disait la ministre.

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Ces documents, ce sont deux lettres du 26 février : la première de Mme Houlette, procureur financier de la République au parquet général, et la seconde de M. Philippe Lagauche, avocat général auprès la Cour d’appel de Paris au ministère.

19 avril 2013 : information judiciaire sur un financement libyen de la campagne de 2007

Le point de départ, c’est le 19 avril 2013, l’ouverture par le parquet de Paris d’une information judiciaire sur un éventuel financement libyen de la campagne de Sarkozy en 2007. Pour conduire les investigations, deux juges d’instruction – Serge Tournaire et René Grouman – ont été saisi. Le 23 avril, ils mandatent par « commission rogatoire » l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions fiscales. Et ils commencent l’enquête : examen des pièces, audition de témoins, recherche d’indices, analyses financières, mouvements de fonds… .

3 septembre 2013 : mise sous écoute de Sarkozy

Il faut croire que l’enquête a un peu de consistance car les juges décident de cette mesure grave qu’est la mise sous écoute du téléphone portable de Sarkozy. Nous sommes le 3 septembre. C’est une mesure qui est là du registre exceptionnel, pour un ancien chef de l’Etat, avocat par ailleurs, ce qui oblige à respecter une procédure spéciale, à savoir avertir le Bâtonnier de l’Ordre. Ma consœur la Bâtonnière Christiane Féral-Schuhl est donc informée, et strictement tenue au secret professionnel cela va de soi.

Affaire sensible, et dans sa lettre du 26 février, l’avocat général Philippe Lagauche rappelle ce dossier en ajoutant « dont il vous est régulièrement rendu compte sous la référence AS/13/2352/FIN ».

Taubira est donc régulièrement informée de l’avancée de ce dossier. Il nous faudra maintenant attendre les révélations à venir sur ces courriers AS/13/2352/FIN... Pour le renouvellement, après 4 mois, il faut une décision du juge et il est difficile de renouveler si les écoutes n’ont rien produit d’intéressant. Toute mesure d’investigation doit être proportionnée… Et pourquoi s’il n’y a rien d’intéressant, avoir étendu ces mesures à Hortefeux et Guéant ? Et les comptes-rendus régulièrement transmis à la chancellerie ont-ils pu passer sous silence l’existence même de ces écoutes ? C’est juste une question.

Fin janvier 2014 : de nouveaux faits de violation du secret et de trafics d’influence

Nouvelle étape fin janvier, et là, c’est Mme Houlette qui explique : « Les policiers ont intercepté, entre le 28 janvier et le 11 février, des conversations téléphoniques entre Monsieur Nicolas Sarkozy utilisant une ligne téléphonique souscrite sous un nom d'emprunt (Paul Bismuth) et M. Thierry Herzog, avocat se servant d'une ligne téléphonique souscrite le même jour ».

Ah. Ça, c’est l’épisode où Sarko et son avocat se retrouvent à Nice, et se font ouvrir deux lignes téléphoniques sous des noms d’emprunt. Les PV d’auditions restent couverts par le secret – quand même… – mais on connait bien le contenu. D’après Mme Houlette « Monsieur Thierry Herzog aurait pu être renseigné », tant « sur la surveillance des téléphones de Nicolas Sarkozy » que sur l'éventualité « d'une perquisition » dans le cadre du dossier libyen. « Aurait pu être renseigné… » La formule est prudente, mais elle sous-tend une accusation grave.

La violation du secret

Qui a prévenu M. Sarkozy de sa mise sur écoute ? « Il est en effet apparu que Nicolas Sarkozy, placé sur écoute dans le cadre de cette procédure, en aurait été informé, après que le bâtonnier de Paris ait [sic] été lui-même averti par le juge d'instruction conformément aux dispositions de l'article 100-7 du code de procédure pénale, la personne écoutée étant un avocat au barreau de Paris »

Une mise en cause qui a été totalement rejetée par le barreau, mais il faut s’attendre à ce que quelques questions soient posées à Christiane Féral-Schuhl.

Le trafic d’influence

Thierry Herzog serait également « entré en relation, à de nombreuses reprises, avec un magistrat du parquet général de la Cour de cassation ».

« A la faveur de ces conversations, il apparaît que les deux hommes évoquent à plusieurs reprises les interventions réelles ou supposées d'un magistrat du parquet général de la Cour de cassation, dans le cadre de l'examen par la chambre criminelle de cette Cour d'un pourvoi formé contre un arrêt de la chambre de l'instruction de Bordeaux. » 

Il s'agit de Gilbert Azibert, avocat général à la chambre civile de la Cour. Celui-ci aurait notamment, en perspective de la décision du 11 mars par laquelle la cour devait se prononcer sur la saisie des agendas de M. Sarkozy dans l'affaire Bettencourt, « rencontrer un par un » ses collègues, afin de leur « expliquer avant qu'ils ne délibèrent ».

C'est ainsi que « deux ou trois des conseillers appartenant à la formation appelée à statuer sur ce pourvoi » auraient été approchés par M. Azibert, afin que celui-ci les convainque du bien-fondé des thèses sarkozystes. Selon Mme Houlette, « ces communications mettent également en évidence que ce magistrat aurait fait part à Thierry Herzog de son souhait d'être nommé conseiller au tour extérieur au Conseil d'Etat de Monaco et que Nicolas Sarkozy aurait assuré qu'il l'aiderait dans ce projet “avec ce que tu fais” (selon Thierry Herzog) ».

