Le procès des mystérieuses enveloppes de l’UIMM
Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 7/10/2013
Quand les dirigeants de l'Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM), l'une des plus anciennes et influentes fédérations patronales, distribuent des enveloppes d'argent liquide, de la main à la main, à des syndicats, des associations, des organismes liés à la vie universitaire, des intellectuels, des représentants des médias ou des pouvoirs publics, ils appellent cela de la "régulation sociale". Le code pénal lui donne un autre nom, "abus de confiance" et "travail dissimulé".
Ces deux versions sont au cœur du procès qui s'ouvre, lundi 7 octobre, devant le tribunal correctionnel de Paris pour trois semaines. Onze prévenus, dont l'ancien vice-président de l'UIMM, Denis Gautier-Sauvagnac, vont devoir s'expliquer sur la destination de 15,6 millions d'euros retirés en liquide des caisses de l'organisation entre 2000 et 2007.
L'affaire de la "caisse noire" de l'UIMM, née d'un signalement au parquet de Paris de Tracfin, la cellule anti-blanchiment de Bercy, qui avait été alertée par une banque sur les importants retraits en liquide opérés par l'UIMM, a suscité un certain embarras des pouvoirs publics, qui ont rivalisé de lenteur dans la procédure. Car à travers elle, c'est tout un pan de l'histoire occulte des relations sociales en France qui a soudain été mis en lumière.
Dans la foulée des grandes grèves de 1968 et des blocages d'usine auxquelles elles avaient donné lieu, l'UIMM décide de créer une caisse d'entraide professionnelle des industries et des métaux, destinée à apporter "un appui moral et matériel" à ses adhérents subissant un conflit collectif du travail. Pour bénéficier de ce soutien, les entreprises doivent verser un pourcentage (2 %, puis 0,4 %) du montant de leur masse salariale brut annuelle. Fin 2006, le magot amassé avoisinait les 600 millions d'euros. Mais seule une part modeste de cet argent a en effet servi à indemniser partiellement les pertes subies par les entreprises lors de conflits sociaux, comme celui de PSA à Aulnay en 2007.
Sur tout le reste régnait une profonde opacité que l'instruction a tenté de percer. Frais de réception, complément de salaires versés aux salariés et aux membres de l'UIMM, mais surtout enveloppes d'espèces régulièrement distribuées aux syndicats de la métallurgie (CFTC, CFE-CGC, FO,CFDT), pour des montants importants qui, à certaines périodes, ont dépassé le million d'euros annuels.
"Cela faisait partie du dialogue social", avait expliqué Denis Gautier-Sauvagnac pendant l'enquête, en prenant bien soin de garder le silence sur le nom des bénéficiaires.
Au juge qui l'interrogeait sur les raisons du caractère occulte de ces versements, Denis Gautier-Sauvagnac avait répondu: "Ces versements ont été faits à des gens très honorables, liés à des organismes qui font partie de notre vie sociale, et je ne crois pas, très sincèrement, qu'il soit de l'intérêt général de procéder à un grand déballage. Ce point est très important pour moi. Je ne veux pas être le responsable de ce grand déballage."
Le délégué général adjoint de l'UIMM, Dominique de Calan, ne s'est guère montré plus précis, consentant seulement à indiquer que les enveloppes de "régulation sociale" alimentaient "les associations, les partenaires sociaux, les intellectuels, les médias et les pouvoirs publics" ou encore "des organismes liés à la vie universitaire."
Lui aussi justifiait la discrétion qui prévalait dans la remise de ces fonds. "Dans ce climat général de lutte des classes, observait-il, les réformistes auraient été mis au ban de la société et de leur mouvance si l'on avait su que le patronat aidait ces organismes. Cela évitait en plus le risque d'être accusé de contrepartie. "
La question qui sous-tend toute cette affaire est bien évidemment de savoir si contrepartie il y a eu, de la part des bénéficiaires des mystérieuses enveloppes de l'UIMM. Elle est posée dans l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel par le juge d'instruction Roger Le Loire: "On peut se demander comment les organisations syndicales pouvaient librement négocier les conventions collectives et s'affirmer de manière indépendante dans la gestion d'organismes paritaires tout en étant subventionnées, de manière occulte, et sans contrôle, par l'UIMM représentant les patrons", relève le juge.