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« Vous avez agi en médecin, mais en médecin qui s’est trompé » dit l’avocat général à Nicolas Bonnemaison

Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 24/06/2014

A ce procès de haute tenue, il fallait un grand réquisitoire. L'exigence a été remplie, mardi 24 juin par l'avocat général Marc Mariée. Puisant à la fois dans le dossier qu'il suit depuis son premier jour, il y a presque … Continuer la lecture

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A ce procès de haute tenue, il fallait un grand réquisitoire. L'exigence a été remplie, mardi 24 juin par l'avocat général Marc Mariée. Puisant à la fois dans le dossier qu'il suit depuis son premier jour, il y a presque trois ans jour pour jour en qualité de procureur de Bayonne, et dans toute la richesse des deux semaines de débats, il a requis une peine de cinq ans d'emprisonnement avec sursis contre l'ancien urgentiste, sans l'assortir d'une interdiction d'exercice de la médecine.

Voici, sous réserve de la prise de notes à l'audience, l'essentiel de son intervention.

"Je voudrais adresser mes premiers mots à Nicolas Bonnemaison. Non, vous n'êtes pas un assassin. non, vous n'êtes pas un empoisonneur au sens commun de ces termes. Je vous le dis ici: mon regard sur vous a changé. Mais pour autant, je maintiens l'intégralité de mes accusations". Après avoir rappelé que Nicolas Bonnemaison comparaît pour avoir "attenté à la vie" de sept de ses patients par "l'emploi ou l'administration de substances de nature à entraîner la mort" avec la circonstance aggravante qu'il s'agissait de "personnes particulièrement vulnérables en raison de leur était physique et mental", Marc Mariée a observé : "Je dis qu'une agonie, certes, c'est une vie finissante, mais c'est une vie quand même."

"Nul ne sortira indemne de ces débats, de la souffrance qu'ils ont exprimée, de la difficulté d'exercer le métier de médecin qu'ils ont révélés, et certainement pas moi. Même si parfois, ils ont été hors sujet. L'euthanasie n'est pas notre débat. Les directives anticipées, l'acharnement thérapeutique ne nous concernent pas davantage. Nous ne sommes pas là pour dire si la loi Léonetti est bonne, si elle est insuffisante, si elle est imparfaite. La loi, elle s'applique telle qu'elle existe."

Pour l'avocat général, l'affaire Bonnemaison tient dans cette "limite infime" entre "mettre en place une sédation qui PEUT abréger la vie" et "mettre en place une sédation POUR abréger la vie". Et, selon lui, c'est la deuxième voie qu'a choisie Nicolas Bonnemaison pour sept de ses patients en fin de vie. "Nous sommes dans une démarche qui, en définitive, sous couvert de sédation, consiste à abréger l'agonie, abréger les souffrances". Reprenant les propos de Jean Léonetti, cité à la barre de la cour d'assises mardi 17 juin, il a observé : "Nicolas Bonnemaison est là parce qu'il a donné la mort à des patients qui ne la demandaient pas. Nous ne sommes plus dans le cadre de la loi Léonetti, mais dans le droit commun. Celui qui, selon le code pénal, dit qu'il est interdit de tuer." 

Marc Mariée a alors ouvert une longue parenthèse pour défendre le choix qui avait été fait, tant par le personnel soignant de l'hôpital de Bayonne que par son directeur, de dénoncer les agissements du docteur Bonnemaison en alertant le parquet. "Ils ont fait leur devoir. Tout ce que les infirmières et les aide-soignantes ont dit a été vérifié. Elles n'ont rien inventé. Elles ont parlé parce qu'elles ont surpris des faits qui leur étaient cachés. Et parce que ce n'était pas du tout l'attitude qu'elles attendaient du docteur Bonnemaison." 

"Nicolas Bonnemaison, a-t-il poursuivi, avait une parfaite conscience de se situer dans l'interdit. Il va lui -même chercher des ampoules d'Hypnovel ou de Norcuron. Il prépare lui-même les injections. Il procède lui-même aux injections. Et tout cela, ce n'est pas la pratique habituelle d'un médecin. Il n'en parle à personne, ni aux familles, ni au personnel soignant. Et il n'inscrit pas au dossier médical des patients les traitements qu'il a utilisés, même quand l'infirmière lui demande de le faire. Il agit dans une opacité totale. Et on aurait voulu qu'elles trouvent cela normal ?"

"Alors pourquoi Nicolas Bonnemaison, ce bon médecin, cet être tourné vers l'autre, a-t-il franchi la ligne ? Qu'est-ce qui lui a fait perdre le recul ?", s'interroge alors l'avocat général, qui aborde à cet instant la partie la plus sensible de son réquisitoire, consacrée à la personnalité de l'accusé. "On ne peut pas détacher les faits qui vous sont reprochés de votre personnalité. Vous étiez un homme seul, bien seul, Nicolas Bonnemaison." Reprenant les mot du professeur Didier Sicard sur la "solitude hospitalière" et la pression d'une société "devenue intolérante à l'agonie" qui pousse certains médecins "à se retrouver en situation de radicalité",  il évoque la fragilité particulière de l'ancien urgentiste, qui a connu plusieurs épisodes dépressifs dans sa vie et a été hospitalisé à deux reprises dans un service psychiatrique. Pour l'avocat général, cette fragilité est une des clés de l'attitude de Nicolas Bonnemaison à l'égard de ses patients. "Il n'a pas eu l'énergie, la vigilance nécessaire pour ne pas transgresser la loi. Il n'était plus dans la situation qui lui permettait de prendre les bonnes décisions."

S'adressant directement à l'accusé, Marc Mariée observe: "Oui, mon regard sur vous a changé. J'avais de vous au départ de ce dossier une image extrêmement négative. Celle d'un être déterminé, froid, qui agissait dans une logique solitaire. Je crois désormais que vous avez agi de manière sincère." Reprenant à son compte l'analyse que le docteur Roland Coutanceau, chargé de l'expertise psychiatrique de Nicolas Bonnemaison avait livrée à la barre, l'avocat général a observé : "Vous avez agi par compassion. Mais la compassion peut ne pas être lucide. Et être trop compassionnel, c'est faire l'économie des autres. C'est exonérer les autres du poids d'une responsabilité qui, pourtant, leur appartient."

"Vous vouliez protéger tout le monde. Les malades, les familles, le personnel soignant. Mais pour faire le bien, vous avez fait le mal au regard de la loi. Vous avez agi en médecin mais en médecin qui s'est trompé", a-t-il conclu.


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