26 février 2014 : ouverture d’une nouvelle information judiciaire

Les policiers font rapport aux juges d’instruction, car ils ne sont pas saisis pour enquêter sur ces faits. Les juges non plus, qui ne peuvent enquêter que dans la limite du réquisitoire, et ils transmettent donc au parquet, qui seul peut décider de l’ouverture d’une nouvelle instruction, confiée ou non aux mêmes juges. C’est l’ordonnance de « soit-communiqué » du 17 février 2014, notifiant au Parquet des faits « susceptibles de caractériser les infractions de violation du secret de l'instruction, trafic d'influence passif et actif, complicité et recel de ces infractions ».

Mme Houlette rappelle le droit applicable : « Certes les conversations interceptées sont celles d'un avocat avec son client, ce qui pourrait constituer un obstacle à l'ouverture d'une information. Mais elles ont eu lieu à travers une ligne téléphonique ouverte sous un faux nom et au surplus sont de nature à faire présumer la participation de l'avocat concerné à une infraction. » C’est la jurisprudence Buffalo Grill dont nous avons déjà parlé.

Le 26 février, le procureur de la République financier estime les faits sérieux, requiert l'ouverture d'une information contre X pour ces faits, et informe le procureur général.

26 février 2014 : le ministre informé

Le parquet général, via l’avocat général Philippe Lagauche informe le jour même la garde des sceaux, via la direction de l’action criminelle et des grâces, en joignant en copie le courrier reçu de Mme Houlette.

Une excellente synthèse :

« Il est en effet apparu que Nicolas Sarkozy placé sur écoutes dans le cadre de cette procédure, en aurait été informé, après que le bâtonnier de Paris ait été lui-même averti par le juge d'instruction conformément aux dispositions de l'article 100-7 du code de procédure pénale, la personne écoutée étant un avocat au barreau de Paris.

« Il est également apparu que le même Nicolas Sarkozy, utilisateur d'une seconde ligne téléphonique portable – ouverte sous un nom d'emprunt pour semble-t-il déjouer la première écoute judiciaire – seconde ligne également écoutée, était en relations fréquentes avec Thierry Herzog, également avocat au barreau de Paris et qui est son conseil dans l'affaire dite « Bettencourt » en cours à Bordeaux ; à la faveur de ces conversations, il apparaît que les deux hommes évoquent à plusieurs reprises les interventions réelles ou supposées d'un magistrat du parquet général de la Cour de cassation, dans le cadre de l'examen par la chambre criminelle de cette Cour d'un pourvoi formé contre un arrêt de la chambre de l'instruction de Bordeaux.

« Après examen de la jurisprudence relative à l'interception et à la retranscription de conversations entre une personne et son avocat, il apparaît que la validité de celles-ci, même si elle peut donner lieu à des contestations, peut se soutenir, le contenu des conversations et l'usage d'une ligne ouverte sous une identité d'emprunt étant de nature à faire présumer la participation de cet avocat à des faits constitutifs d'une infraction au sens de l'arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 1° octobre 2003.

« La nécessité de faire procéder à des investigations ne pouvant être ordonnées que par un magistrat instructeur – notamment de nouvelles écoutes – a conduit le procureur de la République financier à requérir l'ouverture d'une information distincte des chefs visés en objet, ces faits n'ayant pas de rapport direct avec le dossier initial.

« Je ne manquerai pas de vous tenir informé des suites de cette procédure ».

Alors ? C’est grave, docteur ?

Ce qui parait grave, ce sont les faits reprochés. Attention, on est au stade de l’information judiciaire, et il n’a pas même été prononcé de mise en examen. Mais les deux lettres du 26 février concluent à des faits infractionnels graves.

Et le gouvernement là-dedans ?

L’information judiciaire sur le financement de la campagne a été ouverte le 19 avril 2013, et elle s’est développée ensuite de manière normale : dirigée par des juges d’instruction, et effectuée par les flics de classe de l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions fiscales. En septembre, un seuil a été passé avec la mise sous écoute de Sarko.

Fin janvier, les flics découvrent l’histoire des deux portables-bis, les renseignements sur une violation du secret portant sur les écoutes et sur les perquisitions, et les relations suivies avec le magistrat de la Cour de cassation. Ils font rapport au juge, qui transmet au parquet, qui ouvre une information nouvelle sur ces faits. Du classique.

Taubira était-elle informée ? Oui, le 26 février, et elle avait toutes les bonnes infos sur le contenu de l’enquête. Franchement, il est difficile pour l’avocat général de ne pas informer la Direction des affaires criminelles et des grâces d’une telle affaire… C’est le fonctionnement normal.

Etait-elle informée avant ? Oui, et régulièrement pour le dossier libyen. Et il est bien difficile d’imaginer que sur ces sept mois de compte-rendus réguliers, n’apparait jamais la trace d’une écoute.

Après vient la question : mais pourquoi n’a-t-elle pas reconnu d’emblée qu’elle était informée depuis le 26 février, alors que c’est le fonctionnement normal de la justice pénale ? C’est tout le paradoxe… Les gouvernements – Droite et Gauche – veulent un parquet hiérarchique car ils n'entendent pas se priver d’un outil exceptionnel pour savoir ce qui se passe dans le pays. Mais parce qu’ils redoutent le revers de la médaille – être accusé d’interventionnisme – ils n’assument pas publiquement.

Un mensonge idiot, parfaitement idiot.  


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