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Réforme du droit des contrats : l’entrée dans le code civil de la durée du contrat (fiche n°7)

K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Marie Van-Labeke, 27/08/2015

I. NOTION ET CONTEXTE
1. « La durée du contrat est l’oubliée du code civil, du moins dans la théorie générale du contrat » (Recueil Dalloz 2011 p. 2672 « la durée du contrat et la réforme du droit des obligations » A. Etienney de Sainte Marie).

2. En effet le droit commun du contrat a été construit sur le modèle de la vente : contrat instantané par excellence (Blog réforme du droit des obligations, la durée du contrat (1ère partie) G. Chantepie) qui se forme en « un trait de temps » (Les obligations, droit civil, Dalloz, 8ème édition, S. Porchy-Simon, n°75, p.45). Seules des bribes de durée existent dans certains articles des contrats spéciaux (article 1709 : du Code civil par exemple en matière de baux).

3. Pourtant, la durée est essentielle en ce qu’elle fait partie des interrogations de base, préliminaires à toute relation contractuelle : « Qui ? À qui ? Quoi ? Quand ? Où et Comment ? » (Revue des contrats, 1 janvier 2004 n°1, p. 207 F. Tort faisant référence au professeur Mousseron).

4. La durée est également l’un des éléments constitutifs du contrat dès lors que certains contrats ne peuvent s’exécuter que grâce à l’écoulement d’un certain délai.

5. Lorsque le contrat est à exécution instantanée, la cessation des relations contractuelles ne pose pas de problème dès lors qu’elles s’éteignent avec l’objet du contrat. En revanche, le problème se pose lorsque les prestations s’écoulent dans le temps.

II. TRAITEMENT ACTUEL
6. Les règles relatives à la durée se retrouvent dans les usages et dans la jurisprudence. Ainsi, la jurisprudence et la doctrine ont posé le principe de prohibition des engagements perpétuels qui a, par la suite, été consacré par le Conseil constitutionnel dans sa décision relative au PACS considérant que : « si le contrat est la loi commune des parties, la liberté qui découle de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 justifie qu’un contrat de droit privé à durée indéterminée puisse être rompu unilatéralement par l’un ou l’autre des contractants, l’information du cocontractant, ainsi que la réparation du préjudice éventuel résultant des conditions de la rupture, devant toutefois être garanties » (DC 9 novembre 1999 n°99-419).

7. Sur cette base, s’agissant du contrat à durée indéterminée, la jurisprudence constante exige simplement le respect d’un délai de préavis et exerce un contrôle restreint sur la bonne foi dans la mise en œuvre de la rupture (Com. 8 octobre 2013, n°12-22952).

8. Concernant le contrat à durée déterminée : le principe est que les cocontractants ne peuvent rompre unilatéralement le contrat et doivent l’exécuter jusqu’à son terme.

III. SOLUTIONS PROPOSEES PAR LA REFORME
9. La loi n° 2015-177 du 16 février 2015 (relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires) a habilité le gouvernement à agir par voie d’ordonnance, notamment pour « 7° Clarifier les règles relatives à la durée du contrat ».
10. Ainsi, contrairement aux projets antérieurs qui se sont désintéressés ou peu intéressés à la durée du contrat, le présent projet y consacre six articles dans une section III du même nom, du chapitre IV relatif aux « effets du contrat ». Ces articles viennent compléter l’amorce d’une vision temporelle du contrat initiée dès l’article 1110 du projet qui définit les contrats à exécution instantanée et successive, respectivement comme pouvant « s’exécuter en une prestation unique » ou comprenant des « prestations échelonnées dans le temps ».

11. Dans les trois premiers articles de la section « durée », sont repris les principes fondamentaux acquis en jurisprudence, à savoir :
- la prohibition des engagements perpétuels ;
- le droit de mettre fin à tout moment au contrat à durée indéterminée sous réserve de respecter un délai de préavis « raisonnable » et de ne pas commettre d’abus ; et,
- l’obligation d’exécuter le contrat à durée déterminée jusqu’à son terme.

12. Les trois articles suivants prévoient les mécanismes de prorogation, de renouvellement et de tacite reconduction. Dans ces deux dernières hypothèses, le projet précise que naît alors un nouveau contrat, à durée indéterminée, dont le contenu est identique au précédent. Le projet tranche ainsi les controverses existantes en attribuant un même régime au contrat renouvelé et au contrat reconduit.

IV. CRITIQUES ET APPRECIATIONS
13. Ces dispositions sur la « durée du contrat » sont plutôt bien accueillies par la doctrine qui reconnaît que les objectifs d’accessibilité et de clarification sont en partie remplis.

14. Toutefois, selon les praticiens, si cette insertion constitue une initiative pertinente elle reste néanmoins insuffisante. En effet, le projet fixe l’état du droit positif en reprenant les solutions jurisprudentielles classiques, sans innover pour autant.

15. Le mérite de cette réforme est de correspondre à davantage de contrats pour lesquels la durée est un élément primordial.

16. Sur la forme, certains commentateurs relèvent une difficulté d’articulation des alinéas de l’article 1212 sur la rupture d’un contrat à durée indéterminée dont la lecture pourrait laisser croire qu’il n’y aurait abus qu’en cas de non-respect du préavis raisonnable. Nous faisons confiance à la jurisprudence pour interpréter et donner le sens qu’il convient à ces dispositions.

V. EN PRATIQUE
17. Ce qui aurait pu bouleverser la pratique juridique aurait été de prévoir une obligation de motiver la rupture et y associer une sanction spécifique, indépendante du non-respect du préavis par exemple. Le projet n’a pas opté pour cette solution. Peut-être que les juges, au visa de l’article 1212 alinéa 2, feront peser, ou à tout le moins, partageront la charge de la preuve de l’absence d’« abus », sur le cocontractant à l’origine de la rupture - ce qui le pousserait à motiver sa décision comme c’est déjà le cas dans d’autres domaines du droit, par exemple en droit du travail (notamment en matière d’harcèlement, d’heures supplémentaires, de licenciement pour faute grave par exemple).

18. Nous considérons qu’il aurait pu (voire qu’il aurait dû) également être envisagé, dès cette section sur la durée, l’hypothèse de rupture unilatérale du contrat à durée déterminée « aux risques et périls » de son auteur. Cette faculté est consacrée un peu plus loin dans le projet, à l’article 1226, précisant qu’il appartiendra alors à celui qui en est à l’origine de rapporter la preuve d’une « inexécution grave ».

Dans la présente fiche, la durée a été traitée principalement dans l’hypothèse de fin du contrat. Or, elle revêt également un aspect essentiel tant pour l’entrée en vigueur du contrat (« Point d’obligation sans durée aussi brève soit-elle » Revue des contrats, 1 janvier 2004 n°1, p. 207 F. Tort faisant référence au professeur Mousseron), qu’au stade de l’exécution. En effet, les contrats qui se réalisent dans la durée sont, par hypothèse, exposés aux problèmes du temps, aux changements de circonstances, notamment économiques. Ainsi se pose le débat de la révision pour imprévision qui fera l’objet d’une fiche ultérieure.



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